La Côte-Saint-André (Isère), Eglise Saint-André et Chapiteau de la Cour
du Château Louis XI, jeudi 27 août 2015
Hector Berlioz (1803-1869) Napoléon Bonaparte (1769-1821)
S’il est deux personnalités
françaises à s’être beaucoup épanchées sur leur propre sort, ce sont Hector
Berlioz et Napoléon Bonaparte. Le premier s’est mis en musique comme seul le
fera aussi clairement Richard Strauss, qui l’admirait au point d’élever l’autobiographie
musicale au somment de l’art musical, le second a expressément tenu à ériger
son propre mémorial à sa gloire en écrivant ses mémoires pour la postérité,
occupant ainsi les longues journées d’un exil aux antipodes auquel les coalisés
l’avaient condamné après sa défaite à Waterloo le 18 juin 1815.
Pierre Lenert (alto) et Ariane Jacob (piano). Photo : (c) Bruno Serrou
Berlioz par Pierre Lenert et Ariane Jacob
L’altiste Pierre Lenert et la
pianiste Ariane Jacob se sont attachés au premier, Hector Berlioz dont le
festival organisé dans son village natal de La Côte-Saint-André célèbre chaque
année son œuvre, sa mémoire et son temps, en donnant l’œuvre-symbole de l’alto,
Harold en Italie op. 16 H 68 pour laquelle le compositeur puise
dans ses souvenirs de voyage dans les Abruzzes tout en empruntant à Lord Byron
et à son roman Le pèlerinage de Child
Harold (1812-1818). L’œuvre a été donnée ce jeudi non pas dans sa version originale
mais dans l’arrangement que Franz Liszt en a fait pour alto et piano. En effet,
ami fidèle du compositeur français, qui composa cette symphonie en quatre
parties avec alto principal en 1834 pour Niccolò Paganini qui en refusa la
création parce qu’elle ne mettait pas suffisamment l’alto en valeur à son goût -
l’œuvre est créée le 23 novembre 1834 au Conservatoire de Paris par Chrétien
Uhran et dirigée par Narcisse Giard -, en se portraiturant à travers le
personnage d’Harold confié à l’instrument soliste, mais dans celle de Liszt,
qui, conquis par l’œuvre, en réalisa une transcription pour piano et alto dès
1836-1837. Le compositeur hongrois remettra le manuscrit à Berlioz pour qu’il
le relise, le récupèrera en 1852, et le corrigera selon les modifications que
son ami portera à sa propre version, en donnant notamment à l’alto la place
exacte qui lui est attribuée dans la forme originale définitive. L’on sait le
talent de Liszt pour mettre tout un orchestre dans le coffre d’un piano, et l’on
sait également combien l’orchestre de Berlioz, orchestrateur de génie (ce que
Liszt n’était pas), est luxuriant, dense et fluide à la fois. C’est dire l’abondance
de la partie piano d’Harold en Italie S.
472 de Liszt qui parvient à restituer la diversité de l’instrumentation
originale, qui une flûte, un hautbois ou le cor anglais dans la Sérénade, qui un cor ou une trompette,
la harpe ou les timbales, tandis que la partie d’alto reste en son état
initial. Pierre Lenert, premier Alto Super Soliste de l’Opéra de Paris depuis l’âge
de 19 ans, a donné de son bel instrument Vuillaume de 1865 une interprétation
de sa partie onirique et évocatrice, se fondant avec souplesse au
piano-orchestre déployé avec une justesse stupéfiante et une maîtrise
éblouissante par sa complice Ariane Jacob, qui a donné à l’Orgie des Brigands finale une force et une exaltation sonore
impressionnantes. Tandis que la pianiste se retrouvait seule devant le public dans cet
ultime mouvement incarnant l'orchestre auquel Berlioz réserve l'essentiel de ce mouvement, l’altiste s’est retiré discrètement à l’arrière-scène, avant
de joindre ses volutes finales dans le lointain aux derniers accords de sa
partenaire, ce qui s’avère la seule solution possible à cette partie d’où l’alto
est absent les neuf-dixième du temps.
Niccolò Paganini (1782-1840). Photo : DR
La première partie du récital de
Pierre Lenert et Ariane Jacob était entièrement dédiée à des pages du
dédicataire d’Harold en Italie, Niccolò Paganini. Les deux artistes ont proposé dès l’abord la Sonate « per la grand viola »
que le violoniste-compositeur italien écrivit pour grand alto et orchestre en
1834, la même année qu’Harold en Italie de Berlioz. Puis Pierre Lenert joua
seul des transcriptions pour alto des 21e
Caprice, Sonate Napoléon et 24e Caprice. L’alto de Lenert
adoucit la virtuosité qui semble primer dans leur version originale pour
violon, qui tend à faire passer la musique à l’arrière-plan au profit du
panache, donnant à ces pièces une variété de couleurs et de ton insoupçonnée
et, de ce fait, de bon aloi. En bis, Lenert et Jacob ont donné la délicate Romance oubliée S. 132 pour alto et
piano de Franz Liszt.
De gauche à droite : Jean-Français Heisser, Jean-Claude Acquaviva, Bruno Coulais, Didier Sandre, A Filetta et, à l'arrière-plan, l'Orchestre Poitou-Charentes. Photo : (c) Bruno Serrou
Création mondiale de l’oratorio Nabulio de Jean-Claude Acquaviva et
Bruno Coulais
Si Hector Berlioz était
totalement absent du concert du soir au Château Louis XI, c’est pour s’effacer devant son impériale majesté Napoléon Bonaparte, qui, rappelons-le une fois de plus,
suscitait son admiration sans ombre. Cette soirée constituait le deuxième rendez-vous
phare de l’édition 2015 du Festival Berlioz. Il s’agissait en effet de la
création mondiale d’une œuvre de quatre vingt dix minutes pour récitant, six
voix d’hommes et orchestre (bois par deux, cor, deux trompettes, trombone,
piano, harpe, célesta, timbales, percussion, cordes [10 premiers et 8 seconds
violons, six altos, quatre violoncelles, trois contrebasses]). Dirigée du piano
et du célesta par Jean-François Heisser à la tête de son Orchestre
Poitou-Charentes, cette œuvre épique intitulée Nabulio, diminutif que les Corses insulaires donnaient à Napoléon
Bonaparte enfant, se fonde sur des lettres de l'empereur et sur ses mémoires,
de son enfance à Ajaccio jusqu’à sa mort à Sainte-Hélène en passant par ses
conquêtes et défaites amoureuses, politiques et territoriales, l’évocation de
la naissance de son fils, l’Aiglon, et de l’avenir de ce dernier, de la postérité que Bonaparte allait laisser à la France et à l'Histoire… Deux
compositeurs se sont associés pour illustrer ces textes, Bruno Coulais (né en
1954), auteur de plus de deux-cents musiques de film, dont les Choristes et les Rivières
pourpres, et l’auteur-compositeur-interprète corse Jean-Claude Acquaviva (né
en 1965), chanteur et compositeur du groupe de polyphonies corse « A Filetta »
fondé en 1978 dont il est l’une des six voix, également signataire des textes en langue corse de Nabulio.
Le groupe de polyphonies corses A Filetta et les instruments à vent de l'Orchestre Poitou-Charentes. Photo : (c) Bruno Serrou
Commençant sur une longue introduction au piano de style atonal sonnant de loin en loin comme du Stockhausen, joué avec sérénité par Jean-François Heisser, la partition
de Bruno Coulais qui use intelligemment du micro-intervalle tend à se faire de plus en plus tonale au fur et à mesure que se dessine le destin de Napoléon.
Les polyphonies corses écrites par Jean-Claude Acquaviva ponctuent a capella les
pages de Coulais, qui s’approchent de plus en plus du style de son comparse
corse. Sans être novatrice, cette épopée musicale a pour elle l’originalité d’un
mixage intelligent entre deux écritures musicales savantes apparemment antinomiques
mais qui se fondent dans un même moule pour engendrer une œuvre particulièrement
évocatrice. Surtout grâce à la présence du comédien metteur en scène Didier
Sandre, pensionnaire de la Comédie Française, qui, soutenu avec attention par le pianiste-chef d'orchestre, dit avec un engagement de
chaque instant servi par une diction exemplaire d'une sa voix grave et posée les textes
de Napoléon, qu’il incarne avec une intensité saisissante. Seule petite réserve, l'orchestre couvre parfois le récitant au risque de le rendre incompréhensible, voire quasi inaudible.
Didier Sandre, Jean-François Heisser et l'Orchestre Poitou-Charentes. Photo : (c) Bruno Serrou
Le groupe A Filetta
s’est imposé par la beauté des voix et la maîtrise extraordinaire de leur chant
qui se s’entrecroisent, s’enchevêtrent et se détachent avec une dextérité
inouïe. Sous la direction ferme et claire de Jean-François Heisser, les
musiciens de l’Orchestre Poitou-Charentes a servi avec assurance cette
partition qui rappelle opportunément que le Festival Berlioz est naturellement
ouvert à la création et qui, souhaitons-le, sera reprise au plus tôt en d’autres
lieux, notamment en Corse...
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Trois concerts ce vendredi 28
août à La Côte-Saint-André, un récital Jean-François Heisser, qui propose en l’église
Saint-André à 17h un programme de musique espagnole pour piano (Albéniz,
Granados, Mompou, de Falla), et l’intégrale en deux concerts (19h et 21h30) des
Concertos pour pianos de Beethoven
par François-Frédéric Guy dirigeant du piano l’Orchestre de Chambre de Paris dans
la Cour du Château Louis XI.
Bruno Serrou
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