Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 26 janvier 2024
Quand l’Orchestre Philharmonique de
Radio France fait salle comble à la Philharmonie de Paris dans un programme pas
si grand public que ça, cela donne espoir en la pérennité de la musique, même
si cela est dû à la popularité du soliste d’un soir. Mais le talent du chef
finlandais Jukka-Pekka Saraste est grand, geste discret mais large et ouvert
pour de splendides interprétations de sombres pages de Serge Rachmaninov (l’Ile
des Morts, Danses op. 45), et le désormais classique mais tout aussi sombre
s’ouvrant sur l’Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach, Offertorium de Sofia Gubaïdulina avec en
soliste un Renaud Capuçon concentré, précis et aux sonorités chaleureuses.
C’est un programme entièrement russe que l’Orchestre Philharmonique de Radio France a confié à l’excellent chef finlandais Jukka-Pekka Saraste. Serge Rachmaninov, qui choisit l’exil en 1918 aux Etats-Unis, et Sofia Gubaïdulina, compositrice d’origine tatare installée à Hambourg trois ans après la chute du mur de Berlin et à qui le Festival Présences de Radio France avait rendu hommage par deux fois, la première durant sa troisième édition, en 1993, aux côtés d’Edison Denisov et d’un certain nombre de leurs compatriotes russes, la seconde en 1995 avec un grand « portrait »…
Ainsi, huit mois après l’avoir donné à la Maison de la Radio avec son créateur, Gidon Kremer, et dirigé par Gustavo Gimeno (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/05/admirable-offetorium-de-sofia.html), l’Orchestre Philharmonique de Radio France vient de proposer une nouvelle fois l’œuvre emblématique de Sofia Gubaïdulina qu’est Offertorium, cette fois dans une salle plus grande et devant un public plus fourni, attiré sans doute par la présence sur le devant du plateau du plus médiatisé des interprètes français, Renaud Capuçon. Ce qui n’est ici nullement une remarque « péjorative », bien au contraire, car considérant la qualité de chef-d’œuvre de cette partition, un te contexte favorable ne pouvait être que bénéfique. D’autant plus que Renaud Capuçon s’est montré humble dans sa tenue, se concentrant sur l’œuvre et son interprétation qui, sans rapport avec l’engagement de son créateur qui a fait depuis longtemps l’’œuvre sienne, le violoniste français, qui a dit modestement aux auditeurs présents hier soir, combien il était redevable à Kremer d’avoir découvert le concerto pour violon et orchestre de la compositrice russe. Créé à Vienne le 30 mai 1981 avec l’Orchestre Symphonique de la Radio Autrichienne dirigé par le compositeur finlandais Leif Segerstam, c’est à un autre chef finlandais que l’Orchestre Philharmonique de Radio France a confié le soin de diriger cette première exécution du concerto de Gubaïdulina par le violoniste français. Je ne reviens pas ici sur la genèse et l’analyse de l’œuvre que j’ai longuement évoquées dans mon compte-rendu de mai dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/05/admirable-offetorium-de-sofia.html) de cette oeuvre dont le matériau est dérivé du thème royal du Ricercare a 6 de l’Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach, me focalisant ici sur l’interprétation de Renaud Capuçon, concentré, précis, engagé au point de tirer de son archet naturellement virtuose des sonorités plus amples et charnues que de coutume, tandis que l’Orchestre Philharmonique de Radio France s’est avéré d’une plénitude et d’une assurance telles que l’œuvre, rendue magnifiquement contrastée et limpide par la direction claire, précise, la battue resserrée et concise, le geste ouvert de Jukka-Pekka Saraste. Renaud Capuçon a donné en bis une autre partition que lui a fait découvrir Gidon Kremer, la Daphne-Etude en sol majeur pour violon seul op. 141 que Richard Strauss a réalisée en 1945 sur le motif de la métamorphose de la sublime nymphe grecque en laurier dans sa tragédie bucolique Daphne op. 82 de 1937.
Qualités de l’orchestre et du chef qui se sont déployées dans les deux œuvres de Serge Rachmaninov qui ont entourée celle de Sofia Gubaïdulina. Le poème symphonique de forme cyclique l’Île des morts op. 29 créé à Moscou le 18 mai 1909 sous la direction de son auteur, l’encre à peine sèche, inspiré du tableau éponyme du peintre suisse Arnold Böcklin (1827-1901) dont l’atmosphère funèbre et sombre emplit la partition où l’on trouve le motif obsessionnel du Dies Irae qui gouvernera l’essentiel de la création du compositeur russe, tandis que la seconde partie était entièrement occupée par les Danses symphoniques op. 45 réparties en trois mouvements composés en 1940 et créées le 3 janvier 1941 par l’Orchestre de Philadelphie dirigé par Eugène Ormandy, dédicataire de l’œuvre. Parmi les influences que l’on peut y déceler, celle de l’orthodoxie de son enfance, dans le thème nostalgique exposé par le saxophone dans le mouvement initial, Non allegro, La Valse de Maurice Ravel dans la partie centrale de l’Andante, des citations de ses propres œuvres, comme le thème initial de sa Symphonie n° 1 de 1895 dans le mouvement introductif et la Danse finale, où il cite ses Vêpres op. 37 de 1917, au Dies Irae, que l’on retrouve dans cette œuvre ultime de Rachmaninov qui clôt ainsi sa longue méditation sur la mort qui aura constamment hanté Rachmaninov sa vie durant, et qui revient ici sous diverses formes rythmique et harmoniques et auquel fait écho un second thème religieux. Du premier des trois mouvements, l’OPRF a exalté l’énergie, les rythmes trépidants, subtilement ponctués par hautbois et clarinette solos qui ont brillamment restitué l’élan pastoral, tandis que le saxophone a parfaitement établi la nostalgie qui imprègne la mélodie que le compositeur a réservée à son instrument. Dans l’Andante, la valse a permis au cor anglais (l’excellent Stéphane Suchanek) d’exposer la somptueuse plastique de ses sonorités, tandis que le dernier mouvement a été servi par les musiciens du Philarmonique dans sa subtile diversité sonore et expressive, les musiciens se libérant totalement dans l’ample finale emplissant l’espace sans le saturer par la puissance d’une orchestration qui, grâce à Saraste, s’est faite moins massive que de coutume, y compris l’impressionnante percussion qui a su éviter judicieusement de se faire tonitruante, permettant ainsi au reste de la formation symphonique d’exposer clairement leurs étincelants coloris.
Bruno Serrou
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