Paris. Opéra de Paris Bastille. Samedi 26 mars 2022
Voilà plus de quarante ans que
Paris n’avait pas vu et entendu la Cendrillon
de Jules Massenet. La dernière fois, c’était Salle Favart en mars 2011 mis en
scène par Benjamin Lazare, mais je me souviens surtout des représentations au Théâtre
du Châtelet en 1981 dans une production canadienne de Brian Macdonald et Julius
Rudel venue d’Ottawa avec rien moins que Frederica von Stade, Maureen Forrester, Louis Quilico…
Opéra féerique créé à l’Opéra
Comique en 1899 sur un livret d’Henri Cain qui suit au plus près le conte éponyme de
Charles Perrault, contrairement à La Cenerentola de Rossini (1817), la Cendrillon de Massenet est censée allier
le surnaturel et l’humour. Pourtant, ce que donne à voir et à entendre l’Opéra
de Paris pour son entrée au répertoire-maison, porte plutôt vers la grisaille
et la solitude des êtres, y compris dans l’acte du bal qui ne manque pourtant
pas de couleurs. Après une ouverture à rideau fermé, ce qui est de plus en plus
rare, la metteuse en scène Mariame Clément et sa scénographe Julia Hansen font
entrer le spectateur dans un univers de blanchisserie industrielle aussi terne
que monumentale contemporaine de la genèse de l’œuvre, c’est-à-dire à la fin du
XIXe siècle, dans l’esprit de Gustave Eiffel.
Aucune magie ne viendra perturber cette triste uniformité, pas même lors de la féerique scène du chêne qui se déroule ici dans les sous-sols délabrés de la manufacture. L’on apprécie néanmoins l’humanité des personnages, particulièrement les deux sœurs, Noémie (Charlotte Bonnet) et Dorothée (Marion Lebègue), dont les caractères échappent judicieusement à la caricature, moins pestes que la norme, l’une plus garçon manqué que l’autre, allant jusqu’à défier sa sœur au basket tandis que Lucette-Cendrillon, leur demi-sœur, délire allongée sur un canapé.
Le désœuvrement général que dégage ce spectacle est amplifié par la direction atone de Carlo Rizzi. Le chef italien, qui n’a pas su trouver l’élan propre à Massenet, s’ennuie ferme dans cet univers. Ni rythme, ni saillies, ni flamme, ni poésie deux heures trente de rang, l’encéphalogramme reste désespérément plat. L’on sent bien dans la fosse que les musiciens de l’orchestre cherchent à dynamiser le propos, comme cherchant à pousser leur chef de passage dans ses retranchements, à le sortir de sa torpeur en éveillant son attention avec des traits et des couleurs les plus chatoyants possibles, mais rien n’y fait, pas même les italianismes qui ponctuent pourtant la partition de Massenet.
La distribution est dans la tonalité de l’ensemble, uniforme. Seule la Fée de Kathleen Kim émoustille les tympans, grâce à ses aigus d’airain au service de vocalises aériennes et sûres. La Cendrillon-Lucette de Tara Erraught offre à entendre elle aussi des aigus fuselés jusque dans les pianissimi les plus éthérés, mais elle suffoque dans les vocalises aux tempi fébriles au moment où le carillon sonne minuit. La charmante Anna Stephany est un Prince au timbre séduisant mais aux aigus manquant d’assurance. Sans faire oublier la contralto Maureen Forrester ou, plus près de nous, Ewa Podlès, Daniela Barcellona est une Madame de la Haltière sans excès mais vocalement dans la tradition des cantatrices en fin de carrière à la voix altérée. Lionel Lhote est un Pandolfe débonnaire et effacé, tandis que les rôles secondaires sont bien en place, Philippe Rouillon en roi, Cyrille Lovighi en doyen de la faculté, Olivier Ayault en surintendant des plaisirs, Vadim Artamonov en premier ministre, et jusqu’aux six esprits (Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie van de Woestyne et Blandine Follo Peres). Etonnamment, le soir de la première, les Chœurs de l’Opéra de Paris étaient moins homogènes que d’habitude et souffraient de décalages.
Bruno Serrou
Opéra Bastille jusqu’au 28 avril
2022
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