mercredi 13 avril 2022

Ultime apparition publique de Philippe Boesmans pour la première d'une puissante production de "Julie" à l'Opéra de Nancy

Nancy (Moselle). Opéra national de Lorraine. Dimanche 27 mars 2022

Philippe Boesmans (1936-2022), Julie. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez

Deux semaines jour pour jour avant sa disparition le 10 avril, Philippe Boesmans a assisté le 27 mars à Nancy à la première d’une nouvelle production de son chef-d’œuvre lyrique, Julie. Il était extrêmement heureux de se trouver là, et la production l’enchantait. J’ai pu échanger quelques mots avec lui quelques minutes avant la représentation, assis au soleil à la terrasse de l’un des cafés de la place Stanislas Leszczynski, et il semblait en forme, malgré les aléas qu’il a connus durant les derniers mois de sa vie, souriant et toujours pétulant d’humour. Nous avons évoqué la perspective d’un future rencontre avant la création en décembre prochain de son huitième opéra, On purge bébé d’après Georges Feydeau Théâtre de La Monnaie de Bruxelles… Rien ne laissait percer cette maladie qui allait l’emporter en moins de dix jours…

Philippe Boesmans (1936-2022) en son domicile bruxellois. Photo : DR

Ainsi, une dernière fois en sa présence, la nouvelle production d’Emilio Pomarico et Silvia Costa aura conforté la dimension de chef-d’œuvre du théâtre lyrique du XXIe siècle de Julie de Philippe Boesmans.

A l’instar du Hongrois Péter Eötvös son cadet de huit ans, le Belge Philippe Boesmans (1936-2022) est l’un des compositeurs d’opéras les plus prolifiques de notre temps. Comme ceux de son cadet, ses ouvrages lyriques sont régulièrement repris par les théâtres d’Europe où ils remportent de grands succès sous diverses formes et adaptations. Son quatrième opéra, Julie, créé Théâtre de La Monnaie de Bruxelles en 2005, que d’aucuns considèrent comme son chef-d’œuvre, est librement adapté par Luc Bondy et Marie-Louise Bischofberger du drame d’August Strindberg Mademoiselle Julie.

Philippe Boesmans (1936-2022), Julie. Photo : (c) Jean-Louis Fernandez

L’action de cet opéra coup-de-poing se déroule la nuit de la Saint-Jean dans un château perdu de la campagne suédoise. Dans la cuisine se croisent deux trajectoires opposées, l’une rêvant de chute, Julie, la fille du châtelain qui perd la tête un soir de crise psychique, l’autre d’ascension, le valet Jean que la jeune fille ne cesse d’émoustiller avant de se donner à lui. Entre l’aristocrate en quête de perdition et le domestique sans scrupule, le face à face brûle comme un brasier pour se conclure sur le suicide de la jeune femme. Pendant les quelques heures de leur duel, concentrées en un acte de 70 minutes et 12 tableaux, ils se séduisent, se rejettent, se livrent, se trahissent, s’affrontent, se détruisent… L’effectif instrumental restreint souligne la fusion du mot dans un allemand qui reste constamment intelligible, et du son, qui exalte les non-dits.

Donnée en présence du compositeur, qui ne cachait pas son plaisir, le spectacle signé Emilio Pomarico à la direction et Silvia Costa à la mise en scène et aux décors affermit la force extrême de cet asphyxiant huis-clos pour trois chanteurs et orchestre de chambre. A l’instar du livret, la musique envoûtante et trouble par son orientalisme et la nervosité de ses accents dont l’unité est assurée par un petit répertoire de motifs obsessionnels, est d’une redoutable efficacité. Il y cohabite dans une même exaltation sonore les pulsions les plus ardentes et le désenchantement le plus violent.

Moins voluptueuse que la mise en scène princeps de Luc Bondy à Bruxelles que le DVD pérennise (1), celle de Silvia Costa, plus intériorisée et plus noire mais tout aussi dramatique et qui enserre dans un cadre étriqué allant s’élargissant jusqu’à l’issue fatale, souligne les rapports sadomasochistes entre les personnages, le tout servi par une direction d’acteurs réglée au cordeau. Le trio vocal est remarquable. Irène Roberts (dédoublée par la danseuse Marie Tassin) est une Julie éperdue, Dean Murphy campe un Jean glacial et odieusement calculateur, Lisa Mostin une Kristin craintive aux aigus rayonnants. La direction inspirée du chef argentin Emilio Pomarico enflamme les dix-neuf musiciens virtuoses de l’orchestre de l’Opéra de Lorraine qui ne cesse d’enthousiasmer à chacune de ses prestations.

Bruno Serrou

1)  DVD BelAir

 

 

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