Festival de Montpellier, Opéra Berlioz Le Corum. Mass de Leonard Bernstein. Photo : (c) Bruno Serrou
Poursuivant
sa thématique abordée lors de la précédente édition consacrée à « Musique
et politique », cette fois autour des axes sans rapports évidents « Amérique »
et « Napoléon », le Festival de Radio France et Montpellier
Languedoc-Roussillon (sans doute l’intitulé le plus long de tous les festivals
dans le monde) s’est ouvert jeudi 11 juillet sur une œuvre voulant conglomérer
l’univers entier, à l’image de l’Amérique de l’ère Reagan. Composée entre 1969
et 1971, alors que la pop’ music était à son apogée, avec des groupes comme
Jimmy Hendrix and Experience, The Cream, The Who, The Doors, Crosby, Still,
Nash and Young, Simon and Garfunkel, The Mamas and The Papas, Otis Reding, John
Mayall, Bob Dylan et The Yarbirds, sans parler des Beatles et des Rolling
Stones, Mass de Leonard Bernstein (1918-1990)
semblait racoler sur les terres du jeunisme de l’époque, en fondant la musique
savante nord-américaine avec la chanson populaire post-rock & roll, des
Etats-Unis des Hippies, comme il l’avait fait en 1962 pour West Side Story avec la musique de la grande époque de Broadway.
La partition de Leonard Bernstein,
divisée en trente-deux numéros, est un véritable « melting pot »
typique des Etats-Unis, mêlant toutes les ethnies qui peuplent ce pays dans la
diversité de leurs cultures, de leurs musiques, de leurs rythmes, de leurs modes de vie et de leurs croyances. Sous-titrée
« A Theater Piece for Singers, Players and Dancers » (Une pièce de
théâtre pour chanteurs, instrumentistes et danseurs), l’œuvre est elle-même
amphigourique, avec ses presque deux heures de durée, un orchestre de fosse
comprenant cinq percussionnistes, célesta, piano, deux orgues numériques, harpe
et cordes, tandis que sur la scène sont réunis des groupes d’instruments à
vent, bois par deux avec saxophones et cuivres par quatre (cors, trompettes) et
trois (trombones) avec tuba, deux percussionnistes, deux synthétiseurs, guitare
acoustique, deux guitares électriques et deux guitares basses, auxquels sont
associés les voix d’un célébrant (baryton aigu), d’un soprano garçon, d’une maîtrise
de vingt voix d’enfants et d’un chœur mixte de soixante chanteurs, auxquels il
convient d’ajouter des « musiciens de rue » réunissant quarante
chanteurs solistes jouant de la percussion, dont trois steel drums… Il est à noter qu'à Montpellier tous les protagonistes étaient réunis sur le plateau, répartis dans l'espace en fonction des groupes constitués par Bernstein.
Côté textes, Leonard Bernstein a
associé, en collaboration avec Stephan Schwartz, les textes sacrés de l’ordinaire
de la messe à des éléments profanes, le latin, le grec, l’hébreu et l’anglais. Le célébrant, personnage central de l'œuvre, incarne un prêtre catholique
qui dirige l’office. Le chœur mixte chante le rituel de la messe latine, le chœur d’enfants
chante des antiennes et se mêle tour à tour au chœur mixte ou aux chanteurs de
rue. Ces derniers, à l’arrière-plan ou entourant l’officiant, participent
diversement à la célébration et aux prières, tandis que des assistants
du célébrant exécutent des danses
et officient autour de l'autel tout au
long de la messe.
Au début de Mass, tous les artistes sont en harmonie. Puis
le chœur rue commence à exprimer doutes et suspicions sur
la place de Dieu dans leur vie et
sur le rôle de la messe elle-même.
Au climax émotionnel
de l’œuvre, la cacophonie grandissante
de la complainte interrompt la célébration du Corps et du Sang (le
pain et le vin consacrés). Le célébrant,
fou de rage, jette
le pain sacré placé dans un ostensoir et le calice
de vin qui se brisent sur le sol.
Devant ce sacrilège, l’assistance et les concélébrants s'effondrent
comme s’ils étaient morts tandis que
le célébrant chante un solo où il avoue avoir perdu soudain la foi.
Le Saint-Esprit, incarné par la flûte solo, apparaît, dardant dans
des haut-parleurs dispersés dans la
salle, avant de « descendre »
sur une seule note clairement exposée.
Un enfant de chœur chante alors un hymne de louange à Dieu, ce qui restaure
la foi des trois chœurs,
qui se joignent au à l’enfant de chœur,
et disent au célébrant « Que la paix soit avec vous » et lui demandent la bénédiction divine. Comme dans la messe, les mots ultimes de Mass sont :
« La messe est dite, allez en paix. »
Ecrite
à la suite d’une commande passée en 1966 par Jacqueline Kennedy, veuve du président
John F. Kennedy assassiné en novembre 1963, à Leonard Bernstein pour l’inauguration
du Kennedy Center de Washington le 8 septembre 1971, Mass a été conçu en trois
ans, entre 1969, date à laquelle le compositeur laisse sa place de directeur
musical de l’Orchestre Philharmonique de New York à Pierre Boulez, et août 1971.
Réputé gauchiste, Bernstein s’attire avec cette œuvre l’ire des puritains et des ligues de
vertu qui protestent contre les hérésies d'un texte jugé à la limite du
blasphème, particulièrement la scène du calice brisé.
Sous
la direction de l’excellent James Judd, chef britannique étonnamment rare en France,
la distribution réunie à Montpellier a donné une étonnante unité à cette œuvre pourtant particulièrement diverse
, comme faite de bric et de broc. L’Orchestre National de Montpellier a brillé, tant
côté cuivres et bois que côté cordes, se montrant à la hauteur du somptueux Chœur
de la Radio Lettone, qui s’était déjà distingué voilà quelques semaines dans Scardanelli-Zyklus de Heinz Holliger
dans le cadre du Festival ManiFeste de l’IRCAM (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/05/un-pregnant-chef-duvre-de-la-fin-du-xxe.html),
tandis que l’Ensemble Aedes donnait vie au chœur de rue et que les enfants d’Opera
Junior (avec son soliste Josué Toubin-Pierre, dont la justesse fragile s’est
avérée touchante) ont instillé une joie de vivre et une exubérance de bon aloi. L’officiant
était incarné par Jubilant Sykes le bien nommé, tant son interprétation s’est
faite opulente et expansive (mais la sonorisation de sa voix était trop envahissante).
Reste à espérer que l’orchestre montpelliérain retrouve la sérénité et soit de
nouveau dirigé par de vrais professionnels de la musique capables d'attirer à sa tête
un directeur musical d’envergure internationale. Et pourquoi pas un chef
français, il s’en trouve d’excellents…
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire