Paris. Maison de la Radio. Grand Auditorium de Radio France. Du mardi 12 au dimanche 17 février 2019. Compte-rendu des concerts des 12, 14 et 15 février 22019, 20h.
Wolfgang Rihm (né en 1952). Photo ; (c) Maxppp / Rolf Haid
Portrait de Wolfgang Rihm
Après le
Britannique Thomas Ades, le Hongrois Péter Eötvös, le Polonais Krzysztof
Penderecki, le Finlandais Esa-Pekka Salonen, l’Allemand Hans Werner Henze, les
Français Oscar Strasnoy et Thierry Escaich entre autres, Présences de Radio
France consacre l’essentiel de son édition 2019 à l’Allemand Wolfgang Rihm (voir interview http://brunoserrou.blogspot.com/2018/04/wolfgang-rihm-cinq-questions-au.html).
« L’on ne peut pas parler à mon propos d’un style unique, et je refuse que
me soit m’accolée une quelconque étiquette. Je fais au contraire de la musique
dans divers styles parce que si je n’obéissais qu’à un seul, mon œuvre serait
beaucoup moins riche, je n’aurais pas écrit autant parce que je n’aurais eu
qu’un seul point de départ stylistique. Mais comme je dialogue et commente ma
musique avec ma musique, je change continuellement de style. » Aux côtés
de son aîné Helmut Lachenmann, Wolfgang Rihm est le compositeur-phare de la
musique en Allemagne contemporaine. Il est aussi le plus prolifique, avec plus
de 400 œuvres à son catalogue. C’est hélas en son absence qu’une sélection de
ces dernières est donnée, le compositeur étant souffrant.
Né en 1952 à
Karlsruhe où il enseigne, Rihm dévore la vie à pleine dents, toujours le visage
gouailleur et le rire sonore. « Je ne tiens
pas à parler de ma musique, prévient-il. Je la traite en l’écrivant, et si je
dois la commenter, c’est en composant. Je suis un homme d’action, et ma façon
d’agir est d’écrire de la musique. » Il ne revient jamais sur ses œuvres, et il ne regrette pas d’avoir
écrit l’une d’elles. « Je ne compose pas pour l’éternité dans la mesure où
je crée au présent. Après, on verra ce qui reste ou pas de moi, mais ce n’est
pas à moi de faire mon choix parce que tout est pour moi ma vérité. » Contrairement
à beaucoup de ses confrères, Rihm vit quasi exclusivement de sa musique.
« Ma vie m’accapare selon mon souhait d’avoir une vie privée. Le fait que
je ne sois ni chef d’orchestre ni instrumentiste joue sans aucun doute un rôle
pour moi. Je tiens mes séminaires à Karlsruhe, j’y reçois des visiteurs du
monde entier et j’y vis exclusivement pour mon œuvre. J’ai ainsi plus de temps pour composer, et je ne considère
pas l’enseignement comme une activité qui prend du temps. Je voyage de moins en
moins. Je reste donc chez moi, et je prends le temps d’écrire. Lorsque je suis
dans un train, je travaille tout le temps. Ma tête ne cesse de travailler, même
si je ne suis pas toujours devant une feuille de papier. J’aime être balancé
par le rythme du train, dont les oscillations résonnent dans ma tête. Et
lorsque je me mets à ma table de travail, je suis très concentré. Une fois que
je commence, je m’y mets vraiment, et j’aime écrire, et c’est en travaillant
beaucoup que j’arrive à faire beaucoup. »
C’est donc un petit panel des œuvres de Rihm
qui est présenté en une semaine à Radio France. Le festival a donné des
créations mondiales et françaises, et des pages plus connues, en tous genres,
symphonique, musique de chambre, à l’exception de l’opéra, qui reste encore à
découvrir en France, à l’exception de Jacob Lenz, régulièrement donné en
France. Ces œuvres comme de coutume à Présences ont été mises en regard de partitions
d’autres compositeurs d’aujourd’hui.
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Compte-rendu de trois
concerts donnés Grand Auditorium de Radio France
Quinze concerts en six jours de festival
consacré à la musique contemporaine à Radio France, c’est moins que Musica à
Strasbourg ou les Manca de Nice, pour n’évoquer que quelques manifestations
annuelles, mais c’est ce qui reste des deux semaines de Présences créé en 1991
par Claude Samuel.
De la triade de concerts entendus,
seul le dernier m’a permis d’écouter d’authentiques chefs-d’œuvre, dont deux de
Wolfgang Rihm. La soirée inaugurale réunissait des pièces pour piano et
percussion. Retenu chez lui à Karlsruhe pour cause de maladie, Wolfgang Rihm a
été malgré lui absent de cette édition dont il était l’invité central. Il n’a
pas non plus pu honorer les commandes que lui avait passées Radio France pour l’occasion.
Ainsi, en lieu et place de la nouvelle pièce pour piano annoncée, Bertrand
Chamayou s’est rabattu sur la Sixième Klavierstücke que Wolfgang Rihm a composé en 1977-1978.
Une partition déjà impressionnante qui impose la griffe de l’auteur, alors âgé
de 25 ans, des grandes œuvres qui forment le jalon de sa création et de
laquelle Chamayou a donné une lecture inventive et chatoyante. Eminent
connaisseur de la percussion, Hugues
Dufourt (1943) s’avère en-deçà de sa créativité dans L’Eclair d’après Rimbaud
de 2014 dont Bertrand Chamayou, Vanessa Benelli Mosell, Florent Jodelet et
Adélaïde Ferrière n’ont pas pu restituer la violence, le « feu dévorant »
annoncé par le compositeur qui a tiré ces pages d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud. Moins convainquant encore, le
formidable Refrain pour piano et percussion que Karlheinz Stockhausen (1928-2007) a composé en 1959. Vanessa
Benelli Mosell et Florent Jodelet en ont donné une juste interprétation
linéaire et annonciatrice du minimalisme, mais amoindrissant l’inventivité
sonore et les reliefs de cette page à l’aléatoire limité. Ce premier concert s’est
conclu sur la création mondiale de Martin
Matalon (1958) d’Atomization, Loop & Freeze pour
trois pianos et trois percussionnistes (un de plus dans chacun des pupitres que
pour la Sonate de Bartók). Dans les
sept sections de cette œuvre de 2018, le compositeur argentin retrouve les
préoccupations qui jalonnent sa création entière, pulsation, pulsation
atomisée, pulsation fantôme, flux aléatoire et structuré, temps flottant,
chaque section étant nettement définie par quatre éléments, l’articulation du
temps, le traitement de la ligne, l’idée formelle et la dynamique, ce qui n’empêche
pas l’unité de la partition qui ne présente aucune rupture nette. Sous la
direction du compositeur, Bertrand Chamayou, Vanessa Benelli Mosell, Sébastien
Vichard (pianos), Florent Jodelet, Adélaïde Ferrière et Eve Payeur (percussion)
ont su donner la quintessence de cette pièce, qui s’avère moins marquante que
la plupart des œuvres de Matalon.
Comme c’est souvent la cas, les
programmateurs de Présences de Radio France sont tombés dans le piège de la
comparaison de Wolfgang Rihm avec Pascal
Dusapin (1955). Certes, les deux compositeurs s’imposent par leur corpulence
assez comparable, mais leurs univers et leurs conceptions de la musique sont
fort éloignés les uns des autres. C’est avec Uncut, Solo pour orchestre n° 7
du compositeur français qu’a commencé le concert du 14 février confié à l’Orchestre
National de France dirigé par Nicholas Collon. Un court mais dense monobloc tonitruant
de 2008-2009 doté d’une orchestration compacte pour un orchestre fourni (bois
et cuivres par quatre, six cors, tuba, deux percussionnistes, soixante
instruments à cordes) dont les sons sont projetés de façon unidirectionnelle à
la face du public. Le Concerto pour piano et orchestre n° 2
de Wolfgang Rihm n’est pas du
meilleur du compositeur qui, dans ses plus de quatre cents opus, n’enchaîne pas
les chefs-d’œuvre, mai qui pourrait lui en vouloir tant il sait aussi donner
des pièces majeures qui forment autant de jalons de la musique de notre temps.
Malgré son incontestable talent, Tzimon Barto n’a pas convaincu dans cette œuvre
qu’il a pourtant créée au Festival de Salzbourg le 24 août 2014 sous la direction
de Christoph Eschenbach. Il n’a pas témoigné davantage de bon goût et de sens
de la transition en donnant un bis un Nocturne de Chopin sans rapport avec le
concerto et qui plus est joué de façon mielleuse et à peine audible. Pas plus
convaincant le Why so Quiet d’Yves
Chauris (1980) composé en 2014-2015, ni même Transitus de Rihm créé le 5 mai 2014 à La Scala de
Milan sous la direction de Riccardo Chailly.
En revanche, le concert du 15
février, dont les changements de plateau ont doublé la durée, est à marquer d’une
pierre blanche. Passons rapidement sur la création du charmant et souriant Fantaisie-Concerto
pour alto et orchestre commandé à Graciane
Finzi (1945) en 2016 par Radio France interprété avec allant par Marc
Desmons. Le reste du programme a démontré combien la musique d’aujourd’hui peut
être inventive, originale, puissante, porteuse d’avenir. A commencer par le
bouleversant De Profundis d’après le Psaume
130 donné en première audition française que Wolfgang Rihm a composé en 2015. Autre création en France, le
remarquable In-Schrift II du même
Rihm. Commande de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, qui l’a créé le 20
octobre 2013 sous la direction de Simon Rattle à l’occasion du cinquantième
anniversaire de l’inauguration de la Philharmonie de Berlin, cette partition de
seize minutes pour grand orchestre (flûte alto, deux hautbois, sept
clarinettes, six bassons, six cors, quatre trompettes et trombones, deux tuba,
percussion, piano, harpe, violoncelles, contrebasses) est particulièrement
ambitieuse, autant sur le plan sonore que sur la répartition dans l’espace de l’exécution.
Rihm n’est assurément pas le seul compositeur à avoir de telles préoccupations,
mais In-Schrift II, peut-être en
raison de sa brièveté, donne une impression d’immédiateté et de profondeur qui
le distingue des œuvres de notre temps. Si cette répartition dans l’espace ne
constitue pas une nouveauté, l’œuvre sonne de façon particulièrement originale,
rien ne paraissant vraiment familier à l’écoute. L’univers sonore de Rihm est
remarquablement immersif et captivant, notamment par la prépondérance des
instruments les plus graves de l’orchestre, d’où les violons et les altos sont
exclus, la famille des flûtes étant représentée par une unique alto, qui côtoie
pas moins de six clarinettes, avec trois bongos dispersées dans les hauteurs de
la salle au-dessus du public, six bassons (dont quatre contrebassons), quatre
trombones et deux tubas). Une page aussi inventive et exaltante que l’immense
chef-d’œuvre Jagden und Formen pour
orchestre (1995-2008).
Autre page majeure, cette fois de
la fin du XXe siècle, donné en conclusion de ce concert, l’impressionnant
Formazioni pour chœur mixte et grand orchestre de Luciano Berio (1925-2003) créé le 15
janvier 1985 par son commanditaire, l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam
dirigé par Riccardo Chailly qui l’ont enregistré chez Decca avec la Sinfonietta. Si l’orchestre est « habituel »,
sa répartition est pour le moins inhabituel. L’objet de Formazioni est les relations au sein des familles traditionnelles d’instruments
et les rôles qu’ils sont appelés à jouer sont définis de façon nouvelle. A
gauche, à l’avant, et à droite, à l’arrière, deux groupes d’instruments à vent,
avec deux groupes de cuivres placés à droite et à gauche au centre. Un groupe
de cinq clarinettes et contrebasses est placé au centre sur le devant du
plateau entouré de violons et d’altos. Berio a qualifié les cordes de « ciment
souvent caché », les violons cèdent leur place aux contrebasses. Les
instruments les plus graves sont assis au plus près du chef d’orchestre, tandis
que les plus aigus sont à l’arrière. Cette spatialisation suscite une nouvelle
perspective acoustique, avec l’interaction incessante entre des blocs de sons
massifs et des passages de musique de chambre. Ainsi, Formazioni constitue pour les interprètes une véritable gageure,
autant pour les pupitres solistes que pour le collectif de l’orchestre et du chœur.
Il convient donc de saluer l’exceptionnelle réalisation du Chœur de Radio
France et de l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé avec une
rigueur, une énergie, une maîtrise éblouissante par le chef argentin Alejo
Pérez.
Bruno
Serrou
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