Affiche de la Première Biennale Pierre Boulez à la Philharmonie de Paris. Phot : (c) Philharmonie de Paris
A l’origine, avec Laurent Bayle,
de la Biennale Pierre Boulez, Daniel Barenboïm a dirigé deux concerts cette
semaine à la Philharmonie de Paris. Le premier dans un programme monographique Claude
Debussy, l’un des créateurs favoris de Pierre Boulez, le second plus boulézien
encore autour du rituel, puisque constitué de l’une des œuvres phares du compositeur
Boulez, Rituel in memoriam Bruno Maderna,
et l’une des partitions fétiches du chef d’orchestre Boulez, le Sacre du printemps d’Igor Stravinski.
Pierre Boulez et Daniel Barenboïm. Photo : DR
« J’ai connu Daniel Barenboïm
au Domaine musical, me rappelait Pierre Boulez lors d’un entretien qu’il m’accorda
en 2007 à l’occasion des quarante ans de l’Orchestre de Paris (cf. mon livre Entretiens avec Pierre Boulez 1983-2013,
Editions Aedam Musicae, 2017). J’avais entendu parler de lui par Friedelind
Wagner, petite-fille de Richard Wagner, et je l’ai engagé pour l’un de ses tout
premiers concerts parisiens. Je l’ai dirigé à l’Odéon dans le Kammerkonzert
d’Alban Berg avec la violoniste polonaise Wanda Wilkomirska.
En 1975, Daniel, alors directeur musical de l’Orchestre de Paris, savait très
bien que j’avais coupé les ponts avec la France depuis un bon moment, tandis
que Michel Guy [NDR : fondateur du Festival d’Automne à Paris et
Secrétaire d’Etat à la Culture de Valéry Giscard d’Estaing] pouvait me parler
de l’éventualité de me produire avec l’Orchestre de Paris avec plus d’autorité,
si je puis dire. Il m’a dit « Ah, cela suffit, maintenant. Il faut
que vous dirigiez cet orchestre, puisque vous n’avez jamais plus dirigé
d’orchestre français depuis votre départ en 1968 ». Barenboïm m’étant très
proche, j’ai répondu « bon, eh bien pourquoi pas ».Ce soir de 1975, j’ai accompagné Daniel dans le Cinquième
Concerto de Beethoven, et j’ai dirigé l’orchestre dans la version
originale de l’Oiseau de feu de Stravinski. Les quinze ans de
Barenboïm à la tête de l’Orchestre de Paris ont contribué à améliorer les
choses. Daniel a fait des cycles, travaillé les différents styles, etc. Il a
réalisé un travail considérable. Un travail qu’il a fait pour lui-même aussi,
parce que, au début, il n’avait pas lui-même une grande expérience du métier de
chef. »
Une partie du dispositif de Rituel in memoriam Bruno Maderna de Pierre Boulez. Photo : (c) Philharmonie de Paris
Tout
jeune encore lorsqu’il fit la connaissance de Pierre Boulez, Daniel Barenboïm est
resté proche du compositeur chef d’orchestre, l’invitant très souvent à diriger
les phalanges dont il était le directeur musical, le Chicago Symphony
Orchestra et la Staatskapelle Berlin, deux formations avec lesquelles Boulez a
enregistré de nombreux disques pour le label DG. C’est avec l’orchestre
berlinois, qui est aussi celui de l’Opéra « Unter den Linden » que Daniel
Barenboïm a donné dans la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie la pièce naturellement spatialisée
composée en 1974 à la suite du décès du grand compositeur chef d’orchestre
vénitien Bruno Maderna (1920-1973), proche de Boulez et membre comme lui de l’école
dite de Darmstadt où ils se sont rencontrés en 1952, à l’instar entre
autres Luigi Nono et Karlheinz Stockhausen. Rituel in memoriam Bruno Maderna
est du point de vue organisationnel une pièce complexe, mais musicalement
facile d’accès, car de conception obsessionnelle et répétitive.
Pierre Boulez, Bruno Maderna et Karlheinz Stockhausen à Darmstadt en 1955. Photo : DR
Conçue quelques
années avant Répons, qui utilise l’outil informatique de l’IRCAM, institut
encore en gestation au moment de la composition de Rituel, Boulez célèbre la
mémoire de son ami Maderna avec un ensemble orchestral composé de huit groupes aux
effectifs croissants et disposés séparément sur le plateau, mais toujours
pourvu d’une percussion : un hautbois, deux clarinettes, trois flûtes,
quatre violons, un quintette à vent, un sextuor à cordes, un septuor de bois et
un groupe de quatorze cuivres, ce dernier, le plus sonore, dispose de deux
percussionnistes, principalement gongs et tam-tam, le gong le plus grave
donnant les départs de chacune des sections. Plus tard, riche de l’expérience
de Répons, Pierre Boulez suggéra sa
préférence de voir les huit groupes instrumentaux de Rituel répartis dans l’espace.
Daniel Barenboïm dirigeant Rituel in memoriam Bruno Maderna. Photo : (c) Philharmonie de Paris
C’est
cette dernière option qu’a retenue Daniel Barenboïm, qui, avant l’exécution de
l’œuvre, a choisi de la présenter et de la commenter longuement, cherchant à
rassurer le public pourtant déjà largement conquis, de l’écoute aisée de cette
partition complexe, expliquant les nuances entre « compliqué » et « complexe »,
au risque de se mélanger les pinceaux en reprenant les termes. Cette présentation,
bonne a priori, mais plus longue à exprimer, avec l’appui d’exemples exécutés
par l’orchestre, que l’œuvre elle-même, alors même que l’analyse de Dominique
Jameux publiée dans le programme de salle était amplement suffisante, d’autant
plus qu’elle est remarquablement écrite et concise. Quoi qu’il en soit, l’œuvre
sonne magistralement dans la grande salle de la Philharmonie, et l’on ne peut être
qu’envoûté par le rendu sonore, à l’exception des deux ensembles situés côté
jardin et un troisième au fond, tous au dernier étage, qui ont suscité une
forte réverbération.
Le Sacre du printdemps d'Igor Stravinski chorégraphié par Maurice Béjart et dirigé par Pierre Boulez au Festival de Salzbourg en 1960. Photo : DR
Œuvre
fétiche de Pierre Boulez, le rituel sacrificiel brut et primitif d’Igor
Stravinski le Sacre du printemps
ponctue sa carrière, depuis ses études avec Olivier Messiaen, enregistrant son premier
disque officiel avec un orchestre symphonique, l’Orchestre National de France,
pour la Guilde du Disque en 1963, et qu’il réenregistrera à deux reprises par
la suite, avec l’Orchestre de Cleveland (CBS/Sony, DG), sans compter le DVD
avec le BBC Symphony, et qu’il aura dirigé avec tous les grands orchestres du
monde, faisant notamment ses débuts à la tête du Philharmonique de Berlin à
Salzbourg en 1960 pour la chorégraphie de Maurice Béjart, avant de le refaire pour la
scène en 2002 à la demande de Bartabas pour ses chevaux avec l’Orchestre de
Paris. Chaque interprétation du Sacre permettait de suivre le développement de
la pensée du chef, depuis la version virtuose et d’une précision rythmique des
débuts, jusqu’à la souplesse et la luxuriance sonore de la fin, en passant par
la fluidité et la transparence des textures, mais préservant un continuum
rythmique d’une stabilité impressionnante à chaque reprise de l’œuvre. Pierre
Boulez m’avait rapporté que Stravinski avait détesté sa conception de l’œuvre à
chaque fois qu’il l’entendait sous sa direction, cela jusqu’à sa mort en 1971.
Daniel Barenboïm et la Staatskapelle de Berlin dans le Sacre du printemps d'Igor Stravinski. Photo : (c) Philharmonie de Paris
Daniel Barenboïm
s’est avéré loin de la vivacité et des contrastes inouïs que seul Pierre Boulez
savait mettre en jeu - ce qui bien évidemment n’empêche pas d’autres chefs d’offrir
des interprétations tout aussi saisissantes de l’œuvre -, à la tête d’un
Orchestre de la Staatskapelle de Berlin moins virtuose qu’attendu, à commencer
par l’entrée exposée par un basson tremblotant à l’excès. La direction de Barenboïm
a retenu l’intensité des variations de tempos, épaissit les étoffes de l’orchestre,
écrasé le nuancier, faisant ainsi du Sacre du printemps une œuvre plutôt germanique
que russo-française.
Bruno Serrou
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