Rencontres de Musique médiévale du Thoronet, Abbaye du Thoronet, mardi 16 juillet 2013
Rencontres de Musique médiévale du Thoronet, Abbaye du Thoronet. L'Ensemble Gilles Binchois entouré de la Maîtrise de la cathédrale du Puy. Photo : (c) EGB-le Puy ensemble©Fleur Boudignon
Art
exigeant et d’une expressivité évanescente, la musique médiévale est
confondante de beauté et de mystère. Elle irradie depuis vingt-deux ans
l’abbaye du Thoronet. Moins directement accessible que la musique baroque en
raison de la complexité de ses structures et de l’extrême pureté de ses lignes,
la musique du moyen-âge n’en suscite pas moins un engouement qui ne cesse de se
conforter par l’extrême qualité de ses interprètes. Plus rare dans les salles
de concert et dans les lieux les plus fréquentés par les mélomanes, elle tient
depuis plus de vingt ans un écrin idéal avec l’abbaye cistercienne du Thoronet,
dans le Var. Depuis 1991 y sont organisées les Rencontres internationales de Musique
médiévale qui associent concerts et académie dirigés par Dominique Vellard, spécialiste
incontesté de la musique de cette longue période de l’histoire qui court du
dernier quart du IXe siècle jusqu’au début du XVe. « Ce
festival a été conçu pour faire entendre la musique du moyen-âge dans son
infinie diversité, rappelle Vellard, directeur-fondateur de l’Ensemble Gilles
Binchois, formation-référence dans ce répertoire. Du grégorien à la chanson
profane, le répertoire est infini. »
Abbaye du Thoronet. L'Ensemble Gilles Binchois entouré de la Maîtrise de la cathédrale du Puy. Photo : (c) EGB-le Puy ensemble©Fleur Boudignon
Les
ensembles voués aux musiques de cette époque se développent à travers le monde,
sans pour autant proliférer. Curieusement, constate Vellard, la France a surtout
l’esprit au baroque, alors que ce sont les Français qui se sont parmi les
premier à s’être attachés à la musique ancienne, au milieu du XIXe siècle
tandis que l’architecte Viollet-le-Duc et l’historien Prosper Mérimée recensaient
et relevaient églises romanes et gothiques. « Je ne programme au Thoronet que
six concerts par édition, dit Vellard, car il n’y a pas encore assez
d’ensembles de haut niveau pour cette musique particulièrement délicate et raffinée.
J’invite aussi des ensembles de musiques extra-européennes savantes, car les
traditions sont comparables aux nôtres. » Pourtant, en trente ans
d’enseignement au Conservatoire de Lyon puis à la Schola Cantorum de Bâle
depuis 1982, Vellard a formé plusieurs générations de chanteurs qui à leur tour
transmettent l’art d’interpréter cette musique. Depuis six étés, quelques
semaines après le festival, l’Académie du Thoronet réunit une quinzaine de jeunes
chanteurs professionnels venant s’y perfectionner au répertoire liturgique dans
le cadre de sessions qui se concluent sur un concert public dans l’acoustique puissante
de la magnifique abbaye cistercienne. « Après cinq ans de Renaissance, les académies
sont consacrées depuis deux ans à un répertoire en adéquation avec ce lieu sublime
autour de l’interprétation du répertoire auquel je me consacre depuis
trente-cinq ans : le chant grégorien et l’Ecole Notre-Dame », précise Dominique
Vellard. Le chanteur-pédagogue a appelé à ses côtés pour cette session les
sopranos Anne Delafosse et Anne-Marie Lablaude, deux spécialistes des
répertoires liturgiques médiévaux et membre de l’Ensemble Gilles Binchois. Actuellement
séparés dans le temps par une quinzaine de jours entre juillet et août, Académies
et Rencontres seront concentrées dès l’été 2014 sur deux semaines de festival
dans la deuxième quinzaine de juillet.
C’est
avec son Ensemble Gilles Binchois associé à la Maîtrise de la cathédrale du Puy
que Dominique Vellard a ouvert l’édition 2013 des Rencontres de Musique
médiévale du Thoronet, qu’il a fondées voilà vingt-deux ans. Au programme, une
heure trente des vingt-quatre heures de l’Office de la Circoncision à la
cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation du Puy-en-Velay. Ce manuscrit du XVIe
siècle redécouvert au XIXe se fonde sur une tradition née au XIIe
siècle alors que Le Puy connaissait un premier apogée comme ville-départ de l’un
des chemins de Compostelle les plus fréquentés. La fête de la Circoncision
était l’un des moments phares de l’année liturgique. Chantée par les pueri (les plus jeunes clercs), les diacres,
sous-diacres et prêtres, elle concluait au moyen-âge, le 1er
janvier, l’octave de Noël, et connaissait un écho comparable à la fête des
Fous. Le fonds du temps de Noël le plus important se trouve dans la cathédrale
du Puy-en-Velay, remarque Vellard, car il témoigne de l’évolution de ce
répertoire entre les XIIe et XVIe siècles, antiennes,
psaumes, répons, qui est celui que l’on chante encore dans les monastères. S’y
ajoutent des compositions du XIIe siècle sur la poésie latine de l’Ars cantica
conçus pour être mis en musique, préfigurant ainsi le lied. « Bien que
le Puy soit un point de départ des chemins de Compostelle, la ville était à la
fin du moyen-âge à l’écart des centres d’activité de l’époque, rappelle
Vellard. Ce n’est qu’au Puy que se trouve réuni dans une même source un
ensemble de pièces d’époques aussi différentes qui découle certes de la
tradition propre à la cathédrale mais atteste aussi de l’extraordinaire élaboration
artistique que l’office divin a pu connaître au cours des siècles. » Le
jour de l’octave de Noël tombant le 1er janvier, le thème
central des textes est la célébration de la vierge Marie autant que du jeune
Sauveur. De ce fait, le ton est à l’allégresse. « Outre les copies des chants
grégoriens, le fonds du Puy compte une vingtaine de polyphonies du XVIe
siècle de grande qualité, se félicite Vellard. J’imagine-là la main d’un très grand
compositeur hélas anonyme, car il ne s’y trouve aucune faute et l’ensemble est
remarquablement conçu. Tout est en effet précisément noté et rubriqué, les
déplacements, les effectifs, les dispositions, la répartition des chants, entre
adultes et enfants, etc. » Vellard rappelle qu’il existait à l’époque au
Puy une petite université catholique qui formait les clercs dont le bâtiment
jouxtait la cathédrale mais qui préservait cependant une certaine indépendance
par rapport au clergé. En outre, Le puy était célèbre à l’époque pour ses saintes
reliques, l’une ayant appartenu à l’intimité du Christ, l’autre étant la paire
de sandales que la Vierge a abandonnée lors de son assomption…
Les
célébrations de la fête de la Circoncision s’étendaient sur vingt-quatre
heures, et réunissaient les chantres et les clercs de toutes les églises du
Puy-en-Velay qui se relayaient dans le cours des offices se succédant dans la
cathédrale. Six chanteurs de l’Ensemble Gilles Binchois et dix des cinquante
jeunes choristes - contrairement aux canons médiévaux, étaient réunis filles
(au nombre de trois) et garçons - de la Maîtrise de la cathédrale du Puy fort
bien préparés par leur chef de chœur Emmanuel Magat. Une heure trente durant,
ces enfants ont dialogué, répondu et chanté de concert en authentiques
professionnels avec leurs aînés de l’Ensemble Gilles Binchois, ne quittant pas
du regard les mains singulièrement expressives de Dominique Vellard (ténor),
qui dirigeait et chantait à la fois entouré de ses chanteurs, David Sagastume
(alto), François Roche, Gerd Türk (ténors), Emmanuel Vistorky (baryton) et Joël
Frederiksen (basse). Une heure trente d’extase à ne pas toucher terre, hors du
temps, tout de lumière et d’ardente spiritualité, d’une prégnante beauté
magnifiée par ces voix pures et droites, d’où s’extrait la voix intense aux brûlantes
harmoniques de Dominique Vellard tout juste remis pourtant d’une fatigue de ses
cordes vocales. La soirée est si vite passée que le public, qui a fait le plein
de l’abbaye, s’est mis à rêver d’une intégrale de l’office, sur le modèle du
Soulier de Satin de Paul Claudel. « L’idée est excellente, a convenu
Dominique Vellard, mais à la condition de réunir un plus grand nombre de chantres
et de maîtrisiens, pour pouvoir alterner. » Il est vrai que les
quatre-vingt-dix minutes de concert se sont avérées d’une densité incroyable,
la mise en place rigoureuse et la réalisation vocale au cordeau, ce qui
requiert une concentration de chaque instant de la part des chanteurs.
Bruno Serrou
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