Sablé-sur-Sarthe. Festival baroque de Sablé. Mardi 22 août et mercredi
23 août 2017
Photo : (c) Bruno Serrou
Axé sur la musique de 1610 à 1750, le Festival baroque de
Sablé-sur-Sarthe consacre sa 39e édition à la passion des Européens
pour les mystères et les richesses de l’Orient. Jordi Savall en est
naturellement l’un des hôtes.
Jordi Savall. Photo : DR
« Le dialogue pacifique
entre les civilisations orientales et occidentales est fondamental, et c’est
l’Occident qui a toujours commencé les guerres à son encontre. » Gambiste,
chef d’orchestre, compositeur, arrangeur, chercheur, fondateur du label
discographique Alia Vox, maître des époques médiévale, Renaissance et baroque,
Jordi Savall s’intéresse depuis toujours aux relations Orient-Occident. Ce qui
lui a naturellement valu d’être nommé en 2008 Ambassadeur européen pour le
dialogue interculturel et d’Artiste de l’Unesco pour la Paix. « Les
démocraties renversent les gouvernants qui ne leur plaisent pas, les religions ont
été et sont encore facteurs de guerres. Tous les actes provocateurs
ajoutés suscitent une haine viscérale. Or, je pense qu’avec la musique,
véritable dialogue des âmes, nous pouvons nous entendre. » Humaniste et
pacifiste, Savall défend le dialogue entre les cultures et le rapprochement des
traditions musicales savantes et oral. C’est ainsi qu’il fonde en 1986 et 1989
le Concert des Nations et la Capella Reial de Catalunya, douze ans après
l’ensemble Hespérion XX[I]. « La musique est la base de l’éducation
universelle. Or, l’on oublie que les conflits sont le fruit de l’injustice et
de l’ignorance. La plupart des musiques que je joue, qui courent du XIIIe
siècle jusqu’au XVIIIe, sont séculières et traditionnelles. Peu de
religion dans mon répertoire, à l’exception du Cantique des Cantiques. » Si les musiques occidentales et
orientales d’aujourd’hui lui paraissent incompatibles, s’il lui semble
impossible de mélanger la création de Bach avec l’oralité de l’Orient, Savall
rappelle que l’expression musicale est commune jusqu’au XIIIe/XIVe
siècle, à l’instar des instruments de musique.
Après son concert dans la
« jungle » de Calais, Savall lançait en novembre 2016 avec le soutien
de la Commission européenne son projet « Orpheus XXI, Musique pour la vie
et la dignité ». C’est à la Saline royale d’Arc-et-Senans que Savall a
réuni autour de lui vingt musiciens réfugiés (Afghans, Syriens, Irakiens,
Kurdes, Soudanais, Biélorusses) qui vont ainsi pouvoir vivre de leur art
pendant deux ans. « En plus des tournées de concerts, chaque musicien a la
responsabilité de faire travailler les enfants dans les écoles pour pérenniser
leur patrimoine. » C’est avec l’ensemble Hespérion XXI que Savall se
produit au Festival de Sablé-sur-Sarthe dont il est depuis quarante ans l’un des
piliers. Avec deux chanteuses, l’une syrienne l’autre israélienne, et des
musiciens venus d’Arménie, d’Espagne, de Grèce, du Maroc et de Turquie Savall
mettra an regard des musiques algérienne, chypriote, française, grecque,
israélienne, roumaine et turque. « Avec ces musiques sublimes,
s’enthousiasme Alice Orange, directrice artistique du festival, Savall met en
résonnance les musiques populaires et savantes, les liens essentiels et
spirituels qui unissent les peuples, et rappellent que la Méditerranée a été un
temps un extraordinaire espace d’interaction entre les cultures musulmanes,
juives et chrétiennes. »
Visages lumineux, corps dans la musique et pieds
battant joyeusement la mesure, chanteurs et musiciens sont emplis de ces pages
auxquelles ils donnent une vie revigorante, une tonicité communicative et une
spiritualité à fleur de peau qui pénètre l’âme des auditeurs tant leur bonheur
de jouer est effervescent. Une musique rayonnante de lyrisme, d’humilité et de ferveur
servie avec allant, suscitant une écoute intense. Un programme consacré
à l’empire ottoman et ses musiques séfarades, grecques, arméniennes et turques
qui ont tant intrigué l’Europe occidentale au point de la fasciner aux XVIIe
et XVIIIe siècles. Un programme a priori complexe et suscitant une
écoute attentive qui a laissé l’auditoire ébahi, et si d’aucuns attendaient le
musicien dans son répertoire d’il y a vingt ans, le temps pourtant dilaté
passant tel l’éclair, le public médusé en a redemandé avec tant d’insistance que
Savall et son ensemble ont ajouté un bis, sans pour autant rassasier l’auditoire.
Hervé Niquet en Don Quichotte. Photo : (c) Bruno Serrou
Le festival de Sablé s’était
ouvert la veille au soir sur une représentation réjouissante de Don Quichotte chez la Duchesse de Joseph
Bodin de Boismortier (1689-1755) au Centre Culturel de Sablé-sur-Sarthe. Une
salle imposante de plus de huit cents fauteuils pour cette petite ville
sarthoise de douze mille habitants qui a malheureusement un plateau doté de
dégagements insuffisants, et pas de fosse. Du coup, Hervé Niquet a dû limiter les
effectifs instrumentaux de son Concert Spirituel à deux violons, un violoncelle,
une contrebasse, deux flûtes/hautbois, un basson, un percussionniste et une
claveciniste. C’est avec cet opéra-ballet comique au loufoque exorbitant créé
en 1743 à l’Académie royale de Musique sur un livret de Charles-Simon Favart
librement adapté du Don Quichotte de
Cervantès qu’Hervé Niquet et son Concert spirituel firent leurs débuts en 1988 en
concert puis à la scène en 1996. Un peu plus d’un an après sa première à l’Opéra
royal de Versailles avec un orchestre plus fourni, Niquet et la troupe qu’il a
réunie autour du Concert spirituel ont offert au public de Sablé une interprétation
baroquissime de l’œuvre maîtresse de
Boismortier. Spectacle réjouissant en effet que celui-là, mené avec humour et une
vitalité irrésistible par l’omnipotent Niquet, qui se donne sans compter, autant
dans la fosse que sur scène, en véritable deus
ex machina, conteur, comédien, mime, et, plus qu’accessoirement chef d’orchestre.
L’opéra comique de Boismortier se fait farce de tréteaux véritable commedia dell’arte amalgamant hispanismes
et japonaiseries joyeusement mise en scène par Corinne et Gilles Benizio
animant dans d’astucieux décors de Daniel Bevan et des costumes bariolés d’Anaïs
Heureaux et Charlotte Winter une troupe de chanteurs aussi brillants dans la
comédie que dans le chant. A commencer par le haute-contre Emiliano Gonzalez
Toro, Don Quichotte à côté de ses pompes, et le baryton Marc Labonnette, Sancho
Pança tout en rondeur. La soprano Chantal
Santon-Jeffrey est une Altisidore à la voix opulente, la basse Virgile Ancely
excelle dans ses trois rôles (Montesinas, Merlin, le traducteur), la soprano Agathe
Boudet (Amante 1, la suivante), malgré une voix sans caractère, brille dans l’air
de l’Amante auquel Hervé Niquet instille un rythme fulgurant. Seule la soprano Marie-Pierre
Wattiez parait vocalement fatiguée dans le rôle de la paysanne.
Trois concerts attendaient les
festivaliers dans la journée de mercredi, comme ce devait être le cas chaque
jour de la semaine, dont celui de Jordi Savall. Les deux qui l'ont précédés étaient réservés à de jeunes ensembles. Le
premier en début d’après-midi en l’église Saint-Pierre du petit village du Bailleul,
réunissant des œuvres en quatuor de Jean-Féry Rebel (1666-1747), Michel
Corrette (1707-1795), Georg Friedrich Telemann (1681-1767) et François Couperin
(1668-1733) par l’Ensemble Le Quadrige qui fit sa première apparition à Rouen
en 2016, quatre jeunes musiciens réunis sous la houlette de la violoniste
Fiona-Emilie Poupard, et constitué de Mathilde Horcholle au traverso, Mathilde Vialle au violoncelle
et Mathieu Boutineau au clavecin. Le violon de Fiona-Emilie Poupard est
lumineux et sûr, portant la musique de Rebel et Corrette avec brio, mais l’on
entend guère le traverso de Mathilde
Horcholle, et la violoniste ne parvient pas à transcender la pièce de Telemann,
comme toujours long et terne, ni celle de Couperin, que Telemann a ternie. En
la sombre basilique Notre-Dame du Chêne de Vion, l’Ensemble Il Caravaggio fondé
en 2011 a donné un programme mêlant airs, duos et musique instrumentale des XVIIe
et XVIIIe siècles. Don, contrairement à ce que son nom laisse
supposer, ce n’est donc pas la musique Renaissance que les deux chanteurs, la
mezzo-soprano Anna Reinhold et le baryton-basse Guilhem Worms, et six
instrumentistes (Florence Malgoire et Anthony Marini (violons), Alice Coquart
(violoncelle), Ronald Martin Alonso (viole de gambe), Quito Gato (théorbe) et
Sophie Gourlet (flûte) se destinent mais à l’époque baroque. La structure de
leur prestation, intelligemment pensée et interprétée, a associé des pages de
musique française, de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), André Campera
(1660-1744), avec de larges extraits de l’opéra-ballet Le Carnaval de Venise, Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749), Jean-Philippe
Rameau (1683-1764) et Jean-Marie Leclair (1697-1764).
Bruno Serrou
Article en partie publié dans le quotidien La Croix le 21 août 2017
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