samedi 11 mai 2024

Le « Don Quichotte » de Jules Massenet acclamé à l’Opéra de Paris Bastille

Paris. Opéra Bastille. Samedi 10 mai 2024 

Jules Massenet (1842-1912), Don Quichotte. Christian Van Horn (Don Quichotte), Gaëlle Arquez (Dulcinée). Photo : : © Emilie Brouchon - OnP

Première ce vendredi soir d’une nouvelle production de Don Quichotte de Jules Massenet à l’Opéra de Paris, qui l’a accueilli dans son répertoire en 1974, cette fois à Bastille, dirigé par Patrick Fournillier, fondateur de la Biennale Massenet de Saint-Etienne, et mis en scène par Damiano Michieletto dans une immense et froide bibliothèque contemporaine conçue par Paolo Fantin. Œuvre mineure, certes, mais qui a été vaillamment interprétée par Gaëlle Arquez, Christian Van Horn et Etienne Dupuis 

Jules Massenet (1842-1912), Don Quichotte. Christian Van Horn (Don Quichotte), Etienne Dupuis (Sancho Pença). Photo : : © Emilie Brouchon - OnP

Voilà deux ans, l’Opéra de Paris proposait une production inédite de Cendrillon de Jules Massenet (1842-1912) (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/04/cendrillon-de-massenet-fait-une-pale_2.html). Cette fois c’est au tour du pénultième ouvrage scénique, Don Quichotte du même compositeur créé de son vivant de faire son retour à l’affiche de l’Opéra de Paris. « Comédie héroïque » composée en 1908-1909, cet ouvrage est le sixième qu’a commandé à Massenet l’Opéra de Monte-Carlo, où il a été créé le 24 février 1910 avec dans le rôle-titre la célèbre basse russe Fédor Chaliapine pour qui il a été écrit, et en Dulcinée la contralto française Lucy Arbell, qui avait précédemment participé aux créations d’Ariane (1906), Thérèse (1907), Bacchus (1909). Parangon de la littérature espagnole né de l’imaginaire de Miguel de Cervantès (1547-1616) pour son roman de chevalerie L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, le personnage est un hobereau généreux idéaliste qui se pose en redresseur de torts protecteur des plus démunis obsédé par les récits de chevalerie. De l’originale, il a été tiré de ce roman épique quantité d’adaptations, du comique pur à la satire sociale et politique. L’opéra de Massenet ne fait pas exception, car ce n’est pas sur le texte de Cervantès que le compositeur a fondé son ouvrage mais sur le drame héroïque en quatre actes du dramaturge français Jacques Le Lorrain (1856-1904) créée en 1906 Le Chevalier de la longue-figure d’après lequel Eugène Henri Cain (1857-1937) - signataire entre autres de celui de Cendrillon - a réalisé son livret dans lequel le personnage de Dulcinée devient central.

Jules Massenet (1842-1912), Don Quichotte. Gaëlle Arquez (Dulcinée). Photo : : © Emilie Brouchon - OnP

Hidalgo obnubilé par la littérature de chevalerie dont il collectionne les livres dans sa bibliothèque de façon maladive, Don Quichotte a naturellement conduit le metteur en scène Damiano Michieletto à situer l’action dans une bibliothèque  moderne à dominante blanche aux dimensions du plateau de l’Opéra Bastille conçue par le décorateur Paolo Fantin sur le mur de laquelle sont projetées des vidéos des rêves de Don Quichotte et de la vie qui l’entoure. Très chaleureusement accueilli par le public de l’Opéra Bastille, le propos de Damiano Michieletto est donc clair, se situant dans un lieu unique où le drame se joue en entier. Héros décalé, défenseur de valeurs qui n’intéressent pas la société qui l’entoure mais d’un tel rayonnement, d’une telle humanité qu’il vainc les cœurs les plus endurcis, Don Quichotte est un solitaire idéaliste que seul son écuyer Sancho comprend mais dont le courage, la dignité et la bonté sont si rayonnants qu’ils le sauvent des turpitudes et des situations les plus délicates. Dulcinée est au contraire pleine de fatuité et de superficialité. Elle évolue dans un monde bigarré, artificiel qu’elle partage avec les fougueux danseurs espagnols qui l’entourent. Dans l’acte final, le chevalier à la triste figure, tombé de haut après que sa Dulcinée lui eût révélé qui elle est en vérité, s’éteint discrètement sur le canapé de sa bibliothèque, le regard fixé sur une étoile qui apparait sur le mur de sa bibliothèque qu’il confond avec le visage de sa belle, tandis que seul le pleure son valet, qui ouvre le livre de souvenirs L’Île des rêves légué par son maître tandis que résonne la voix de Dulcinée. La vision du metteur en scène est si centrée sur le drame du chevalier à la triste figure qu’il en oublie l’humour et la légèreté qui émanent du personnage polymorphe de Sancho Pença.

Jules Massenet (1842-1912), Don Quichotte. Etienne Dupuis (Sancho Pença), Christian Van Horn (Don Quichotte). Photo : : © Emilie Brouchon - OnP

Habituée des plateaux de l’Opéra de Paris où elle est invitée régulièrement depuis 2012 (on l'a retrouvée en février dans le rôle-titre de Giulio Cesare de Haendel), la mezzo-soprano Gaëlle Arquez, qui s’était également illustrée en avril 201 au Capitole de Toulouse lors de la création des Pigeons d’argile de Philippe Hurel (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2014/04/les-pigeons-dargile-de-philippe-hurel.html) est une brillante Dulcinée, sensuelle, vive, délurée, au timbre de braise, et au physique aussi harmonieux que la voix dans ce rôle plus ou moins ingrat tant il est difficile de s’y imposer, ce que la cantatrice française réussit sereinement. Brillant comédien, Christian Van Horn a la stature longiligne et élancée qui sied au rôle-titre associée au panache et à la générosité du personnage, la voix est séduisante, le timbre noir est idéal, et il est indéniable que, malgré quelques imprécisions, le baryton-basse états-unien a progressé dans son élocution de la langue française depuis son Méphistophélès à Bastille dans le Faust de Gounod en juin 2022. Le baryton québécois Etienne Dupuis est un Sancho sobrement charismatique, puissant et engagé mais trop sérieux et conscient pour réconforter son maître. Plus anecdotique, le reste de la distribution est d’excellent niveau, pourvue de membre de la Troupe lyrique de l’Opéra de Paris – la soprano Emy Gazelles en Pedro, la mezzo-soprano Marine Chagnon en Garcias, le ténor Nicholas Jones en Juan) et du Chœur homogène et mobile de l’Opéra de Paris (les barytons Young-Woo Kim et Hyunsik Zee), chœur qui participe largement à la réussite du spectacle, autant scéniquement que musicalement.

Jules Massenet (1842-1912), Don Quichotte. Photo : : © Emilie Brouchon - OnP

Dirigé de façon idiomatique par le chef français Patrick Fournillier, actuel directeur musical de l’Opéra National de Pologne Teatr Wielki à Varsovie, ardent serviteur de Massenet dont il connaît intimement les arcanes d’une musique pour laquelle il a créé en 1990 la Biennale internationale Massenet à l’Opéra de Saint-Etienne, la ville natale du compositeur, qui a perduré jusqu’en 2015, l’Orchestre de l’Opéra de Paris s’est engagé sans réserves dans cette partition de second rayon du compositeur stéphanois, au point de se laisser porter par l’écriture souvent opaque et surlignée de l’ouvrage qu’il a fait sonner de façon parfois excessivement généreuse, à la limite de la saturation, mais suscitant de temps à autres des délices de timbres et de rythmes ibériques, très « couleur locale » mais exposés sans artifices par l’orchestre de fosse, et l’on a vainement cherché la guitare flamenca qui s’exprime copieusement dans l’acte IV… Fait plutôt rare à l’Opéra de Paris pour être relevé, l’ensemble de la production, chanteurs solistes, chœur, chef, metteur en scène et équipe de production au grand complet ont été acclamés au terme de la représentation…

Bruno Serrou

Opéra de Paris Bastille jusqu'au 11 juin 2024 

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