Evian-les-Bains (Haute Savoie). La Grange au Lac, église Notre-Dame-de-l'Assomption. dimanche 26 et lundi 27 juin 2022
Quinze ans après la disparition de Mstislav Rostropovitch pour qui La Grange au Lac a été bâtie, l’esprit du grand violoncelliste demeure sur les hauteurs d'Evian-les-Bains, rive gauche du Lac Léman
Pour son ultime édition de directeur
artistique des Rencontre Musicales d’Evian, d’abord avec ses compagnons du
Quatuor Modigliani puis seul, le violoniste Philippe Bernhard a concocté un
riche programme, digne de ce festival créé en 1993 par Mstislav Rostropovitch
dans l’extraordinaire salle en bois que lui avait offerte son ami et mécène Antoine
Riboud.
Après une ouverture en fanfare par
Daniel Harding et le Sinfonia Grange au Lac inauguré en 2018 par Esa-Pekka
Salonen, la salle exceptionnelle à l’acoustique ronde et chaude comme le
violoncelle de « Slava », a servi d’écrin à un éblouissant récital de
Bertrand Chamayou consacré à deux des compositeurs favoris de ce merveilleux
artiste, Franz Liszt, avec une transcription de la « Marche
solennelle » de Parsifal de Richard
Wagner et cinq pages des Années de Pèlerinage,
et Olivier Messiaen, avec deux extraits 20
Regards sur l’Enfant Jésus, un piano dense, somptueusement poétique,
vivifiant, exaltant des couleurs au chromatisme ardent, sonnant tel un
somptueux orchestre symphonique. En bis, le troisième des compositeurs favoris
de Chamayou, Maurice Ravel, avec la Pavane
pour une infante défunte et Alborada
del gracioso, et pour finir un prélude de Claude Debussy, La fille
aux cheveux de lin.
Disciple de Blandine Verlet, Jean Rondeau, qui a commencé le clavecin à 6 ans et n’a abordé le piano qu’à 12 ans, se lance ouvertement dans la composition, ce qui lui permet désormais de jouer ses deux instruments en public. A Evian, il a proposé pour la première fois en une même journée les Variations Goldberg de J.S. Bach sous deux formes.
Rencontres Musicales d'Evian 2022, église Notre-Dame-de-l'Assomption. Jean Rondeau. Photo : (c) Bruno Serrou
D’abord l’originale en une église Notre-Dame de l’Assomption comble sur un clavecin allemand à deux claviers aux sonorités pleines et rondes, interprétées avec un sens dramatique portant au comble de la spiritualité, respectant l’œuvre jusqu’en ses moindres détails, allant jusqu’à jouer toutes les reprises indiquées sur la partition, investissant l’œuvre avec une profondeur saisissante au risque de friser l’ascèse, habitant jusqu’à de longs silences qu’il ménage avec un sens des contrastes et des dynamiques saisissants, les cent cinq minutes de l’exécution passant sans que l’auditeur s’en rende compte.
Ensuite, en création dans La Grange au Lac, les Goldberg qu’il « revisite » avec le batteur Tancrède D. Kummer. « Plus que toute autre, la musique de Bach, dans laquelle il faut éviter de mettre trop d’ego au risque de la perturber alors qu’il estimait que sa musique ne lui appartenait pas, insiste Rondeau pour qui le respect des textes est la condition majeure de sa conception d’artiste, se prête parfaitement à une interprétation contemporaine, l’essence musicale étant si intense qu’il est impossible de la déformer et de la galvauder. » Intitulé Undr, cette adaptation des Goldberg adopte aria, qui l’ouvre et la ferme, durées et structure atomisée, conviant Messiaen, Rachmaninov, Cecil Taylor, l’informatique live, des sections répétitives, piano préparé, clusters… De nombreux solos de batterie façon Kenny Clarke, trop longs et envahissants, trop rarement fondus au son du piano, instrument que Rondeau joue à la perfection. Malgré des passages d’une réelle efficacité, on se demande à quoi bon un tel ouvrage tandis que le cycle de Bach est inépuisable.
Bruno Serrou
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