Paris. Philharmonie. Le Studio. Lundi 3 juin 2024
Court programme mais dense et intimiste lundi soir Studio de la Philharmonie de Paris intitulé Cage2 consacré au piano préparé de John Cage (1912-1992) par Bertrand Chamayou avec la chorégraphe danseuse Elodie Sicard, concepteurs de la soirée, Chamayou, qui fréquente assidûment la musique du compositeur new-yorkais jouant vingt pièces pour piano préparé du compositeur new-yorkais. Quatre pianos distribués aux points cardinaux du plateau sur lesquels le musicien alterne les pièces du programme tandis que chaque piano à tour de rôle est dextrement préparé par Anna Paulina Hasslacher, tandis que la danseuse s’exprime au cœur de l’espace délimité par les instruments (un Bösendorfer, un Steinway, un Yamaha, le quatrième trop éloigné de l’endroit où je me trouvais restant non identifié).
Voilà quelques semaines, Bertrand
Chamayou publiait chez Warner un CD intitulé Cage2 reflet d’un spectacle dont il a eu l’initiative
avec la danseuse chorégraphe Elodie Sicard. C’est ce même spectacle que les
deux protagonistes ont présenté lundi Studio de la Philharmonie de Paris plein
comme un œuf. Il faut dire que le renom du pianiste et l’idée d’une
chorégraphie sur la musique du compositeur états-unien a de quoi séduire,
considérant les relation de Cage avec la danse, lui qui travailla avec les plus
grands chorégraphes de son temps, de ses débuts d’accompagnateur des cours de
danse de Bonnie Bird à la Cornish School of the Arts à Seattle à son étroite et
longue collaboration avec Merce Cunningham et sa compagnie de danse (MCDC), mais
aussi pour la danseuse Louise Lippold, en passant par sa première pièce pour
piano préparé (une Bacchanale) pour
la chorégraphe Syvilla Fort en 1938, et ses textes sur les relations
danse/musique comme But, musique nouvelle,
danse nouvelle, Grâce et clarté
et En ces temps. « C’est avec
les Seize Danses que je suis entré -
avec confiance – dans le domaine du hasard, rappellera Cage à Daniel Charles en
1970. En effet, Merce Cunningham avait à ce moment-là des idées très semblables
à celles que développaient mes Sonates et
Interludes. Cela signifiait qu’il voulait une musique qui exprimât des
émotions. Alors j’ai voulu voir si je pouvais répondre à une commande de
musique ‘’expressive’’ en me servant des moyens du hasard. »
Le spectacle concocté par Bertrand Chamayou et Elodie Sicard qui a été créé théâtre Le Manège à Reims, se fonde sur vingt pièces écrites par John Cage entre 1940 et 1945 pour le piano préparé, sorte de piano augmenté en plaçant dans les cordes boulons, vis, pièces de monnaie, éléments en caoutchouc, laine, plastique, bambou… Les deux artistes ont sélectionné douze pièces que John Cage a écrites pour des solos de danse, notamment pour Syvilla Fort, Valérie Bettis, Wilson Williams, Pearl Primus, Jean Erdman et Merce Cunningham : Mysterious Adventure (1945), The Unavailable Memory Of (1944), In the Name of the Holocaust (1942), The Perilous Night (1944), Roots of an Unfocus (1944), Daughters of the Lonesome Isle (1945), A Valentine out of Season (1944), Tossed as it is Untroubled (1944) pour Merce Cunningham, Primitive (1942) pour Wilson Williams, la Bacchanale de 1938-1940 pour Syrilla Fort, Our Spring Will Come (1943) pour Pearl Primus et And the Earth Shall Bear Again (1942) pour Valérie Bettis.
L’écoute des œuvres est une véritable fête sonore, tant il se trouve d’inattendu dans les sons et les résonances… A commencer par celle de la danse. Les pas de la danseuse et le jeu du pianiste se complètent et se répondent avec naturel en toute complicité, sans jamais se nuire ni se télescoper l’un l’autre, et la présence de la préparatrice des pianos, Anna Paolina Hasslacher, qui introduit, déplace et retire les divers objets dans les cordes de chaque piano en fonction des réglages stipulés dans chacune des partitions, ajoute à la dramaturgie réglée par Jérémie Scheidler. L’on sent combien Bertrand Chamayou aime cette musique rare, jouant avec un aléatoire sonore plus ou moins contrôlé et varié, qui suscite un rapport d’intimité enrichie par le dialogue constant avec la danseuse. Il résulte de cette relation originellement voulue par le compositeur et son chorégraphe de prédilection, Merce Cunningham, un réel plaisir pour les oreilles et pour les yeux, ménageant continuellement la surprise, d’où il n’émane aucune impression de longueur, bien au contraire. Ce spectacle, repris dans plusieurs villes de France, notamment à Saint-Jean-de-Luz dans le cadre du Festival Ravel, vaut vraiment le détour.
Bruno Serrou
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