Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 12 juin 2024
Dernier programme de la saison à la Philharmonie de Paris de l’Orchestre de
Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä, dans un programme où la
formation allait decrescendo, avec une orchestration énorme pour une création
en France d’une œuvre richement orchestrée mais statique du Tchèque Miroslav
Srnka, suivi du Concerto pour piano n° 2 de Camille Saint-Saëns par un
Lang à la technique d’airain mais jouant de tout sauf de la musique déclenchant
néanmoins des salves d’applaudissements. Le meilleur était à la fin avec une
tonique Symphonie pour cordes n° 10 de Felix Mendelssohn-Bartholdy, puis une rayonnante Symphonie n° 31 « Paris » de
Wolfgang Amadeus Mozart, l’Orchestre de Paris allant se déplumant, commençant
avec une centaine de musiciens pour terminer à une cinquantaine…
C’est avec une œuvre nouvelle, du moins en France, que l’Orchestre de Paris
au grand complet a ouvert le programme de cette dernière semaine de sa saison
2023-2024 à la Philharmonie avec Superorganisms
(2022) de Miroslav Srnka (né à Prague en 1975) dont il est l’un des cinq
commanditaires - c’est dire le volume du budget nécessaire pour la genèse de
cette pièce d’une vingtaine de minutes -, avec les Philharmoniques de Berlin,
Los Angeles et Tchèque, et le Symphonique de la NHK de Tokyo, qui en a donné la
création voilà un an, le 27 juin 2023, sous la direction de Ryan Wigglesworth.
Elève entre autres d’Ivan Fedele (2002) et de Philippe Manoury (2004) après
avoir suivi le cursus de l’IRCAM en 2001, lauréat de la Fondation Ernst von
Siemens 2009, le Tchèque Miroslav Srnka, violoniste de formation, a participé à
l’édition critique des œuvres de Dvořák, Janáček et Martinů, avant de s’imposer à son tour comme compositeur,
notamment par ses opéras Make no Noise
et South Pole créés à Munich en 2011
et 2015 sur des livrets de Tom Holloway. Musicien de l’intime, il a néanmoins
écrit pour de grandes formations orchestrales avec le triptyque move 01-03 conçu en 2015 et 2016. Les Superorganisms proposés par l’Orchestre
de Paris, au nombre de quatre, comme autant de mouvements de symphonie, requièrent
la participation de quatre vingt quinze musiciens (bois par quatre, six cors,
quatre trompettes et trombones, piano,
deux accordéons, quatre percussionnistes, deux harpes, cordes (14, 14, 10, 10,
8)). Magistralement orchestrée, l’œuvre séduit dans l’ensemble, et fascine dès
l’abord, avec un premier mouvement aux sonorités foisonnantes. Mais le discours
se faisant de plus en plus statique, se focalisant sur timbres et intensités, l’écoute
finit assez rapidement à partir du deuxième super organisme par se relâcher peu
à peu.
Mais le public n’était pas venu à ce concert pour cette œuvre nouvelle, qui, malgré son statisme, méritait d’être découverte et de bénéficier d’une écoute attentive. En fait, c’est le pianiste chinois people Lang Lang qui aura attiré le chaland. Il faut reconnaître qu’il a une technique stupéfiante, et que son toucher est d’une variété et d’une élasticité éblouissante. Mais cela ne suffit pas pour faire l’immense interprète que la popularité et les contrats publicitaires semblent vouloir désigner et célébrer. A l’écoute de chacune de ses prestations, il émane de ses propositions un sentiment de frustration, tant il se trouve de qualités techniques dignes d’un véritable orfèvre en matière sonore, mais de musique il n’en est hélas point question, avec des choix d’interprète qui flirtent avec le mauvais goût. Comme après chacune de ses prestations auxquelles j’ai assisté (la dernière fois, c’était à Hambourg en octobre 2022), je reste sans voix, tant Lang Lang se sert clairement de la musique au lieu de la servir, et ses grands gestes suspendus des mains et des bras fort éloignés de toute spontanéité, ses yeux levés telle une madone suppliante vers le ciel cherchant à tirer des larmes qu’il ne trouve malheureusement pas, ne peuvent éveiller chez l’auditeur le moindre sentiment, tant le pianiste se pâme au point que l’on a l’impression d’assister à un numéro de cinéma muet de veuve éplorée.
Cette fois, c’est le Concerto n°
2 en sol mineur op. 22 (1868) de Camille Saint-Saëns (1835-1921) qui en a
fait les frais, cela dès la longue cadence introductive du soliste, et l’on ne
retrouve rien de la mélodie élégiaque dans l’esprit de Chopin, et seul le
virtuose finale suscite quelque intérêt. Persévérant dans l’absence de goût,
Lang Lang a proposé en bis une
sirupeuse Romance de la compositrice parisienne
« Belle Epoque » Charlotte Sohy (1887-1955), amie de Nadia Boulanger
et Mel Bonis, disciple de Louis Vierne et Vincent d’Indy.
Célébrant le classicisme, la seconde partie du concert se sera avérée plus
attachante que la première. Pour ma part, je ne m’attendais pas à être séduit à
ce point par une œuvre de jeunesse de Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847),
la dixième des treize Symphonies pour
orchestre à cordes, celle en si
mineur composée en 1823 en un mouvement unique comptant trois parties (Adagio-Allegro-Più presto). Née de l’esprit
d’un compositeur de quatorze ans, marquée de l’influence de Carl Philipp
Emanuel Bach (1714-1788) cette symphonie de moins d’une douzaine de minutes est
brillamment instrumentée et d’une vivacité qui stimule l’esprit et l’écoute,
tant il en émane de spontanéité, d’élan, de fluidité, de transparence célébrant
un plaisir dans l’écriture qui ramifie l’œuvre entière et qu’ont su exalter les
cordes de l’Orchestre de Paris, aux effectifs pourtant fournis, avec rien moins
que six contrebasses… Cette charmante page de Mendelssohn préludait à la Symphonie n° 31 en ré majeur KV. 297 de
Wolfgang Amadeus Mozart. Composée en 1788 à Paris, où elle a été créée le 18
juin 1778 par Le Concert Spirituel, cette œuvre ne cesse de ménager la
surprise, avec de puissants crescendos et un riche nuancier au sein d’une
écriture virtuose mais d’une grande expressivité où le chant et les chatoiements
mènent le bal. Sous la direction chorégraphique de Klaus Mäkelä, l’Orchestre de
Paris a donné de cette symphonie née de l’esprit d’un Mozart de vingt-deux ans
désireux de conquérir le public parisien une interprétation rutilante, gracieuse,
aérienne, un vrai bonheur pour l’oreille.
Ce concert était aussi l'ultime prestation de deux des musiciens de l'Orchestre de Paris, le violoniste Gilles Henry et le corniste Jean-Michel Vinit, que leurs collègues saluent avec chaleur dans les pages du programme de salle des deux concerts de cette semaine.
Bruno Serrou
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