Paris. La Belle Saison. Théâtre des Bouffes du Nord. Lundi 12 juin 2023
La Belle Saison a présenté lundi 12
juin Théâtre des Bouffes du Nord, un peu plus d’un mois après la création le 3
mai 2023 à Cherbourg, Théâtre Le Trident (1), un sensible et émouvant sextuor
pour mezzo-soprano/récitante, piano et quatuor à cordes, Le Journal d’Hélène Berr, du compositeur claveciniste organiste pédagogue
belge Bernard Foccroulle (né en 1953), ex-directeur du Théâtre de La Monnaie de
Bruxelles (1992-2007) puis du Festival d’Aix-en-Provence (2007-2018).
Le contenu, la dimension et la portée du Journal d’Hélène Berr ne pouvaient qu’attirer l’attention de l’humaniste engagé qu’est Bernard Foccroulle, dont l’une des constantes qui l’animent est centrée sur les questions de société et de son histoire, cherchant à donner à la musique la plus grande accessibilité de tous, au point de fonder en 1993 l’association Culture et Démocratie qui milite pour la participation du plus grand nombre à la vie culturelle. Cinq ans plus tôt, en 1988, il avait créé le réseau européen RESEO dont la mission est la sensibilisation du plus grand nombre à l’opéra et à la danse.
C’est en 2008, année de la parution du Journal d’Hélène Berr dont le manuscrit est conservé au Mémorial de la Shoa à Paris, que Bernard Foccroulle, bouleversé par sa lecture, par ce que ces pages contiennent de peurs, de doutes, de citations littéraires - le journal s’ouvre à la suite d’une visite de la jeune femme à Paul Valéry - avec quantité de citations de William Shakespeare ou de Lewis Carroll, et musicales, avec nombre de renvois à Ludwig van Beethoven et à Robert Schumann, mais aussi de goût pour la vie, de légèreté, d’insouciance se transformant peu à peu en prise de conscience de sa situation désespérée, d’amour, caresse aussitôt le projet d’en tirer une œuvre lyrique au caractère intime. « La diversité des émotions, les citations littéraires et musicales, le témoignage sur cette époque terrible, constituent autant de motivations fortes, confie le compositeur. Aujourd’hui, dans une période où l’antisémitisme reprend vigueur, où populismes, extrémismes, racismes et violences de toutes sortes se répandent à travers toute l’Europe et le monde, n’est-il pas primordial de faire acte de mémoire et de résistance contre les amnésies ? » Libéré de toute obligation administrative, le musicien liégeois peut se consacrer entièrement à la composition, s’attachant notamment à la genèse de ce monodrame auquel il donne la forme d’un sextuor pour voix, piano et quatuor à cordes qu’il achève en 2020. Il adapte lui-même le livret, qu’il divise en deux parties précédées d’un prologue, suivies d’un épilogue et séparées par un interlude instrumentaux, ce dernier reprenant littéralement le mouvement lent, Molto adagio, du Quatuor à cordes n° 15 en la mineur op. 132 de Beethoven, œuvre citée dans les carnets commencés le 7 avril 1942 par cette jeune étudiante juive parisienne alors âgée de 21 ans, qui met un terme à son journal le 15 février 1944, le jour de son internement dans le camp de Drancy, d’où elle sera déportée à Auschwitz le 27 mars 1944 avant d’être assassinée par une geôlière nazie à Bergen-Belsen, début avril 1945.
Parmi les deux cent soixante deux
feuillets qui constituent le Journal d’Hélène Berr, Bernard Foccroulle en a réalisé quinze entrées, réparties en
deux sections jouées en continu, reliées par un interlude instrumental ouvertes
sur la dédicace de Paul Valéry et conclues sur le mot « Horreur ! ». La première
compte huit segments, d’avril à novembre 1942 (La dédicace à Paul Valéry, Retour
d’Aubergenville, La rupture avec
Gérard, La rencontre avec Jean
Morawiecki, L’étoile jaune, L’arrestation du père, La rafle du Vel d’hiv, Libération du père, départ de Jean), la
seconde sept, d’août 1943 à février 1944, avec la montée de l’antisémitisme, la
violence de l’arrestation, l’indicible de la déportation (Après dix mois sans écrire, Dans Paris, Mort de Bonne-Maman, Nouveaux
massacres, angoisse de l’arrestation, Réflexions
sur la judéité, Description du wagon
de la déportation, Horreur !
Horreur !). « J’ai choisi la voix de mezzo-soprano, écrit Bernard
Foccroulle, car c’est le timbre qui me semblait le mieux à même d’exprimer
toutes les couleurs et tous les états d’âme évoqués par Hélène Berr. Le choix
de l’effectif instrumental a d’autant plus de sens que le journal regorge de
citations musicales et d’évocations à la musique de chambre de Beethoven et de Schumann. »
Bruno Serrou
1) Du 3 décembre au 12 janvier prochains, l’Opéra national du Rhin présentera la première réalisation scénique du Journal d’Hélène Berr de Bernard Foccroulle dans une mise en scène de Matthieu Cruciani. www.operanationaldurhin.eu
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