Paris. Philharmonie. Salle Boulez. Lundi 30 et mardi 31 mai 2022
Andris Nelsons dirige le Gewandhausorchester Leipzig. Photo : (c) Gewandhausorchester Leipzig
Entendre l’œuvre de Richard
Strauss jouée par le Gewandhausorchester de Leipzig s’est avéré une expérience
passionnante. En effet, le célèbre orchestre saxon est depuis toujours le rival
de l’orchestre straussien par excellence d’un cité distante de cent vingt
kilomètres, la Staatskapelle de Dresde, qui est aux deux Richard, Wagner et
Strauss, ce qu’est Leipzig à Mendelssohn-Bartholdy et Schumann, sans parler de
J.S. Bach…
Parallèlement à la publication d’un
coffret Richard Strauss de sept CD (1) de musique d’orchestre avec les deux
phalanges dont il est le chef titulaire, le Boston Symphony Orchestra et le
Gewandhausorchester de Leipzig, Andris Nelsons a consacré deux programmes à
Richard II (comme se présentait Richard Strauss lui-même en renvoyant à son
aîné Richard I, Wagner) dans le cadre d’une tournée européenne qui s’achevait à
la Philharmonie de Paris les deux premiers de cette semaine. L’orchestre étant
en tournée, afin de faire participer tous les titulaires de l’orchestre, les
pupitres ont changé pendant les entractes, non seulement les solistes mais
aussi parmi les tuttistes.
A 43 ans, le chef letton,
compatriote et disciple de l’immense Mariss Jansons disparu beaucoup trop tôt,
excelle dans l’exécution des grandes fresques. La somptueuse formation saxonne,
qui est aussi celle de l’Opéra de Leipzig, confirme sous sa direction sa
position parmi les leaders dans la hiérarchie des plus grands orchestres
symphoniques internationaux. L’écoute de Nelsons est immense et sa gestique
économe, répondant en cela à l’un des dix commandements établis par Richard
Strauss à l’intention de ses jeunes confrères, « ce n’est pas à toi de
suer mais au public ». Nelsons donne quant à lui l’impression de laisser
une grande latitude de liberté à ses musiciens, qui regardent cependant avec
attention le moindre signe, le plus petit geste de sa part.
Ce qui fascine avec ce duo
chef/orchestre est la plastique extraordinaire de la pâte sonore, la qualité
fantastique des alliages de timbres, avec des instruments fort éloignés dans
leurs sonorités qui parviennent à fusionner dans leurs couleurs et dans leur
pâte au point que l’on ne distingue plus lequel conclut sa phrase et lequel
prend le relais entre bois et cuivres, cuivres et cordes, cordes et bois, et au
sein même de chaque famille entre les plus aigus et les plus graves. L’on goûte
à tout instant la beauté inouïe de la phalange leipzigoise, dans le premier
programme avec un Don Juan d’après Lenau de braise au sein
duquel le duo d’amour saisit par sa bouleversante sensualité, tandis que le célèbre
Also sprach Zarathustra (Ainsi parlait Zarathoustra) ouvert par
de flamboyantes trompettes aux sonorités charnues de l’instrument à palettes,
et conclu sur un pianissimo s’éteignant
comme à regret jusqu’à un long silence, avec en son centre le merveilleux solo
du Concertmaster, le tout emportant l’auditeur
sur les cimes grâce à l’exceptionnelle onctuosité de la palette sonore d’une
richesse et d’un diversité proprement prodigieuse. Entre les deux poèmes
symphoniques était programmée la plus rare Burleske
pour piano et orchestre, partition de jeunesse dans laquelle Strauss a eu l’ingénieuse
idée d’exposer d’entrée le thème moteur, non pas au piano mais aux timbales et sur
lequel repose l’œuvre entière et qui sert d’assise aux interventions du clavier.
Magistral de simplicité virtuose, Rudolf Buchbinder en a exalté les sonorités
éblouissantes de lumière et de puissance. En bis, le pianiste allemand a donné une transcendante paraphrase des Soirées de Vienne de Johann
Strauss Jr.
Le second concert a été tout
aussi remarquable. Le trop rare et pourtant somptueux et dramatique premier
vrai poème symphonique de Richard Strauss, Macbeth
d’après Shakespeare, a atteint l’auditeur tel un coup de poing dans l’estomac
par sa violence exacerbée. Pour apaiser son public, Andris Nelsons a proposé l’une
des Suites du « Rosenkavalier »
réalisée par le compositeur dont il a proposé une interprétation flamboyante,
au risque dans les tutti fortissimi de saturer l’espace au point
de rendre impossible la distinction des voix de l’orchestre, mais donnant une
pulsion dynamique et foisonnante aux valses et une poésie envoûtante à la
transcription pour orchestre seul du trio final que l’on eut souhaitée sous
cette forme aussi plus développée, à l’instar de ce que reprochait Pauline
Strauss à son génial époux pour la forme originelle... Ce second concert s’achevait
sur l’immense poème symphonique autobiographique Ein Heldenleben (Une Vie
de Héros) à couper le souffle, éblouissante d’ardeur, de fougue, de
tendresse, de brio et de brillant d’un orchestre de feu d’une fantastique
ductilité.
Mais pour quelles raisons les
salles n’ont-elles pas été combles ? Surtout, au nom de quoi nombre de
spectateurs sont-ils partis le premier soir dès la fin de la prestation du
pianiste allemand, qui remplaçait la pianiste chinoise Yuja Wang, sans attendre
l’exécution de Zarathoustra, pourtant
la plus populaire des partitions de Richard Strauss ?...
Bruno Serrou
1) 7 CD DG
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