Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Vendredi 5 février 2016
Mikko Franck. Photo : DR
Pour la première fois depuis la
création du Festival Présences en 1991, un directeur musical de l’Orchestre
Philharmonique de Radio France a ouvert la manifestation que Radio France consacre
à la création musicale à la tête de son orchestre. Ne serait-ce que pour cette
raison, il convient de féliciter Mikko Franck pour s’être engagé dans l’aventure
de la musique contemporaine en ce qu’elle a de plus novateur.
Orchestre Philharmonique et Choeur de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou
Comme de coutume, le concert d’ouverture
a attiré le ban et l’arrière-ban de la musique contemporaine, compositeurs en
tête. Le programme s’est bien évidemment présenté comme une synthèse de la
totalité de l’édition 2016 consacrée à la musique italienne contemporaine sous
le titre Oggi l’Italia (Aujourd’hui l’Italie). Ainsi, deux
compositeurs italiens ont été mis en regard avec autant de compositeurs
français, chaque nationalité ayant un référent, l’un ouvrant et l’autre fermant
le programme, les deux vivants étant placés au centre de la soirée.
Fausto Romitelli (1963-2004). Photo : DR
Mort prématurément à l’âge de
quarante ans, le compositeur italien Fausto Romitelli (1963-2004) est « le
révélateur qui met en lumière le passage entre spectral et saturation »,
selon la formule de Yan Robin. Malgré la brièveté de son existence, Romitelli
restera comme un pionnier de la radicalité du son, dont s’inspireront notamment
les « saturationnistes », bien que Romitelli n’ait jamais été son
initiateur. Composé en 1999, créé à la Biennale de Venise le 21 octobre 1999, The Poppy in the Cloud (Le coquelicot dans le nuage) pour chœur de
voix blanches et ensemble compte neuf parties qui illustrent des vers déchirants
de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) extraits de Great Streets of Silence Led Away publié
en 1870. Cette œuvre de douze minutes fait appel à un ensemble instrumental de
quinze musiciens (flûte/flûte basse, hautbois, clarinette/clarinette basse,
cor, trombone, quatre percussionnistes, piano/clavier MIDI/Synthétiseur, deux
violons, alto, violoncelle, contrebasse) et à un chœur d’enfants. Dans l’esprit
des trois poèmes sélectionnés, Romitelli signe ici une musique hallucinée,
agressive, faite d’ombre et de lumière. Les « voix blanches »
auxquelles se réfère le compositeur renvoient à la couleur des vêtements qu’avait
choisi de porter la poétesse alors qu’elle écrivait son recueil de poèmes. Aussi
brillante que soit la Maîtrise de Radio France, la surreprésentation des jeunes
filles par rapport aux garçons ne peut rendre palpable la fragilité des voix
blanches que le titre réclame, l’intonation et l’attaque des notes apparaissant
trop parfaites et solides, tandis que les membres du Philharmonique de Radio France,
sous l’impulsion de Mikko Franck, qui dirigera assis la totalité du concert, a
donné toute la saveur de l’admirable partie instrumentale.
Thierry Pécou (né en 1965), Håkan Hardenberger (trompette), Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou
La deuxième œuvre était une
création mondiale. Commande de Radio France et de l’Opéra de Rouen, composé en
2015, Soleil rouge pour trompette et
orchestre de Thierry Pécou (né en 1965) se place dans la continuité des œuvres
dans lesquelles le compositeur s’inspire des traditions indiennes d’Amérique du
Nord, particulièrement de la tribu des Navajos. L’orchestre de ce long chant
cérémoniel (bois et cuivres par deux [quatre cors] auxquels s’ajoutent
saxophone et tuba, timbales, deux percussionnistes, harpe et cordes) puise sa
source dans le son du tambour et sa frappe inflexible, et se prolonge dans l’instrument
soliste. La première partie de la partition est dense et chamarrée, mais à
partir de la cadence elle devient trop systématique et se fait un peu
redondante. Le trompettiste suédois Håkan Hardenberger,
familier de la musique contemporaine (il a notamment enregistré avec brio Jet Stream de Péter Eötvös et Mysteries of the Macabre de György
Ligeti), a donné toute la mesure de la partie soliste, à l’instar du
Philharmonique de Radio France, qui s’est avéré le partenaire idoine, brillant
de tous ses feux…
Mikko Franck, Luca Francesconi (né en 1956), Sofi Jeannin (chef de choeur) et Pumeza Matshikiza (soprano). Photo : (c) Bruno Serrou
… Tout comme dans le remarquable Bread, Water and Salt (Pain, eau et sel) de Luca Francesconi
(né en 1956), dont c’était vendredi la première audition en France. Commande de
la Fondation Santa Cecilia et de Radio France, créée le 3 octobre 2015 à l’Académie
Sainte-Cécile de Rome, écrite pour soprano, chœur mixte et orchestre, cette œuvre
confirme combien le compositeur italien a la verve lyrique. Non seulement l’italianita est bien ancrée dans sa
création, mais, depuis son opéra radiophonique Ballata del rovescio del mondo en 1994 jusqu’à celui en écriture, Trompe la mort d’après Honoré de Balzac
pour l’Opéra de Paris en 2017, en passant par Ballata créé en 2002 à La Monnaie de Bruxelles et Quartett en 2011 à la Scala de Milan, Francesconi
s’impose comme un grand lyrique. Richement orchestré (piccolo, deux flûtes, flûte
en sol, deux hautbois, cor anglais, quatre clarinettes, deux bassons, contrebasson,
quatre cors, trois trompettes, trois trombones, tuba, timbales, quatre
percussionnistes, harpe, synthétiseur, piano, cordes), et harmonisé pour chœur à
quatre voix, cet oratorio reprend des appels de Nelson Mandela (1918-2013) dont
il entremêle les deux langues que parlait le premier président noir de la
République sud-africaine, l’anglais et le xhosa. Commençant sur des
chuchotements pour se conclure dans un immense ensemble au tour mystique, les vingt
minutes de l’œuvre se déploient sans que l’on y prenne garde, tant l’œuvre emporte
l’auditeur pour ne plus le lâcher jusqu’à son terme. Emplie de sortilèges, tant
vocaux (la beauté des lignes réservées autant à la soprano soliste comme l’écriture
somptueuse d’un chœur aux caractères multiples) qu’instrumentaux, cette cantate
est d’une force dramatique et d’une humanité saisissante qui la situent dans la
lignée de l’hymne à la fraternité qu’est la Neuvième
Symphonie de Beethoven. Sous la direction sensible et expressive de Mikko
Franck et en présence du compositeur, l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de
Radio France ont servi cette partition avec élan et diligence, sertissant un
tapis liquide et soyeux à la soprano sud-africaine Puleza Matshikiza, qui avait
participé à la création de l’œuvre voilà quatre mois sous la direction d’Antonio
Pappano.
Henri Dutilleux (1916-2013). Photo : (c) Jean-Pierre Muller / AFP
Centenaire oblige, c’est sur une œuvre
d’Henri Dutilleux (1916-2013) que s’est conclu ce premier rendez-vous de
Présences 2016. La partition choisie pour cet hommage, Timbres, Espace, Mouvement, est l’une des plus puissantes du
compositeur français. Le sous-titre La
Nuit étoilée de cette partition commandée par Mstislav Rostropovitch qui
dirigea la création de sa première mouture à Washington le 7 janvier 1978, renvoie
au tableau éponyme peint en 1889 par Vincent van Gogh (1853-1890) dont
Dutilleux, qui révisa l’œuvre en 1990 pour y ajouter un interlude destiné aux
seuls violoncelles, a cherché à rendre musicalement l’effet tournoyant quasi
cosmique qui émane du tableau qui l’a inspiré. Les timbres sont marqués par l’absence
des cordes aiguës, violons et altos, laissant ainsi la primauté aux couleurs
sombres éclairées par des saillies de flûtes, de hautbois, de trompettes, de
harpe et de célesta et de la riche percussion, tandis que l’espace est établi
par une répartition de l’orchestre peu usitée, avec les douze violoncelles
disposés en arc de cercle autour du chef, et le mouvement représenté par le tourbillon
rythmique et l’alternance de tempi entre
quasi statiques et flamboiement. Peut-être est-ce dû à une attention particulière
portée à la préparation des trois premières œuvres de la soirée, mais l’Orchestre
Philharmonique de Radio France et son directeur musical sont apparus contractés
et timorés dans la première partie de Timbres,
Espace, Mouvement, Nébuleuse, les
sonorités et la métriques étant trop serrées, pour se libérer dans l’Interlude ou les violoncelles ont brillé
de leurs sonorités profondes et veloutées, préludant avec bonheur à Constellations, où l’orchestre a scintillé
sans retenue, Mikko Franck déverrouillant enfin ses musiciens d’un pesant
carcan.
Bruno Serrou
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