Photo : (c) Bruno Serrou
Créé en 1966 par le grand
pianiste hongrois György Cziffra, avec l’Orchestre Colonne dirigé par son fils
György Cziffra Jr., sur l’initiative de plusieurs mélomanes, dont le Dr Georges
Mazoyer e son épouse, le Festival de La Chaise-Dieu, qui se déroule pendant une
décennie le temps d’un week-end, prendra son véritable envol à partir de
1976, avec la nomination de Guy Ramona. Directeur général jusqu’en 2003, puis
président jusqu’en 2009, il ouvre la programmation de La Chaise-Dieu à toutes
les musiques, des plus anciennes aux plus contemporaines, de Guillaume de
Machaut à Olivier Messiaen.
L.a Chaise-Dieu. Abbatiale Saint-Robert. Photo : (c) Bruno Serrou
A la suite de Cziffra, les plus
grands musiciens se sont succédé à La Chaise-Dieu, de Yehudi Menuhin à Mstislav
Rostropovitch, de Michel Corboz à Lorin Maazel… La programmation a commencé à
faire la part belle à la musique française et à la musique sacrée, cette
dernière étant parfaitement à sa place dans cette abbatiale du XIVe siècle,
avec son jubé, le gisant du pape Clément VI, originaire de La Chaise-Dieu, et
son orgue classique, ce qui permettait de programmer des œuvres courant de
Tallis, Josquin des Prés et Monteverdi à Berlioz et Penderecki.
La Chaise-Dieu. Abbatiale Saint-Robert, vue inérieure. Photo : (c) Bruno Serrou
Les deux successeurs de Ramona,
Jean-Michel Mathé et, depuis 2012, Julien Caron, ont conforté la politique
artistique de leur prédécesseur, tout en ouvrant encore davantage la programmation
aux musiques extra-européennes et en donnant leur chance à de jeunes ensembles
et à de nouveaux artistes. Avec Julien Caron, le Festival de La Chaise-Dieu s’étend
sur l’ensemble du département de la Haute-Loire, investissant églises et autres
lieux patrimoniaux de villages et de hameaux, jusque la préfecture, Le
Puy-en-Velay, comme la basilique Saint-Julien de Brionde, la collégiale Saint-Georges
de Saint-Paulien, l’église Saint-André de Lavaudieu, l’église d’Ambert ou celle
de Chamalières-sur-Loire… Les travaux entrepris par le département, la région
et l’Etat, qui couvrent déjà trente pour cent du budget (1) pour la
réhabilitation de l’abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu, grâce au succès
constant du festival dont elle est l’épicentre, et où ses bureaux sont installés
définitivement, la manifestation, dotée en outre d’une salle pour la musique de
chambre, va bientôt pouvoir accueillir artistes et étudiants en résidence et
organiser des concerts toute l’année. « Nous pourrons ainsi rayonner à
travers le département et la région pour diffuser la musique en zone rurale en
diffusant sur tout le territoire et en conviant des publics nouveaux, se
félicite Julien Caron. D-s la saison 2016-2017, nous recevons en résidence le
Quatuor Diotima, qui va préparer chez nous l’intégrale des Quatuors à cordes de Béla Bartók et les jouer pour la première fois
en concert ici avant de partir en tournée et de les enregistrer. »
La Chaise-Dieu, Abbatiale Saint-Robert, vue depuis le cloître. Photo : (c) Bruno Serrou
Au sein d’une programmation riche
et ambitieuse pour son demi-siècle d’existence, le Festival de La Chaise-Dieu a
reçu le plus fidèle de ses invités, le chef britannique Paul McCreesh. C’est le
24 août 1991 que le public du Festival de La Chaise-Dieu découvre Paul McCreesh,
ainsi que l’ensemble qu’il avait créé neuf ans plus tôt, le Gabrieli Consort
& Players, dans les Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi. C’est à La
Chaise-Dieu et avec cette œuvre que le chef britannique s’est imposé en France.
Paul McCreesh. Photo : DR
« J’ai découvert La
Chaise-Dieu en 1989. C’était en plein hiver, sous une épaisse couche de neige,
se souvient le chef d’orchestre britannique Paul McCreesh. Ce lieu est propice
à la spiritualité, au recueillement. Il est particulièrement inspirant. »
Directeur artistique de l’un des plus beaux ensemble de musique ancienne, le
Gabrieli Consort & Players, McCreesh est à 56 ans l’un des chefs les plus influents
de notre époque. Son champ d’investigation ne se réduit pas à ce répertoire « Je
suis de la deuxième génération des musiciens baroques. Ce répertoire a été
défriché par nos prédécesseurs, et les instrumentistes maîtrisent archets
anciens, cordes en boyau, bois et cuivres naturels. Violoncelliste de
formation, comme son aîné Nikolaus Harnoncourt, il n’a jamais été un
professionnel de l’instrument. « Dès 22 ans en 1982, je fondais le
Gabrieli, et je me suis immédiatement consacré à la direction et à l’étude des
partitions, de la Renaissance à nos jours. » Directeur artistique de
festivals, comme à Wroclaw (Pologne) et à Brinkburn (Angleterre), McCreesh se
produit partout dans le monde, autant avec le Gabrieli qu’avec des orchestres
symphoniques. Cet été, il s’est produit au Festival de Beaune avant de revenir
en France sur l’invitation de La Chaise-Dieu, dont il est l’un des
piliers. Il espère découvrir dès que possible la Philharmonie de Paris, où
il ne s’est pas encore produit.
A l’instar du Festival de La
Chaise-Dieu, Paul McCreesh ouvre de plus en plus son répertoire. « Si je
devais me retirer sur une île déserte, je ne sais pas avec quelles partitions,
tant j’ai de musique en tête. Mais s’il s’agit de disques, ce serait une
dizaine d’œuvres, de tous styles et époques. Elgar, sans le moindre doute parce
qu’il s’y trouve tout ce dont j’ai besoin, Purcell, Tchaïkovski. Pas Gabrieli,
parce que je l’ai en tête. S’il se trouve une œuvre que j’aimerais diriger, c’est
l’opéra Roméo et Juliette au village (1907)
de Frederick Delius. » Mais ce que McCreesh souhaite de tous ses vœux est
de diriger le plus tôt possible, dans l’abbatiale de La Chaise-Dieu, le War Requiem de Benjamin Britten et Un Requiem allemand de Johannes Brahms.
Paul McCreesh et le Gabrieli Consort. Photo : (c) Bruno Serrou
En attendant ces rendez-vous
espérés, Paul McCreesh a donné deux concerts en Haute-Loire. Le second mercredi,
abbatiale Saint-Robert, titré Jesu, meine
Freude, autour d’œuvres pour 18 voix a capella ou accompagnées à l’orgue
positif, dont la cantate éponyme de Bach entourée d’autres pages sacrées du
cantor de Leipzig et de Mendelssohn. « La voix est le plus beau, le plus
fin, le plus authentique des instruments, s’enthousiasme McCreesh. Elle touche
jusqu’au plus intime de l’âme. » La lecture dynamique, la rythmique d’une
précision inouïe ajoutées de l’absolue perfection de la polyphonie et à la
beauté des voix du consort, exhale avec McCreesh une vive émotion.
Ensemble Correspondances, Sébastien Daucé. Photo : (c) Bruno Serrou
Le premier des trois jours que j’ai
passés à La Chaise-Dieu a présenté abbatial Saint-Robert une
somptueuse prestation de l’Ensemble Correspondances dirigé par Sébastien Daucé,
son fondateur et organiste. Le programme était consacré aux Motets écrits pour
le jeune Louis XIV par Henry Dumont et François Roberday. Le chœur de onze
voix et l’orchestre de onze instrumentistes se sont avérés excellemment
préparés, sonnant juste, clair au service d’une spiritualité e d’un onirisme
prenants.
Barbara Kusa, Luis Rigon, Eduardo Egüez, La Chimera, Choeur de Chambre de Pampelune. Photo : (c) Bruno Serrou
Un programme original et festif,
centré sur les musiques sud-américaines et espagnoles, a été présenté par un
collectif réunissant le Chœur de Chambre de Pampelune, l’ensemble instrumental
La Chimera, le chanteur flûtiste Luis Rigou et la soprano Barbara Kusa, le tout
dirigé par Eduardo Egüez. Les œuvres réunies étaient de diverses origines, distribuées
en deux parties, la première intitulée Misa
de Indios, avec des pages puisées dans les sources populaires et dans divers
codex (Pérou, Bolivie, Paraguay), la seconde exclusivement consacrée à la Misa criolla d’Ariel Ramirez (1921-2010)
entièrement fondée sur du matériau traditionnel.
Vincent Larderet, Daniel Kawka et l'Orchestre OSE !. Photo : (c) Bruno Serrou
Mercredi était consacré à la
musique d’orchestre du XXe siècle. L’après-midi, l’Orchestre OSE !,
excellemment préparé et dirigé par son directeur-fondateur Daniel Kawka, a donné
Abbatiale Saint-Robert, un programme consacré à la musique de la première
moitié du XXe siècle, associant le Français Maurice Ravel et le
Finlandais Jean Sibelius. Du premier, un poétique et coloré Tombeau de
Couperin, suivi d’un tonique Concerto en
sol, avec en soliste le jeune e talentueux pianiste français Vincent Larderet,
partenaire inspiré de ce même orchestre et de ce même chef dans ce même
concerto associé à celui en ré « pour
la main gauche » et au Concerto
pour piano « J’entends dans le
lointain » de Florent Schmitt (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/11/cd-concertos-pour-piano-de-ravel-et.html),
l’orchestre et le chef donnant seuls une lecture énergique et colorée de la Symphonie n° 6 en ré mineur op. 104 de
Jean Sibelius.
Renaud Capuçon et l'Orchestre de Chambre de Bâle. Photo : (c) Bruno Serrou
Quelques heures plus tard, c’était au tour
du brillant ensemble de cordes suisse qu’est l’Orchestre de Chambre de Bâle,
qui avait invité le Français Renaud Capuçon, qui dirigeait du violon. Après un Concerto pour violon en la mineur BWV. 1041
de Jean-Sébastien Bach un rien contraint, Capuçon a dirigé de son violon le Polyptique pour deux orchestre à cordes
du Suisse Frank Martin d’une dimension spirituelle aussi grande que les plus
grandes pages instrumentales de Bach. Après une transcription pour violon et
orchestre à cordes de la Fantaisie sur le
nom de Sacher aux contours pour le moins traditionnels du Français Philippe
Hersant, Renaud Capuçon s’est installé au pupitre de premier violon pour les
sublimes Métamorphoses pour
vingt-trois instruments à cordes solistes de Richard Strauss. Chef-d’œuvre absolue
de la musique pour cordes, avec ses vingt-trois instruments à cordes qui
constituent autant de voix réelles, l’Orchestre de Chambre de Bâle a démontré
sa formidable maîtrise technique et son exceptionnelle homogénéité, comme
autant de solistes, quel que soit le pupitre, tandis que Renaud Capuçon s’est
parfaitement intégré à l’ensemble, jouant avec humilité, comme s’il était
depuis toujours membre de la formation bâloise. Seul regret, que la disposition
des effectifs sur le plateau, qui n’était pas conforme à celle que précise la
partition, avec les cordes graves au centre (alto, violoncelles, contrebasses),
Renaud Capuçon ayant opté pour un dispositif violon I et II, alto,
violoncelles, contrebasses derrière les violoncelles), ce qui a modifié les
perspectives sonores.
Bruno Serrou
1) Outre trente pour cent de
subventions publiques le budget de 1,5 million d’euros est couvert par
cinquante pour cent de ressources propres et vingt pour cent de mécénat d’entreprise
et individuel.
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