Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mardi 15
octobre 2013
Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia). Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées
Premier spectacle scénique du Théâtre
des Champs-Elysées de la saison 2013-2014, la
Vestale de Gaspare Spontini (1774-1851) n’avait pas été donné à Paris
depuis 159 ans. Pourtant, si le nom de son auteur reste ancré dans l’histoire
de la musique, il le doit à ce seul ouvrage, qui reçut en son temps un succès
foudroyant, et fut redécouvert par le biais de Maria Callas, pour qui l’ouvrage
avait été remonté en italien en 1954 à la Scala de Milan dans une mise en scène
de Luchino Visconti, avant d’être incarnée par des Régine Crespin, Renato
Scotto et autre Montserrat Caballé. Programmée dans sa version française
originale rétablie dans une édition critique publiée en 1993, sa réapparition au
Théâtre des Champs-Elysées aura suscité attente et espoir.
Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia) et le Choeur Aedes. Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées
L’œuvre elle-même déçoit. Cette tragédie lyrique en trois actes sur un
livret d’Etienne de Jouy qui, reprenant le concept de Gluck, inaugurait pourtant
en son temps un style nouveau, le grand opéra français avec ballets, scènes d’apothéose,
invocations divines, grands chœurs, etc., appelé à faire florès avec Rossini,
Meyerbeer et jusqu’à Saint-Saëns, a fait fureur dans l’Europe entière avant de
tomber peu à peu dans l’oubli. Donnée en français, italien, suédois et
allemand, l’œuvre a été célébrée par Berlioz et Wagner, qui l’a dirigée,
notamment à Dresde, et à qui Spontini déclara sans humilité que « depuis la Vestale, il n’est pas une note qui ne
fût volée à mes partitions ». Spontini, âgé de 33 ans lorsqu’il composa
cet ouvrage, entendait y fusionner le bel canto italien et la déclamation à la
française. Napoléon Ier en a été le premier spectateur lors d’une
représentation privée en
avant-première, Spontini étant à ce moment-là Compositeur de la chambre
de l’impératrice Joséphine depuis 1805. Aigles, sceptres, soldats et marche
triomphale de Lucinius de la Vestale font d’ailleurs référence à la
symbolique impériale instaurée par l’ex-premier Consul de la Première
République française. L’ouvrage sera créé à l’Opéra de Paris le 15 décembre
1807 avec un tel triomphe, atteignant près de cent représentations
consécutives, que son auteur devint sur le champ le compositeur officiel du Ier
Empire.
Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia), Andrew Richards (Licinius). Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées
L’action, qui a pour cadre la Rome de 269 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire
celle de la République, conte l’histoire de la jeune Julia devenue malgré elle l’une
des sept prêtresses de la déesse Vesta (1). Le hasard veut que lui revienne le
soin de déposer la couronne de lauriers des vainqueurs sur la tête de son bien-aimé
Licinius. Ce dernier lui déclare son intention de la kidnapper. Dans le temple
de Vesta, Julia garde la flamme et prie pour être libérés de la tentation
éternelle. Licinius arrive, lors
de leur réconciliation enthousiaste, la flamme arrive à expiration. Licinius est conseillé par Cinna de
fuir. Julia est interrogée par le
Grand Prêtre, mais elle refuse de nommer Lucinius ni même le connaître, y
compris lorsque ce dernier admet son intrusion dans le temple. Elle est condamnée
à mort pour le libertinage. Un
orage s’ensuit au cours duquel la
foudre ravive la flamme sacrée. Y voyant un signe des dieux, le Grand Prêtre et
la Grande Vestale libèrent Julia qui peut épouser Licinius. Une happy-end tirée
par les cheveux, quand on connaît le sort tragique qui attendait les vestales
et leurs amants. Quant à la partition, sans être clairement porteuse de l’avenir
qu’y voyaient ses contemporains, particulièrement Berlioz et Wagner, elle
est animée d'un certain souffle narratif, tandis que l’écriture
vocale se situe dans la ligne des opéras seria de Cherubini et de Rossini, bien plus originaux que Spontini.
Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia) et les vestales. Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées
Dans un espace
nu fermé dans le fond par une grille façon couvent de carmélites où sont
disposés des bancs de bois clair et un praticable circulaire symbolisant un
autel sur lequel sera posée par la suite une citerne-tombeau conçus par
Emmanuel Clolus et éclairés de lumières crues par Philippe Berthomé, la mise en
scène en noir et blanc d’Eric Lacascade s’avère apathique et sans originalité, la
direction d’acteur contrainte, à l’exception du personnage de Julia, il est
vrai campée par une Ermonela Jaho. Malgré une voix au timbre juvénile et aux
harmoniques limitées loin des grandes cantatrices qui se sont illustrées dans
ce rôle, la soprano albanaise brosse une héroïne spontanée et touchante à la vocalité
éclatante. Autre satisfaction, Konstantin Gorny, qui campe un Grand Prêtre
impressionnant, tant côté vocal que prestance. Andrew Richards (Licinius) et
Jean-François Borras (Cinna) - qui se voit affublé de mouvements incongrus qu’il
a l’ouverture d’esprit de reprendre lors des saluts - forment un duo d’amis d’une
totale homogénéité vocale et physique. Déception en revanche avec la Grande
Vestale de Béatrice Uria-Monzon, dont la voix est devenue plus instable que
jamais. Le chœur Aedes complète la distribution avec bonheur.
Gaspare Spontini, la Vestale. Konstatin Gorny (le Grand Prêtre), Andrew Richards (Licinius), Ermonela Jaho (Julia), Jean-François Borras (Cinna), Béatrice Uria-Monzon (la Grande Vestale). Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées
Dans la fosse, Jérémie
Rohrer dirige l’œuvre avec conviction et fermeté, au point de presser les
interprètes, instrumentistes et chanteurs, et de contraindre le lyrisme au
profit du tragique. Ce qui a également suscité des approximations de la part de
son orchestre, Le Cercle de l’Harmonie, particulièrement des cuivres, naturels
il est vrai, et un premier violon manquant singulièrement d’assurance.
Bruno Serrou
1) Il est à
noter que, au nombre de quatre à sept, les vestales étaient recrutées parmi des
jeunes filles de 6 à 10 ans nées de parents libres et vivants. Elles devaient
vouer trente années de leur existence au service de la déesse Vesta dans la
chasteté, symbole de la pureté du feu.
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