Bordeaux, Auditorium Dutilleux, jeudi 24 septembre 2015
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlo. Tassis Christoyannis (Posa) et Leonard Caimi (Don Carlo). Photo : (c) F. Demesure
Drame noir et oppressant sur le
pouvoir et ses perfidies dans l’Espagne du XVIe siècle minée par les
conventions et l’Inquisition, Don Carlos
est l’un des opéras les plus aboutis de Giuseppe Verdi. Il est aussi le plus
développé de ses ouvrages. C’est sans doute pourquoi cette fresque grandiose a
connu une genèse difficile qui a suscité plusieurs avatars. Tiré de la pièce
éponyme de Friedrich Schiller (l’auteur entre autres de l’Hymne à la Joie mis en musique par Beethoven dans le finale de sa IXe Symphonie), l’ouvrage est
écrit tout d’abord sur un livret en français de Camille du Locle et Joseph Méry
dans le style de « Grand Opéra » à la française en cinq actes.
Longtemps négligée, cette version créée à l’Opéra de Paris a été reprise avec
une distribution exceptionnelle (Roberto Alagna, Thomas Hampson, Karita Mattila,
Waltraud Meier, José Van Dam) Théâtre du Chatelet en 1996 dans une mise en
scène de Luc Bondy. Suivent une version en quatre actes en italien pour
Londres, qui évacue l’acte de Fontainebleau initial et les ballets, sous le
titre Don Carlo, que Verdi retouche
en 1872 pour Naples, avant de réviser dix ans plus tard la version française
avec la collaboration de Charles Nuitter mais sans l’acte de Fontainebleau
qu’il fait réadapter en italien par Angelo Zanardi pour la Scala de Milan en
1884, avant de retourner deux ans plus tard enfin à l’original en cinq actes
traduit en italien pour l’Opéra de Modène…
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlo. Elza van den Heever (Elisabeth) et Leonard Caimi (Don Carlo). Photo : (c) F. Demesure
C’est malheureusement la version
milanaise de 1882 qu’a choisie l’Opéra de Bordeaux. Placée sous le l’emprise de
la mort, qui est omniprésente, métaphore de l’opposition entre les aspirations utopistes
à la liberté de l’Infant Don Carlo et de son ami Posa, le despotisme du pouvoir
exercé par le roi Philippe II et l’implacable domination de l’Eglise incarnée
par le Grand Inquisiteur, Don Carlo(s) est
aussi drame de la jalousie (Philippe II à l’encontre son fils Carlos, Eboli à l’égard
d’Elisabeth), de la passion, de la trahison. Dans la rutilante acoustique de l’Auditorium
Dutilleux, l’Opéra de Bordeaux présente un Don
Carlo de Verdi scéniquement austère mais aux tensions musicales exacerbées.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlo. La scène de l'autodafé. Photo : (c) F. Demesure
Chaque personnage à sa part d’ombre et de folie, ce que la direction d’acteur
de Charles Roubaud met bien en évidence, au sein d’une intrigue qui se déploie sur
un plateau nu ceint de trois murs sur lesquels sont projetées des vidéos en
noir et blanc, à l’exception de l’autodafé de l’acte II, réalisées par Virgile
Koering, tandis que les chœurs, d’une homogénéité et d’une présence
impressionnante, s’expriment à la façon d’un chœur antique depuis les gradins à
l’arrière-scène à l’aplomb de l’action. Enlevée telle une gigantesque vague
d’orage et de passion par un Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine dirigé
avec flamme par son directeur musical Paul Daniel, qui remplaçait au pied levé
Alain Lombard, ce Don Carlo bénéficie
en outre d’une distribution équilibrée.
Giuseppe Verdi (1813-1901), Don Carlo. Wenwel Zhang (le Grand Inquisiteur) et Adrian Sâmpetrean (Philippe II, à droite). Photo : (c) F. Demesure
Les rôles féminins s’imposent, à
commencer par la rayonnante Elisabeth de la soprano sud-africaine Elza van den
Heever face à l’ardente Eboli de la soprano américaine Kerl Alkema. Face à elles,
le puissant et noble Posa du baryton grec Tassis Christoyannis, et les deux
basses, le Roumain Adrian Sâmpetrean, Philippe II ondoyant et rigide, et le
Chinois Wenwel Zhang, Grand Inquisiteur pétrifiant. De Don Carlos, le ténor italien
Leonard Caimi a la puissance et l’endurance, mais le grain de sa voix tend à se
voiler, voire à se brouiller.
Bruno Serrou
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