Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 5 juin 2024
Récital en trois parties allant
crescendo de Yuja Wang à la Philharmonie de Paris ce mercredi soir, toujours
les pieds enserrés dans des échasses, changeant de robe à la coupe improbable
durant l’entracte, et jouant avec une tablette numérique sur le pupitre de son
Steinway d’un soir. La première partie, la Sonate op. 26 de Samuel Barber contrainte et huit Préludes de Chostakovitch plus engagés mais un rien froids,
deuxième partie les quatre Ballades
de Frédéric Chopin virtuoses et souples mais manquant de poésie et de
contrastes. La troisième partie était plus développée que les deux précédentes,
avec ses quarante minutes de bis, au
nombre de dix, la pianiste chinoise se libérant totalement pour devenir
éblouissante, inventive, fine coloriste, les doigts volant au-dessus du clavier
avec une maîtrise phénoménale
La première partie du récital
mettait en regard deux contemporains des deux nations rivales, l’Etats-Unien
Samuel Barber (1910-1981) et le Russe (soviétique) Dimitri Chostakovitch
(1906-1975). Composée en 1949 sur l’initiative de Vladimir Horowitz qui l’a
créée le 9 décembre de la même année à La Havane, la Sonate op. 26 de Barber est d’une virtuosité à la hauteur des
aptitudes exceptionnelles de son créateur alterne dans ses quatre mouvements
tragique (l’Adagio), jubilation et
lyrisme dans un style classique nord-américain, enrichi par l’étude approfondie
de la création de Jean-Sébastien Bach. Yuja Wang en a donné une lecture un rien
trop sage, particulièrement l’Allegro
energico initial où elle semblait se chercher ou se jauger, comme si elle
cherchait à se rassurer, ce qu’elle a réussi à faire dès l’Allegro vivace e leggero sublimé par son touché aérien. De
Chostakovitch, Yuja Wang a proposé un patchwork des deux livres de Préludes où le compositeur russe rend li
aussi hommage à Bach, cinq de l’opus 34 (n°
5, 10, 12, 16 et 24) de 1932-1933, ponctués par trois du cycle de Préludes et fugues op. 87 (n° 2, 8 et
15) de 1950-1951 situés au début, au milieu et à la fin. « Je me sens
particulièrement proche du génie de Bach, reconnaissait modestement
Chostakovitch en 1950, année du bicentenaire du cantor de Leipzig. Bach joue un
rôle important dans ma vie. Je joue tous les jours une de ses pièces. C’est
pour moi un véritable besoin, et ce contact quotidien avec la musique de Bach
m’apporte énormément. » Yuja Wang en a restitué l’esprit baroque avec
lucidité et naturel, en restituant les couleurs et la grâce avec délice,
enchaînant les pages sans véritables pauses, une fois que le public eût fini
par comprendre les signes d’agacement bien sentis que la musicienne tenait à ne
pas être interrompue dans le développement de son propos.
La seconde partie « officielle »
du récital était entièrement consacrée à Frédéric Chopin (1809-1849) et à ses quatre
Ballades jouées dans l’ordre
chronologique, finissant par la fa mineur
op. 52 de 1842 à laquelle elle a donné dans des tempi très (trop ?) retenus une densité saisissante soulignant l’écriture harmonique caractéristique
du compositeur et de son art de la polyphonie traversé de sentiments les plus divers d’une humanité profonde. Connue du public cinéphile
par le grand film le Pianiste de
Roman Polanski (2002), la Ballade n° 1 en
sol mineur op. 23 (1831/1835) instillant à cette œuvre le ton plaintif
idoine mais sans mièvrerie, en présentant tous les sentiments qu’elle renferme,
félicité, nostalgie, désolation, jubilation[ passant de l’un à l’autre avec brio. Composée à
Nohant et Majorque entre 1836 et 1839, la Ballade
n° 2 en fa majeur op. 38 dédiée à Robert Schumann en réponse à la dédicace
de ce dernier de ses Kreisleriana a connu
sous les doigts de Yuja Wang a alterné souplesse, et envolées âpres. Chantante et
onirique sous les doigts de magicienne de la pianiste chinoise, la troisième
Ballade en la bémol majeur op. 47 de
1840-1841 que Chopin a dédiée à son élève Pauline de Noailles a touché par la
profusion des sentiments mais trop pudique sans doute.
Yuja Wang a poursuivi son récital en
offrant une véritable troisième partie, la plus passionnante de la soirée, avec une généreuse et éblouissante
série de bis ou d’encore, dix pièces dans lesquelles la
fabuleuse pianiste chinoise est apparue plus charismatique encore que dans le
cours de l’exécution de son programme, comme libérée de toute contrainte, les
doigts courant sur le clavier en les effleurant à peine tout en tirant des
sonorités de braise, pleines, scintillantes et fluides mais aussi profondes,
feutrées, colorées d’harmoniques d’une richesse extraordinaire une quarantaine
de minutes durant, entre saluts, rappels, recherche des œuvres dans le
programme de sa tablette et exécution des morceaux, jouant avec un bonheur
communicatif un large panel de pages de tous styles, commençant par un extrait
du Songe d’une Nuit d’été de Félix
Mendelssohn-Bartholdy, puis la chanson Danzon
n° 2 du Mexicain Arturo Marquez (né en 1950), L’Alouette du Russe Mikhaïl Glinka (1804-1857), une Suite de du pianiste autrichien Friedrich
Gulda (1930-2000), la Toccata du Tombeau de Couperin de Maurice Ravel
(1875-1937), l’Allegro molto du Quatuor n° 8 de Dimitri Chostakovitch, la
sixième des douze Notations de Pierre
Boulez (1925-2016), la sixième Etude de
Philip Glass (né en 1937), l’Allegro
molto vivace de la Symphonie n° 6
« Pathétique » de Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) et Marguerite au Rouet de Franz Schubert (1797-1828)…
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire