lundi 28 octobre 2013

Philippe Jordan dirige une Elektra de braise dans l’élégante mise en scène de Robert Carsen où s’impose la soprano suédoise Irène Theorin pour sa première apparition à l’Opéra de Paris

Paris, Opéra-Bastille, dimanche 27 octobre 2013


Richard Strauss (1864-1949), Elektra (1909). Irène Theorin (Elektra) et, porté par les coryphées, le corps d'Agamamnon. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR

Un peu plus de trois mois après l’extraordinaire et ultime production lyrique de Patrice Chéreau présentée au Festival d’Aix-en-Provence (voir La Croix du 12/07/13), l’Opéra de Paris présente à son tour l’un des plus violents opéras du répertoire, Elektra de Richard Strauss. Cette fois dans une production de Robert Carsen présentée dans le cadre du Festival du Mai Musical Florentin 2008.
Richard Strauss (1864-1949), Elektra (1909). Irène Theorin (Elektra) portée par les coryphées. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR
 
A l’Opéra de Paris, le drame des Atrides se déroule tout entier dans la fosse. Révélant ce qu’éprouve chacun des protagonistes, l’Orchestre de l’Opéra est plus voluptueux que jamais, répondant avec allégresse à la moindre sollicitation de Philippe Jordan, qui, avec une expressivité de braise, suscite des fortissimos flamboyants, avec une maestria, un sens aigu de la métaphore sur lesquelles les musiciens rebondissent avec délectation, attisant des couleurs d’une ductilité et d’une sensualité enivrantes.
Richard Strauss (1864-1949), Elektra (1909). Irène Theorin (Elektra) et les coryphées. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR
Comme à son habitude, le metteur Robert Carsen propose un spectacle à l’esthétique de belle facture, dans un décor monumental de Michael Levine qu’il éclaire magnifiquement, un cylindre de béton aux parois suffocantes symbolisant à la fois la claustration et le granit brun de Mycènes. Au sol, une terre battue noire au milieu de laquelle une trappe d’où émergera le corps décharné d’Agamemnon tel un Christ sortant du tombeau, et rampe d’accès pour les protagonistes aux appartements royaux. L’arrivée de la reine couverte d’une nuisette blanche portée sur un grand lit blanc tel un linceul par des servantes est un grand moment. Mais l’idée force du spectacle est une Elektra reproduite vingt-quatre fois à la façon d’un jeu de miroirs par autant de coryphées calquant ses moindres faits et gestes, l’écrasant parfois sous leurs corps ou la portant tel un trophée. Avec une direction d’acteur moins fouillée et brûlante que celle de Chéreau, le metteur en scène canadien s’adonne au hiératique, les protagonistes s’avérant davantage des allégories que des êtres de chair et de sang. Il va jusqu’à éviter la danse fatale finale et se garde de toute hystérie, faisant de Clytmnestre non pas un monstre mais une femme éperdue maître de son destin, tandis qu’Elektra semble rêver le sien, endormie au début comme à la fin de l’ouvrage. A noter aussi que tous les personnages sont vêtus de noir, à l'exception du couple meurtrier d’Agamemnon, revêtus de blanc.
Richard Strauss (1864-1949), Elektra (1909). Irène Theorin (Elektra) et les coryphées. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR
 
La distribution est d’une grande cohésion, sans point faible, si ce n’est que l’orchestre, de la place que j’occupais, avait légèrement tendance à couvrir parfois les chanteurs. Moins féline et polymorphe qu’Evelyn Herlizius vue à la Monnaie de Bruxelles en janvier 2010 lors de sa prise de rôle avant de devenir la fascinante Elektra de Chéreau, Irène Theorin est pour ses débuts à l’Opéra de Paris une héroïne moins névrotique qu’à l’ordinaire mais d’une musicalité confondante, ne forçant jamais sa voix, au point que l’on oublie vite un vibrato un peu large qui se resserre cependant une fois libérée de ses appréhensions. Riccarda Merbeth est une Chrysothemis énergique et spontanée, mais un peu dépourvue de sensualité, au timbre lumineux et à la ligne de chant pure. Waltraud Meier, déjà dans ce rôle à Aix-en-Provence, impose en Clytemnestre sa voix somptueuse au souffle infini. Une voix si belle que la soprano allemande en incarne un personnage plus humain et complexe que ce qu’en font les grandes sopranos dramatiques en fin de carrière à qui ce rôle est généralement dévolu. L’Egisthe de Kim Begley excelle en folie et en vaillance. Oreste statufié par sa sœur, Evgeny Nikitin frémit de l’intérieur, brossant de sa voix noble remarquablement timbrée un personnage ivre d’émotion, faisant de la scène de la reconnaissance un sommet d’exaltation.


Bruno Serrou

1 commentaire:

  1. Tout à fait ça. Depuis le fond du parterre c'est vrai, durant de brefs instants on entendait pas très bien les voix, surtout les hommes…

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