Strasbourg. Opéra national du Rhin. Vendredi 8 février 2019
Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Venus (Sophie Junker) met le feu à l'Olympe. Photo : (c) Klara Beck
Christophe Rousset ressuscite à l’Opéra du Rhin un opéra du compositeur
vénitien Giovanni Legrenzi, La divisione del mondo qui donne de l’Olympe une vision libertine et pleine d’humour en plus
de quatre-vingts airs et ensembles.
Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Photo : (c) Klara Beck
Héritier de la tradition initiée
par Claudio Monteverdi, poursuivie par Francesco Cavalli, Giovanni Legrenzi (1626-1690)
reste aujourd’hui méconnu alors qu’il fut en son temps l’un des musiciens les
plus renommés d’Europe, au point d’influencer jusqu’à Jean-Sébastien Bach et Antonio
Vivaldi. La divisione del mondo
(1675) est le quatrième de ses dix-huit opéras. Contrairement à ses aînés,
adeptes du recitar cantando (parlé
chanté), Legrenzi alterne le récitatif et l’aria
plus ou moins brefs, infiniment plus inventifs et variés que ceux de Haendel,
car associant solos, duos, trios, quatuors et ensembles, et faisant fi de tout da capo. Ainsi, plus de quatre-vingts
airs forment l’ossature de La divisione
del mondo, drame musical en trois actes sur un livret de Giulio Cesare
Corradi. Cet opéra à douze personnages conte l’histoire de la division du monde
après la défaite de Titan par les dieux de l’Olympe sous la conduite de Zeus/Jupiter.
La déesse Vénus est le personnage-clef, car il suscite une série de tentations
qui entraîne les dieux dans la débauche, à l’exception notable de Saturne.
Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Photo : (c) Klara Beck
Loin des machineries qui firent
le succès de l’œuvre à sa création au Teatro San Salvador de Venise le 4
février 1675, la production particulièrement lisible présentée par l’Opéra du
Rhin est mise en scène avec humour et habileté par Jetske Mijnssen dans un
décor unique d’Herbert Murauer extrêmement efficace tant il autorise toute la
magie du théâtre. La metteuse en scène hollandaise, découverte en France à
Nancy en 2016 avec l’Orfeo de Luigi Rossi,
joue avec esprit et délicatesse des jeux érotiques des dieux, évitant
soigneusement la gaudriole et attestant d’un sens de la direction d’acteur
singulièrement efficace. Dans des costumes contemporains mais seyants de Julia
Katharina Berndt, les douze chanteurs réunis sur le plateau de l’Opéra de
Strasbourg jouent avec malice cette parodie sérieuse de la mythologie grecque,
qui n’est pas sans rappeler celle du Walhalla, mais en plus radieux.
Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Venus (Sophie Junker) et Mars (Christopher Lowrey). Photo : (c) Klara Beck
Sophie
Junker est une Vénus énergique et fort séduisante, autant par sa silhouette que
par sa voix. A l’instar de Sotaya Mafi, Diane tout aussi aguichante et à la
voix juvénile. Julie Boulianne est une Junon, à la fois sœur et épouse de
Jupiter, vindicative parfois criarde mais irrésistible. Ada Elodie Tuca et
Alberto Miguélez Rouco sont des Amour et Discorde entreprenants. Les frères
Jupiter (Carlo Allemano, ténor), Neptune (Stuart Jackson, ténor), Pluton (André
Morsch, baryton) et Apollon (Jake Arditti, contre-ténor) sont des divinités
délurées et gaiment dupées, tandis que leur père, Saturne (Arnaud Richard,
baryton-basse), claudiquant et poussant continuellement son épouse Rhéa toute
tremblante sur un fauteuil roulant, est inénarrable.
Giovanni Legrenzi (1626-1690), La divisione del mondo. Venus (Julie Boulianne)) et deux de ses frères. Photo : (c) Klara Beck
Dans la fosse, Christophe Rousset
et ses Talens lyriques donnent à cette partition colorée une ductilité et une
énergie singulièrement communicative. Ils servent cette œuvre méconnue avec un
soin constant et une fraîcheur enjouée. Un pur joyau de l’ère baroque qui
devrait connaître le renouveau.
Bruno Serrou
Jusqu’au 16 février Opéra de
Strasbourg, du 1er au 3 mars La Sinne de Mulhouse, le 9 mars Théâtre
de Colmar, du 20 au 27 mars Opéra de Nancy, les 13 et 14 avril Théâtre du
Château de Versailles
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