Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Vendredi 25 mai 2024
Concert de l’Orchestre de la Staatskapelle Dresden au Théâtre des
Champs-Elysées dans un programme où il excelle. Son chef titulaire, Christian
Thielemann, malade, était remplacé par sa consœur française Marie Jacquot, qui
n’a pas eu le temps d’assouplir la fabuleuse phalange saxonne devenue touffue
et pesante sous l’influence trop longue de Thielemann à sa tête. Manque de
tension, d’énergie, de sens de la narration dans Don Juan et Till Eulenspiegel lustige Streiche de Richard Strauss (1864-1949), qui illustre dans ces poèmes
symphoniques de grands textes littéraires, et la mythique phalange saxonne,
orchestre straussien s’il en est, est pesant, contraint, univoque côté
couleurs, peu sensuel, son directeur musical depuis trop longtemps, Christian
Thielemann, ayant d’évidence terni son caractère brillant, bondissant,
virtuose, fluide. Mêmes phénomènes dans la Symphonie IV de Johannes Brahms
(1833-1897), allant se relâchant, le meilleur au début, les deux derniers
mouvements paraissant sans ressorts
Le programme proposé par l’aîné des orchestres allemands était fort bien pensé, avec deux extraordinaires poèmes symphoniques du jeune Richard Strauss, son compositeur favori qui, quelques années avant de concevoir ces deux partitions, avait participé à Meiningen à la création de la dernière symphonie de Brahms sous la direction de ce dernier, auprès de Hans von Bülow, premier mari de Cosima Liszt-Wagner et ami de Brahms alors directeur de la formation qui avait choisi pour premier chef assistant son jeune et brillant confrère bavarois. La première partie du concert était vouée à deux des Tondichtung de Richard Strauss. Ces deux partitions ont été exécutées dans l’ordre chronologique. D’abord Don Juan op. 20 composé en 1888-1889 et créé à Weimar le 11 novembre 1889, un an après la rencontre de son auteur avec la soprano Pauline de Ahna, fille de général qui allait devenir en 1894 la compagne de sa vie qu’il dépeindra dans plusieurs de ses partitions. Cette œuvre d’un quart d’heure composée entre Aus Italien op. 16 et Macbeth op. 23 et qui suscita l’admiration de Hans von Bülow et de Cosima Wagner, illustre les vers de Nikolaus Lenau dont des passages sont repris en exergue du conducteur. La première partie, radieuse, dépeint le caractère du burlador, tandis que la partie centrale dominée par un somptueux solo de hautbois, est la première grande scène d’amour don Richard Strauss se délectera dans quantité de ses créations qui débouche ici sur ample crescendo sèchement interrompu par un funèbre silence personnifiant la mort du héros. Dès ces premières pages particulièrement attendues pour préjuger de l’atmosphère du concert l’on a pu mesurer combien il aura fallu à la cheffe pour obtenir l’adhésion de l’orchestre afin qu’il aille dans le sens qu’elle souhaitait, comme si les musiciens trainaient des pieds et tentaient de freiner des quatre fers. Tant et si bien que, malgré des solos de premier ordre, du premier violon au hautbois en passant par le cor, la cohésion n’était étonnamment pas parfaite, ce qui étonne de la part de cette phalange, la cheffe et l’orchestre n’allant pas tout à fait dans le même sens.
Dans Till Eulenspiegels lustige Streiche op. 28 (Les joyeuses épopées de Till l’Espiègle) plus virtuose, rutilant et enlevé encore que Don Juan, il est apparu clairement que l’entente chef/orchestre était loin d’être parfaite. De légers flottements dans les attaques, les couleurs straussiennes trop sombres, les tensions dramatiques des saynètes, les grincements du feu follet moqueur et l’orchestration foisonnante de ce court mais vivifiant poème symphonique se sont avérés ternes, malgré les gestes larges et énergiques de Marie Jacquot. La cheffe française n’a pas pu obtenir les textures cristallines et fluides, la transparence et le nuancier d’une subtilité incroyable mises en jeu par un Richard Strauss âgé de 25 ans. Mêmes impressions de lourdeur et de premier degré dans Till Eulenspiegels lustige Streiche op. 28 (Les joyeuses facéties de Till l'espiègle, d’après l’ancien conte flamand) qui, composé en 1894-1895 et créé le 5 novembre 1895 à Cologne, se situe entre Tod und Verklärung (Mort et transfiguration) op. 24 et Also sprach Zarathustra (Ainsi parlait Zarathoustra) op. 30. Le gai luron décrit par ce rondeau qui narre ses aventures, suscite une extrême virtuosité nécessitant un très grand orchestre, ce qui est d’évidence le cas avec la Staatskapelle de Dresde. Mais Marie Jacquot dessine ici un être plus narquois et balourd qu’espiègle et vif d’esprit. Néanmoins, ces deux œuvres associées, remarquablement orchestrées par un maître en la matière, ont permis de goûter les pupitres solistes plus que les tutti de la phalange saxonne que l’on a connu plus brillants, du premier violon au timbalier en passant par les premiers alto, violoncelle, contrebasse, piccolo, flûte, hautbois, cor anglais, basson, petite clarinette, clarinette, clarinette basse, basson, contrebasson, cor, trompette, trombone, tuba, percussion.
La Quatrième symphonie en mi
mineur op. 98 composée par Johannes Brahms en 1884-1885, soit trois ans
avant le Don Juan de Richard Strauss,
qui participa à la création de l’œuvre de son aîné à Meiningen le 25 octobre
1885, est sans doute la plus classique de ton et de forme de tout l’œuvre orchestral
de Brahms. La conception de Marie Jacquot est partie sur de bonnes bases, la
cheffe tirant parti des textures à la fois souples et sombres de l’orchestre
saxon, ménageant une profonde et noble nostalgie, donnant ainsi aux deux
mouvements initiaux de cette ultime partition d’orchestre du compositeur une
grandeur souveraine, mais le Scherzo s’est fait excessivement retenu et
manquant de reliefs et de conviction, la Staatskapelle semblant traîner des
pieds, laissant de côté la notion giocoso
(joyeux), tandis que les
trente-cinq variations de la chaconne finale n’ont pas atteint la flamme élancée
attendue, la flûte solo et les cuivres respirant néanmoins large, attestant
d’une maîtrise atavique du souffle et des longs phrasés brahmsiens, tandis que
le timbalier donnait une résonance singulière à cet hallucinant finale auquel
il a manqué ce côté haletant qui bouleverse généralement l’auditeur.
Bruno Serrou
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