Paris. Opéra national de Paris-Bastille. Mercredi 3 février 2016
Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore. Anna Netrebko (Leonora) et Ludovic Tézier (il conte di Luna). Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris
Volet central de la grande trilogie populaire que Giuseppe Verdi conçut
entre 1851 et 1853, placé entre Rigoletto
et La Traviata, Il Trovatore (Le Trouvère)
est de ces trois ouvrages à la fois le plus conventionnel du point de vue
musical et le plus confus quant au livret, autant que la Force du destin (1862-1869). Assurément, le compositeur a voulu
faire contrepoids à une intrigue improbable et abscons en concevant une partition
puissamment dramatique et d’un romantisme exacerbé. S’appuyant sur un livret extrêmement
confus de Salvadore Cammarano et Leone Emanuele Bardare inspiré de la pièce El trovador du dramaturge espagnol
Antonio García Gutiérrez (1813-1884) chez qui Verdi avait précédemment puisé le
sujet de Simon Boccanegra, Il Trovatore cumule les situations les
plus invraisemblables.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore. Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris
Reconnaissons sans attendre que s’il
est des soirées rares et marquantes, la nouvelle production de Le Trouvère de l’Opéra-Bastille comptera
sans doute parmi les plus mémorables. De cet opéra noir à l’intrigue abscure donné
en coproduction avec l’Opéra d’Amsterdam, Àlex Ollè, membre du collectif catalan La
Fura dels Baus, a fait une œuvre évidente d’une grande humanité respectueuse
des intentions des auteurs, se limitant à transposer l’époque de l’action.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore. Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris
En plaçant l’action au temps de la Première Guerre mondiale, avec
tranchées, piliers de bétons et cimetières sous une lune blafarde, les
belligérants portant uniformes allemands et américains stylisés, Àlex Ollé assisté de
Valentina Carrasco, deux membres du collectif catalan La Fura dels Baus déjà
signataires entre autres d’extraordinaires Grand
Macabre de Ligeti à Bruxelles et Vaisseau
fantôme de Wagner à Lyon pour ne citer que deux de leurs spectacles, ont
réussi à rendre l’histoire plus lisible, même si le duo a fait plus esthétique
et théâtral que dans ce Trouvère.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore. Anna Netrebko (Leonora). Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris
Dans
un vaste espace fantomatique conçu par Alfons Flores aux dimensions
amplifiées par des miroirs qui étirent la scénographie et renvoient l’image des
protagonistes et du chef d’orchestre, les murs-pilonnes, qui montent dans les
cintres ou descendent dans les dessous, situant ainsi précisément l’action en se
faisant successivement caserne, montagnes, champ de bataille, tranchées, campement
gitan, cimetière, couvent, geôle, etc., les protagonistes se meuvent avec
naturel. D’autant que leurs voix se déploient confortablement, soutenues il est
vrai par la direction du chef italien Daniele Callegari particulièrement attentif
à conforter les chanteurs, sans pour autant empêcher de sonner un orchestre, qui
confirme sa position de meilleure phalange de France.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore. Anna Netrebko (Leonora) et Marcelo Alvarez (Manrico). Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris
Mais, pour le Trouvère, il faut
un quatuor vocal de haut vol. Et c’est précisément la gageure qu’a réussi à
relever l’Opéra de Paris. Sur le plateau en effet, quatre chanteurs aptes à
relever les défis que soulève cette partition. Déployant tout son potentiel
dramatique, Anna Netrebko est l’incarnation-même de Leonora. Voix d’une
solidité et d’une plastique aujourd’hui extraordinaires, timbre somptueux,
aigus rayonnants et graves envoûtants, ligne de chant d’une assurance infaillible,
articulation sans tâche, une présence prodigieuse exaltant une large gamme d’émotions,
cela dès la cavatine du premier acte, Tacea
de notte placida. La soprano russe réalise une performance magistrale,
habitant ce rôle qu’elle fait sien, bouleversante, brûlante.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore. Ekaterina Semenchuk (Azucena). Photo : (c) Charles Duprat / Opéra national de Paris
Face à elle,
l’ardent Manrico de Marcelo Alvarez, voix légèrement fatiguée qui le contraint
dans l’aigu (impression surtout sensible dans Di quella pira au troisième acte) mais claire et au phrasé élégant
qui donne au personnage une réelle densité. L’Azucena d’Ekaterina Semenchuk scotche
littéralement le spectateur sur son fauteuil par la force, la profondeur
hallucinante de son incarnation, tant vocale que dramatique, qui fait de ce rôle
bien plus que la sorcière où elle est trop souvent cantonnée, une écorchée vive
au tempérament de braise. Ludovic Tézier est un Conte de Luna noble, élégant, d’une
froide détermination. Sa voix est magnifique d’aisance et le timbre d’une
clarté, d’une franchise stupéfiante. Il convient d’associer à ce quatuor un
cinquième protagoniste, l’excellent Ferrando de Roberto Tagliavini. Mais Marion
Lebègue (Ines) et Oleksiy Patchykov (Ruiz) ne déméritent pas, à l’instar des
Chœurs de l’Opéra de Paris excellemment préparés par José Luis Basso.
Bruno Serrou
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