Genève, Wagner Geneva Festival, Comédie de Genève, dimanche 13 octobre 2013.
Genève, qui a accueilli Richard
Wagner à plusieurs reprises au cours de son exil en Suisse dans les années
1850-1866, célèbre jusqu’au 7 novembre le bicentenaire de la naissance du
compositeur saxon en lui dédiant un festival mêlant musique, littérature,
théâtre, arts plastiques, danse et cinéma. Fidèle à lui-même autant qu’en
amitiés artistiques, Jean-Marie Blanchard, directeur de cette unique
manifestation, a commandé des œuvres nouvelles renvoyant au concepteur de
l’œuvre d’art total aux deux compositeurs à qui il avait commandé des opéras inédits à l’époque où il dirigeait le Grand Théâtre de Genève, Michaël Jarrell
et Jacques Lenot (1), ainsi qu’à l’écrivain metteur en scène Olivier Py à qui il a
été le premier à confier une production lyrique du temps où il était directeur
de l’Opéra de Nancy.
Inéluctablement rattaché à la
période la plus noire de l’histoire de l’humanité qu’est celle de l’Allemagne
nazie et ses effroyables répercussions, Wagner, qu’Hitler a opiniâtrement détourné
à son profit, fait depuis plus d’une vingtaine d’années l’objet de mises en
scène plongeant aux sources de l’idéologie nationale-socialiste. C’est ce sur
quoi Olivier Py, qui dans ses propres conceptions des opéras de Wagner s’est
toujours abstenu de s’y référer, s’est appuyé pour écrire pour Michael Jarrell la
nouvelle (2) Siegfried, nocturne,
dont il a tiré un livret traduit en allemand par Ursula Schneider. C’est sous la
forme monodrame de soixante-dix minutes que les coauteurs ont choisi de
présenter leur ouvrage.
Un monodrame qui tient à la fois de Cassandre que le compositeur suisse
composa en 1994 sur un texte de Christa Wolf et de Pierrot lunaire d'Arnold Schönberg sur des poèmes d’Albert Giraud pour l’utilisation
du parlé-chanté. Ce livret sensible et pénétrant dit combien à travers la
figure de Siegfried, qui se délite peu à peu dans le Rhin qu’il recherche, personnifié
par la présence dans le lointain des trois Filles du Rhin, le héros n’a plus de
place au sein de la société contemporaine et se doit de disparaître.
Dans son livret, Py brosse une
réflexion sur l’errance et la destruction d’une civilisation et d’une culture
exceptionnellement riches qui se sont abandonnées à une abominable machine à
tuer avant d’être broyées par les Alliés. La partition de Jarrell, qui utilise
l’informatique en temps réel et s’abstient de toute citation, est un grand
fleuve grondant dans les abysses du son qui pénètre l’âme de l’auditeur, tandis
que l’écriture vocale, foisonnante, oblige le baryton à descendre petit à petit
de l’aigu vers le grave de sa tessiture, ce qui trahit la progression de l’angoisse
du héros déchu et de la désolation de son cheminement.
Dans une mise en scène effilée
et puissante d’Hervé Loichemol qui enchaîne de belles images au cœur d’un impressionnant
paysage de ruines réalisé par Seth Tillett, Bo Skovhus, à la fois chanteur et
acteur éblouissant de bout en bout, campe un Siegfried blessé d’une
exceptionnelle présence. Dirigé par Stefan Asbury, l’Ensemble Multilatérale,
dissimulé par un rideau, en fond de scène, instaure un climat d’apocalypse qui
prend le spectateur à la gorge et soutient avec une fulgurante efficacité l’extraordinaire
performance d’acteur du baryton danois. A la fin, à la surprise générale, l’aigle
impériale allemand prend son envol et traverse la salle de part en part alors
que le rideau tombe…
Bruno Serrou
1) Jacques Lenot a composé pour
le festival D’autres murmures,
concerto pour trompette et grand orchestre qui est créé le 3 novembre par l’Orchestre
de Chambre de Genève et le Sinfonietta de Lausanne dirigés par Alexander Mayer
et, en soliste, Raphaël Duchateau.
2) Olivier Py, Siegfried, nocturne. Editions Actes Sud collection
« un endroit où aller », 70 pages (2013)
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