lundi 4 septembre 2017

L’Orient et l’Occident ont dialogué au Festival de Sablé-sur-Sarthe

Sablé-sur-Sarthe. Festival baroque de Sablé. Mardi 22 août et mercredi 23 août 2017

Photo : (c) Bruno Serrou

Axé sur la musique de 1610 à 1750, le Festival baroque de Sablé-sur-Sarthe consacre sa 39e édition à la passion des Européens pour les mystères et les richesses de l’Orient. Jordi Savall en est naturellement l’un des hôtes.

Jordi Savall. Photo : DR

« Le dialogue pacifique entre les civilisations orientales et occidentales est fondamental, et c’est l’Occident qui a toujours commencé les guerres à son encontre. » Gambiste, chef d’orchestre, compositeur, arrangeur, chercheur, fondateur du label discographique Alia Vox, maître des époques médiévale, Renaissance et baroque, Jordi Savall s’intéresse depuis toujours aux relations Orient-Occident. Ce qui lui a naturellement valu d’être nommé en 2008 Ambassadeur européen pour le dialogue interculturel et d’Artiste de l’Unesco pour la Paix. « Les démocraties renversent les gouvernants qui ne leur plaisent pas, les religions ont été et sont encore facteurs de guerres. Tous les actes provocateurs ajoutés suscitent une haine viscérale. Or, je pense qu’avec la musique, véritable dialogue des âmes, nous pouvons nous entendre. » Humaniste et pacifiste, Savall défend le dialogue entre les cultures et le rapprochement des traditions musicales savantes et oral. C’est ainsi qu’il fonde en 1986 et 1989 le Concert des Nations et la Capella Reial de Catalunya, douze ans après l’ensemble Hespérion XX[I]. « La musique est la base de l’éducation universelle. Or, l’on oublie que les conflits sont le fruit de l’injustice et de l’ignorance. La plupart des musiques que je joue, qui courent du XIIIe siècle jusqu’au XVIIIe, sont séculières et traditionnelles. Peu de religion dans mon répertoire, à l’exception du Cantique des Cantiques. » Si les musiques occidentales et orientales d’aujourd’hui lui paraissent incompatibles, s’il lui semble impossible de mélanger la création de Bach avec l’oralité de l’Orient, Savall rappelle que l’expression musicale est commune jusqu’au XIIIe/XIVe siècle, à l’instar des instruments de musique.

Après son concert dans la « jungle » de Calais, Savall lançait en novembre 2016 avec le soutien de la Commission européenne son projet « Orpheus XXI, Musique pour la vie et la dignité ». C’est à la Saline royale d’Arc-et-Senans que Savall a réuni autour de lui vingt musiciens réfugiés (Afghans, Syriens, Irakiens, Kurdes, Soudanais, Biélorusses) qui vont ainsi pouvoir vivre de leur art pendant deux ans. « En plus des tournées de concerts, chaque musicien a la responsabilité de faire travailler les enfants dans les écoles pour pérenniser leur patrimoine. » C’est avec l’ensemble Hespérion XXI que Savall se produit au Festival de Sablé-sur-Sarthe dont il est depuis quarante ans l’un des piliers. Avec deux chanteuses, l’une syrienne l’autre israélienne, et des musiciens venus d’Arménie, d’Espagne, de Grèce, du Maroc et de Turquie Savall mettra an regard des musiques algérienne, chypriote, française, grecque, israélienne, roumaine et turque. « Avec ces musiques sublimes, s’enthousiasme Alice Orange, directrice artistique du festival, Savall met en résonnance les musiques populaires et savantes, les liens essentiels et spirituels qui unissent les peuples, et rappellent que la Méditerranée a été un temps un extraordinaire espace d’interaction entre les cultures musulmanes, juives et chrétiennes. »

Visages lumineux, corps dans la musique et pieds battant joyeusement la mesure, chanteurs et musiciens sont emplis de ces pages auxquelles ils donnent une vie revigorante, une tonicité communicative et une spiritualité à fleur de peau qui pénètre l’âme des auditeurs tant leur bonheur de jouer est effervescent. Une musique rayonnante de lyrisme, d’humilité et de ferveur servie avec allant, suscitant une écoute intense. Un programme consacré à l’empire ottoman et ses musiques séfarades, grecques, arméniennes et turques qui ont tant intrigué l’Europe occidentale au point de la fasciner aux XVIIe et XVIIIe siècles. Un programme a priori complexe et suscitant une écoute attentive qui a laissé l’auditoire ébahi, et si d’aucuns attendaient le musicien dans son répertoire d’il y a vingt ans, le temps pourtant dilaté passant tel l’éclair, le public médusé en a redemandé avec tant d’insistance que Savall et son ensemble ont ajouté un bis, sans pour autant rassasier l’auditoire.

Hervé Niquet en Don Quichotte. Photo : (c) Bruno Serrou

Le festival de Sablé s’était ouvert la veille au soir sur une représentation réjouissante de Don Quichotte chez la Duchesse de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) au Centre Culturel de Sablé-sur-Sarthe. Une salle imposante de plus de huit cents fauteuils pour cette petite ville sarthoise de douze mille habitants qui a malheureusement un plateau doté de dégagements insuffisants, et pas de fosse. Du coup, Hervé Niquet a dû limiter les effectifs instrumentaux de son Concert Spirituel à deux violons, un violoncelle, une contrebasse, deux flûtes/hautbois, un basson, un percussionniste et une claveciniste. C’est avec cet opéra-ballet comique au loufoque exorbitant créé en 1743 à l’Académie royale de Musique sur un livret de Charles-Simon Favart librement adapté du Don Quichotte de Cervantès qu’Hervé Niquet et son Concert spirituel firent leurs débuts en 1988 en concert puis à la scène en 1996. Un peu plus d’un an après sa première à l’Opéra royal de Versailles avec un orchestre plus fourni, Niquet et la troupe qu’il a réunie autour du Concert spirituel ont offert au public de Sablé une interprétation baroquissime de l’œuvre maîtresse de Boismortier. Spectacle réjouissant en effet que celui-là, mené avec humour et une vitalité irrésistible par l’omnipotent Niquet, qui se donne sans compter, autant dans la fosse que sur scène, en véritable deus ex machina, conteur, comédien, mime, et, plus qu’accessoirement chef d’orchestre. L’opéra comique de Boismortier se fait farce de tréteaux véritable commedia dell’arte amalgamant hispanismes et japonaiseries joyeusement mise en scène par Corinne et Gilles Benizio animant dans d’astucieux décors de Daniel Bevan et des costumes bariolés d’Anaïs Heureaux et Charlotte Winter une troupe de chanteurs aussi brillants dans la comédie que dans le chant. A commencer par le haute-contre Emiliano Gonzalez Toro, Don Quichotte à côté de ses pompes, et le baryton Marc Labonnette, Sancho Pança  tout en rondeur. La soprano Chantal Santon-Jeffrey est une Altisidore à la voix opulente, la basse Virgile Ancely excelle dans ses trois rôles (Montesinas, Merlin, le traducteur), la soprano Agathe Boudet (Amante 1, la suivante), malgré une voix sans caractère, brille dans l’air de l’Amante auquel Hervé Niquet instille un rythme fulgurant. Seule la soprano Marie-Pierre Wattiez parait vocalement fatiguée dans le rôle de la paysanne.

Trois concerts attendaient les festivaliers dans la journée de mercredi, comme ce devait être le cas chaque jour de la semaine, dont celui de Jordi Savall. Les deux qui l'ont précédés étaient réservés à de jeunes ensembles. Le premier en début d’après-midi en l’église Saint-Pierre du petit village du Bailleul, réunissant des œuvres en quatuor de Jean-Féry Rebel (1666-1747), Michel Corrette (1707-1795), Georg Friedrich Telemann (1681-1767) et François Couperin (1668-1733) par l’Ensemble Le Quadrige qui fit sa première apparition à Rouen en 2016, quatre jeunes musiciens réunis sous la houlette de la violoniste Fiona-Emilie Poupard, et constitué de Mathilde Horcholle au traverso, Mathilde Vialle au violoncelle et Mathieu Boutineau au clavecin. Le violon de Fiona-Emilie Poupard est lumineux et sûr, portant la musique de Rebel et Corrette avec brio, mais l’on entend guère le traverso de  Mathilde Horcholle, et la violoniste ne parvient pas à transcender la pièce de Telemann, comme toujours long et terne, ni celle de Couperin, que Telemann a ternie. En la sombre basilique Notre-Dame du Chêne de Vion, l’Ensemble Il Caravaggio fondé en 2011 a donné un programme mêlant airs, duos et musique instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles. Don, contrairement à ce que son nom laisse supposer, ce n’est donc pas la musique Renaissance que les deux chanteurs, la mezzo-soprano Anna Reinhold et le baryton-basse Guilhem Worms, et six instrumentistes (Florence Malgoire et Anthony Marini (violons), Alice Coquart (violoncelle), Ronald Martin Alonso (viole de gambe), Quito Gato (théorbe) et Sophie Gourlet (flûte) se destinent mais à l’époque baroque. La structure de leur prestation, intelligemment pensée et interprétée, a associé des pages de musique française, de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), André Campera (1660-1744), avec de larges extraits de l’opéra-ballet Le Carnaval de Venise, Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749), Jean-Philippe Rameau (1683-1764) et Jean-Marie Leclair (1697-1764).


Bruno Serrou

Article en partie publié dans le quotidien La Croix le 21 août 2017

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