Paris. Opéra national de Paris-Bastille. Mardi 20 juin 2023
Retour réussi à l’affiche de l’Opéra de Paris, où il a fait son entrée au répertoire le 28 novembre 1888, de Roméo et Juliette de Charles Gounod après trente-huit ans d’absence dans une noire coproduction avec le Teatro Real de Madrid
L’on oublie trop systématiquement
que Charles Gounod (1818-1893) n’est pas uniquement l’auteur de l’inoxydable opéra
Faust et du néo-folklorique Mireille. Messe à sainte Cécile, Rédemption,
Mors et vita sont d’oratorios
significatifs. Parmi ses douze opéras, Roméo
et Juliette, composé en 1866-1867 huit ans après Faust et trois ans après Mireille,
constitue le troisième volet de ce triptyque lyrique universellement célèbre.
Après avoir puisé dans des œuvres
romanesques chez Wolfgang von Goethe puis chez Frédéric Mistral, le compositeur
français se tourne vers le théâtre de Shakespeare déjà adapté avec succès par
Vincenzo Bellini pour la scène lyrique en 1830 et Hector Berlioz en 1839 pour
la symphonie qualifiée de « dramatique », pour ne citer que les plus
célèbres aujourd’hui qui sont aussi celle qui ont marqué Gounod, le premier opéra
référencé datant de 1776 sous le titre Julie
and Romeo du Bohémien Georg Anton Benda (1722-1795). Créé avec dialogues
parlés au Théâtre-Lyrique à Paris le 27 avril 1867 avec un tel succès qu’il fit
aussitôt l’objet d’une parodie de Joseph Eugène Dejazet sous le titre Rhum et eau en juillet, l’opéra de
Gounod se fonde sur un livret en cinq actes des célèbres duettistes Jules
Barbier et Michel Carré adapté de la tragédie éponyme de William Shakespeare (1564-1616)
publiée à Londres en 1597. L’ouvrage fait son entrée au répertoire de l’Opéra
de Paris le 28 novembre 1888 sous la direction du compositeur dans une version remaniée
à laquelle a été ajouté un ballet. La résonnance de l’œuvre repose sur ses
quatre duos et trois airs de Roméo « Ange
adorable » à l’acte I qui précède le premier duo, « Ah ! Lève-toi soleil » à l’acte II qui prélude au
deuxième duo, et « Salut tombeau… Ô
ma femme, ô ma bien aimée » qui précède l’ultime duo « Viens ! Fuyons au bout du monde ! »
au terme duquel les deux amants de Vérone se meurent, ainsi que ceux dévolus à
Juliette, la valse du premier acte « Je
veux vivre dans ce rêve », et la scène du philtre, « Amour ranime mon courage » dans
le quatrième acte.
Si l’on voit beaucoup de balcon
sur le monumental décor tournant de Bruno de Lavenère, ce n’est pas uniquement dû
au lieu de l’action et à la fameuse scène du balcon, mais parce que le metteur
en scène Thomas Jolly a été fort marqué par la période du confinement de 2020 qu’il a vécu
dans son appartement doté d’un balcon sur lequel il a déployé en mars une nappe
en papier sur laquelle il avait écrit « Ce soir. 21h. Théâtre au balcon, Roméo et Juliette », son
compagnon danseur vêtu en Juliette. C’est donc dans le grand escalier du Palais
Garnier et les balcons qui l’environnent transplantés sur la scène de l’Opéra
Bastille qu’il situe la totalité de l’action, synthétisant ainsi son vécu de
confiné et le cadre de la tragédie de Shakespeare, Vérone, et sa fameuse scène
du balcon, naissance de l’amour dans le contexte de la mortelle pandémie de la
peste qui bouleverse alors Vérone, fusion d’Eros et de Thanatos… Les lumières noir
et blanc d’Antoine Travert amplifient l’effet d’oxymore voulu par le metteur en
scène, rendant fantomatiques non seulement les personnages mais aussi leur
environnement, les volumes du décor prenant amplement le tour de la demeure baroque
imaginée par Alfred Hitchcock pour son terrifiant Psychose (1959-1960). La direction d’acteur est impressionnante de
vérité, jusques et y compris la précision des réglages de la funeste querelle
entre les Capulet et les Montaigu de la seconde scène de l’acte III. Intégrées
au centre du décor plus ou moins placés sous la protection des violents éclairages
de néons, les scènes d’amour sont clairement évoquées, à l’instar de la scène
ultime du tombeau. Seul la seule partie du ballet retenue pour cette
production, dans le second tableau de l’acte IV, réglée par Josépha Madoki, réunit
une douzaine de « mariées » des deux sexes vêtu.e.s telle Juliette dont
les pas sont loin d’être aériens tant les gestes sont lourds, ce qui suscite le
seul moment qui détonne avec la profondeur et la vérité du propos.
Les deux protagonistes des rôles titres
forment un couple idéal. Non seulement ils sont séduisants et fort crédibles en
jeunes gens sortant à peine de l’adolescence, mais leurs voix sont radieuses et
parfaitement assorties, et ils s’imposent comme d’excellents comédiens. La soprano
franco-danoise Elsa Dreisig est une merveilleuse Juliette, voix solaire,
présence rayonnante, éperdument éprise du magistral Roméo du ténor franco-suisse
Benjamin Bernheim, voix au velours délicat, ligne de chant sans faille, amoureux
éperdu de sa jeune femme, chacun ayant des aigus clairs, solides, héroïques, étincelants.
A leurs côtés, une distribution où se distinguent l’exquis Stephano de la mezzo-soprano
franco-italienne Lea Desandre, les excellents Tybalt du ténor polonais Maciej
Kwasnikowski, Benvolio du ténor français Thomas Ricart et Mercutio du baryton
britannique Huw Montague Rendall. La basse française Jean Tietgen, bizarrement
accoutré par la costumière Sylvette Dequest d’une soutane avec blaser serré
brodé d’or, est un Frère Laurent à la voix large et ferme mais le chant un peu
trop sonore, Laurent Naouri campe un Capulet physiquement froid et vocalement
fragile, entrant ainsi en écho à l’oxymore voulu par le metteur en scène, la
mezzo-soprano française Sylvie Brunet-Grupposo est une Gertrude à la voix
solide et chaude mais aux graves trop poitrinés. Les personnages secondaires
sont tous bien tenus, à l’instar d’un chœur impressionnant autant dans sa
diversité que dans son unité, admirablement préparé par sa chef de chœur Ching-Lien
Wu. L’excellent chef italien Carlo Rizzi, qui le dirige avec flamme, fait de
l’Orchestre de l’Opéra de Paris, jusques et y compris l’orgue préludant au
second tableau de l’acte IV, un personnage à part entière et souligne la
modernité de la partition, tant et si bien que l’on admire dans la fosse le
sans faute de la phalange parisienne électrisée par la direction étincelante mais
nuancée de Carlo Rizzi, qui se plaît clairement dans les arcanes de la musique richement
instrumentée de Charles Gounod.
Jusqu’au 15 juillet 2023. Attention, distribution alternée des trois principaux rôles. www.operadeparis.fr
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