Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Samedi 20 janvier 2023
C’est un concert téméraire d’originalité et varié de piano concertant du
début du XXe siècle que Yuja Wang, s’appuyant sur sa notoriété
amplement méritée, a proposé samedi à la Philharmonie de Paris avec le
prestigieux Mahler Chamber Orchestra, chacune des deux parties étant introduite
par une œuvre tchèque
Créé en 1997 par le chef italien Claudio
Abbado, fondateur éminent d’orchestres dont on célébrait hier la mémoire dix
ans après sa mort le 20 janvier 2014, le
Mahler Chamber Orchestra est un collectif à géométrie variable constitué de
musiciens virtuoses de vingt-sept nationalités différentes (y compris hors
Europe) qui se produit avec les chefs, les solistes et les compositeurs parmi les
plus célèbres, comme Andris Nelson, Daniel Harding, chef honoraire, Daniele
Gatti, son conseiller artistique, George Benjamin, Mitsuko Ushida.
Pour les débuts de leur collaboration artistique, Yuja Wang et le Mahler Chamber Orchestra ont porté leur dévolu sur un programme fort original que la pianiste chinoise a discrètement dirigé du piano, après que l’ensemble eût joué seul et debout, donnant ainsi à l’œuvre davantage d’allant et une impulsion plus énergique, la romantique Sérénade pour instruments à vent, violoncelle et contrebasse en ré mineur op. 44 en quatre mouvements d’Antonin Dvořák (1841-1904) contemporaine des Rhapsodies slaves op. 45 et des Danses slaves op. 46, œuvre un peu longue créée à Prague le 17 novembre 1878 qui associe marche militaire, éléments traditionnels tchèques (comme le furiant), seul l’Andante con moto présente un climat plus classique et sombre.
Les effectifs étant différents d’une
pièce à l’autre, les changements de plateaux se sont faits longuets, sur le
modèle des concerts de musique contemporaine… Les neuf instrumentistes à vent et
la contrebasse de la Sérénade (deux
hautbois, deux clarinettes, deux bassons, trois cors) étaient rejoints par
treize de leurs collègues instrumentistes à vent (trois flûtes, un hautbois,
quatre trompettes, un cor, trois trombones, un tuba), le contrebassiste par trois
de ses confrères auxquels s’est ajouté un timbalier, effectif orchestral requis
par Igor Stravinski (1882-1971) pour son Concerto
pour piano et instruments à vent créé à l’Opéra de Paris voilà bientôt un
siècle, le 22 mai 1924, avec le compositeur au piano sous la direction de Serge
Koussevitzky. Nerveuse mais suave, lumineuse et colorée, chaleureuse et
sensuelle, l’interprétation proposée par Yuja Wang et le Mahler Chamber
Orchestra a été pur enchantement, la soliste installée à la façon conventionnelle
du concerto, instaurant souplesse et liberté dans le jeu instrumental et le
rendu de l’œuvre qui semblait comme improvisée tout en s’avérant respecter les
intentions du compositeur.
En début de seconde partie, le rare Capriccio pour piano et sept instruments à vent de Leoš Janáček (1854-1928). Cette partition fait partie du court cursus d’œuvres concertantes pour piano écrites pour la seule main gauche. Mais contrairement aux plus fameuses de celles conçues dans les années 1920-1930 (Concertos de Maurice Ravel, Serge Prokofiev, Richard Strauss, plus tard Benjamin Britten), celui de Janáček n’a pas été écrit pour Paul Wittgenstein, qui avait perdu son bras droit pendant le premier conflit mondial, mais pour Otakar Hollmann, qui, blessé, avait dû renoncer au violon pour se tourner vers les claviers afin de poursuivre sa carrière de musicien. Après avoir tergiversé, le compositeur morave finit par accepter la commande d’une œuvre concertante mais complexifie le plus possible l’écriture et la technique de jeu qui s’avèrent être quasi impossibles d’exécution, et associe le piano à un effectif improbable de sept instruments à vent (une flûte/piccolo, deux trompettes, trois trombones, un tuba ténor). Dialoguant avec des pupitres de bois et de cuivres d’une dextérité exemplaire, Yuja Wang s’est jouée avec une aisance stupéfiante de tous les pièges ménagés par Janáček et restituant à l’envi la diversité des climats et des intentions expressives, tour à tour espiègle, solennelle, sarcastique, mélancolique…
... Excellente introduction après un long intervalle dû au changement de plateau, à une enthousiasmante Rhapsody in Blue de George Gershwin (1898-1937) dans sa version originale pour piano et jazz band (piano solo, hautbois, clarinette, clarinette basse, saxophone sopranino/saxophone alto par un, saxophones sopranos, le premier aussi saxophone baryton, le second aussi saxophone ténor, cors, trompettes, trombones par deux, un tuba, timbales, percussion, batterie, banjo, piano d’orchestre, quatre violons, contrebasse) mus par un groove particulièrement communicatif, invitant le public à la danse, le tout joué avec une énergie, un élan, une adresse impressionnants qui ne cessent d’étonner de la part de ces musicien classiques et de cette frêle musicienne néanmoins singulièrement musclée, comme l’atteste le profond décolleté dans le dos de sa robe amplement ajourée et ses incroyables talons d’une telle hauteur que sa démarche rigide et peu assurée suscitent l’étonnement tant l’on se demande comment elle parvient à maîtriser à ce point les trois pédales du Steinway…
Bruno Serrou
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