Paris. Philharmonie. Vendredi 2 septembre 2016
Photo : DR
Parisien pendant quinze ans, de
1975 à 1989, comme directeur musical de l’Orchestre de Paris, à la tête de
l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin depuis sa nomination comme directeur musical
général de la Staatsoper unter den Linden en 1992, orchestre dont il est chef à
vie depuis 2000, Daniel Barenboïm et sa phalange berlinoise ont ouvert vendredi
la saison symphonique parisienne à la Philharmonie.
La Staatskapelle Berlin est l’une
des orchestres les plus anciens, puisqu’il a été fondé voilà quatre siècles et
demi, en 1570 précisément. Jusqu’en 1918, il a porté le nom de Königlische
Preussische Hofkapelle (Chapelle royale de la Cour de Prusse), et Richard
Strauss en fut le titulaire pendant vingt ans, de 1898 à 1918, comme directeur
de la Hofoper et de son orchestre. Après la Première Guerre mondiale, le
compositeur chef d’orchestre bavarois en restera chef invité privilégié, et il
enregistrera plusieurs fois ses propres œuvres symphoniques avec lui. L’érection
du mur de Berlin en 1961 fut la cause d’un certain oubli, jusqu’à ce que, deux ans après la
chute du mur, Barenboïm en accepte la direction. Aujourd’hui, il se produit non
seulement dans la fosse et sur le plateau de l’Opéra d’Etat de Berlin, mais
aussi dans la célèbre Philharmonie, et donne chaque année un concert gratuit en
plein air, au cœur de la capitale allemande, le Staatsoper für alle.
Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berlin. Photo : (c) Bruno Serrou
Les Parisiens ont eu depuis les
années 1990 nombre d’occasions d’entendre Barenboïm et son orchestre,
particulièrement Théâtre du Châtelet, autant en concert que dans des
productions lyriques. Ce n’est pas la première fois que le binôme se produit à
la Philharmonie, et Daniel Barenboïm en maîtrise déjà les particularités
acoustiques et les équilibres, comme en témoigne la disposition de l’orchestre,
avec contrebasses alignées derrière les cuivres, trompettes côté jardin et les
cors à cour devant les timbales, trombones et tuba au centre, premier et
seconds violons côte-côte, violoncelles et altos côté cour.
Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berin. Photo : (c) Philharmonie de Paris
Cette fois c’est une intégrale
des symphonies d’Anton Bruckner que le pianiste chef d’orchestre
argentino-israélo-hispano-palestinien présente à Paris avec son orchestre
allemand, mettant chacune en regard d’une œuvre concertante de Mozart, avec
plusieurs solistes, dont lui-même au piano. C’est avec le vingt-quatrième des
concertos pour piano qu’il a ouvert le cycle. Dans ledit Concerto pour piano et orchestre n° 24 en ut mineur KV. 491, Barenboïm,
comme il le fait depuis les années 1970, a dirigé depuis son grand Steinway,
dos au public entouré des musiciens d’un somptueux orchestre berlinois. Dans
des tempi plutôt lents, cette partition au caractère dramatique a atteint une
atmosphère quasi brucknérienne - en beaucoup moins cuivré, bien sûr -, tandis
que le dialogue s’est avéré particulièrement équilibré entre le soliste, les
pupitres soli et les tutti, particulièrement lumineux.
Photo : (c) Bruno Serrou
Comme pour Mozart, et en disciple
déclaré de Wilhelm Furtwängler, Daniel Barenboïm est depuis toujours singulièrement
à l’aise dans l’œuvre brucknérien. En effet, dès l’époque où il était à la tête
de l’Orchestre de Paris, il programmait régulièrement l’une ou l’autre
symphonie du maître de Saint-Florian, et, lorsqu’il fonda le Chœur de l’Orchestre
de Paris, une messe, un motet, le Te Deum
ou Helgoland. Au disque, il en est à
trois intégrales « officielles » des symphonies (1), la dernière en
date, enregistrée avec la Staatskapelle Berlin, étant parue sous le label Peral
Music. La Symphonie n° 4 en mi bémol
majeur qualifiée par son auteur de « Romantique »,
est avec les Septième, Huitième et Neuvième, l’une des œuvres les plus accomplies de Bruckner. Pourtant,
pour le compositeur autrichien, aucune œuvre ne pouvait être terminée, la
musique étant une perpétuelle expansion vers l’infini. En effet, conçue en un
peu plus de dix mois en 1874, profondément remaniée trois fois par la suite,
jusqu’à ce que le compositeur s’en déclare enfin satisfait un jour de 1888, la Quatrième semble pourtant couler de
source, tant l’on n’y perçoit aucune contrainte, au point qu'il s'agit aujourd’hui de l’une
des pages les plus prisées de Bruckner. Daniel Barenboïm en a donné vendredi
une interprétation au cordeau, toute en tensions, extension et d’un lyrisme
effervescente, tandis que l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin s’est
montré virtuose, d’une homogénéité saisissante, avec ses cuivres rutilants - à l’exception
du premier cor solo, qui n’est pas apparu sous son meilleur jour, quoiqu’en ait
jugé le chef, qui l’a félicité à la fin de l’exécution, et le public, qui
l’a ovationné lorsque Barenboïm l’a invité à saluer -, tandis que les bois se
sont imposés par leur vélocité et leur sonorités soyeuses, tandis que les
cordes ont rivalisé de panache et de syncrétisme, altos, violoncelles et
contrebasses onctueuses, violons flamboyants.
Bruno Serrou
1) Il est même l’un des rares
chefs à avoir enregistré la Symphonie n°
0 en ré mineur que Bruckner rejeta de son catalogue à l’instar de la Symphonie n° 00. Cet enregistrement
réalisé avec le Chicago Symphony Orchestra et publié chez DG, associe deux
autres œuvres rares de Bruckner, Helgoland
et le Psaume CV. Son intégrale EMI avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin vient d'être rééditée chez Warner Classics - ainsi que celle des Concertos pour piano de Mozart avec l'English Chamber Orchestra publiée ce mois-ci -, tandis que la dernière à ce jour, avec la Staatskapelle Berlin, est parue chez Peral Music.
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