Paris, Philharmonie de Paris, samedi 14 février 2015
Fabien Gabel. Photo : DR
Les promoteurs de la Philharmonie
pourraient bien être sur le point de gagner leur pari. En effet, en ce samedi
de saint Valentin, nombreux étaient les promeneurs à arpenter non seulement les
abords mais aussi les couloirs de la grande salle de concerts du Parc de La
Villette. Au rez-de-chaussée, le bar était fermé bien à tort, tant la foule se
pressait à l’entrée, déambulant dans tous les accès ouverts au public, jusque
dans les espaces pédagogiques, comme si elle était en train de faire le lieu
sien, ce qui est plutôt de bon augure. Les escalators étaient en panne, sans
doute à cause d’une fréquentation excessive, les visiteurs se bousculant sur la
terrasse pour contempler le parc de La Villette et jusqu'au Sacré-Cœur, tandis que les curieux
cherchaient à s’imprégner de l’atmosphère du hall d’accueil. Couples avec ou
sans enfants, jeunes et moins jeunes manifestent leur enthousiasme par de
grands cris admiratifs, et si certains constatent les travaux qu’il reste à
faire, la grande majorité reconnaît que le lieu est magique.
Plafond de la Philharmonie. Photo : (c) Bruno Serrou
Il faut dire que les activités
proposées par la Philharmonie sont nombreuses, le samedi de 11h à 23h. Et il y
en a pour tous les goûts, pour tous les âges et pour tous les publics, de la
pédagogie au concert en passant par la pratique amateur, même si la plupart des
activités sont centrées sur une thématique journalière. Ainsi, le 14 février a
naturellement été consacré à la célébration des amours. L’Orchestre de Paris,
qui est l'acteur central de la vie de la Philharmonie, déploie son activité
plus encore qu’il le faisait Salle Pleyel, présentant le samedi des programmes
dans la continuité de ceux des concerts de la semaine, et ne se limite plus aux
seuls concerts en familles. Un premier témoignage de cette amplification de la voilure auquel j’ai assisté, le concert de l’après-midi de la saint Valentin,
affiché à 19h au lieu de 20h30 en semaine. Un horaire bien plus adapté que les
autres soirs - même si 19h est évidemment trop tôt en semaine -, considérant
le fait que le public met plus de temps à la Philharmonie qu’à Pleyel pour atteindre
son siège en début de concert et au terme de l’entracte, ce qui, de ce fait-même, fait que la majorité
des soirées commence non pas à 20h30 mais à 20h45 et les entractes durent non
pas vingt minutes mais près d’une demi-heure… Ce qui, au total, allonge les
soirées de concert de plus d’une heure par rapport à celles de Pleyel
(23h20/23h40 au lieu 22h15/22h35).
Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
Quoi qu’il en soit, le saint
patron des amoureux a suscité de la part de l’Orchestre de Paris un programme
aussi dense qu’original autour de la figure de Richard Wagner, des pages de ce ouvrant
et fermant le programme, tandis que deux de ses héritiers directs, Richard
Strauss et Claude Debussy, ont occupé la place centrale. C’est Das Liebesverbot, oder die Novize von
Palermo (la Défense d’aimer, ou la Novice
de Palerme), opéra de jeunesse de Wagner qui a ouvert la soirée. Cet
ouvrage de cinq heures en deux actes adapté en 1834 de Mesure pour Mesure de Shakespeare par le compositeur créé à
Magdebourg en 1836 ne figure pas parmi les dix opéras retenus par le Festival
de Bayreuth, à l’instar des Fées (1833-1834)
et de Rienzi (1837-1840). Le sujet, qui
se déroule durant le Carnaval, associe à la gravité du contexte, la peine de mort, le comique, puisque le condamné est sauvé par la ruse après avoir été menacé de mort pour avoir outrepassé une
interdiction d’aimer promulguée par un gouverneur hypocrite, ce qui engendre naturellement une série d’imbroglios.
Bien que placé sous l’influence de l’opéra italien et français, mais aussi et
surtout de Weber, et qu’il s’agisse d’un opéra de nature comique l’on décèle
déjà des bribes de couleurs, d’atmosphères et de déploiement du matériau
thématique propres à l’univers wagnérien de la maturité. Le tout est bien sûr
concentré dans l’ouverture, avec ses contrastes de pétulance festive, de
noirceur, de désir et de passion, avec force castagnettes et triangle. Ce hors
d’œuvre de pétulance et de festivité a mis le public en appétit en flattant ses
oreilles par des sonorités jubilatoires émanant de pages méconnues parce que très rarement
programmées. Le plat de résistance de la soirée a suivi cette courte page,
après de courts applaudissements (le public ne sera guère démonstratif tout au
long du concert).
Antonio Meneses. Photo : DR
Ample partition à l’écriture
dense, virtuose et à l’orchestration extraordinairement foisonnante, premier
volet du diptyque Held und Welt (Héros et Monde), le second étant Ein Heldenleben op. 40 (Une Vie de Héros), le trop rare poème symphonique
Don Quixotte op. 35 (1897) sous-titré
« (Introduzione, Tema con Variazioni
e Finale) Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque pour
grand orchestre », variations qui, au nombre de dix, content en autant d’étapes
les aventures du chevalier à la triste figure immortalisé par Miguel de
Cervantès, personnalisé par le violoncelle solo accompagné de son écuyer Sancho
Pança (alto) et du fantôme de Dulcinée (violon). Donné lors de sa création par
les trois chefs de pupitre de cordes, Don
Quichotte est souvent proposé avec un soliste de renom au pupitre de
violoncelle solo, naturellement la plus développée de la partition, puisqu’il
incarne le personnage central de ce poème épique. C’est cette dernière solution
qui a été retenue par l’Orchestre de Paris, qui a invité Antonio Meneses à
incarner Don Quichotte - le violoncelliste brésilien a enregistré cette œuvre avec
le Philharmonique de Berlin sous la direction de Herbert von Karajan -, tandis
que la partie d’alto a été brillamment tenue par l’altiste solo de l’Orchestre
de Paris, Ana Bela Chaves dont les sonorités charnues et feutrées ont magnifié
les résonances rondes et larges du violoncelle solo, tandis que Dulcinée était
campée par le violon solo Philippe Aïche, qui ne s’est pas avéré d’une justesse
infaillible. Meneses a donné une carnation vibrante au chevalier à la triste
figure, se jouant sans effort des difficultés techniques que lui réserve la
partition et exaltant des sonorités charnelles aux harmoniques sombres et
ardentes. Tous les pupitres de l’Orchestre de Paris, des solistes aux
tuttistes, ont rivalisé de timbres et de virtuosité dans cette partition somptueusement
orchestrée, donnant toute la mesure de l’acoustique de la salle, que j’ai
trouvée plus à l’écoute les uns des autres que le soir de l’inauguration, bien
qu’il leur faille encore veiller à la brièveté du temps de réponse, plus
resserré qu’à Pleyel, l’acoustique de la Philharmonie étant moins tolérante que
celle de la précédente salle. Le jeune chef français Fabien Gabel, disciple de
David Zinman et Kurt Masur, actuel directeur musical de l’Orchestre Symphonique
de Québec, a attesté de réelles affinités avec cette grande partition
straussienne, donnant une solide unité à cette suite de dix variations grâce à
un sens de la narration évident.
La seconde partie du concert a
été ouverte par la Suite pour orchestre
de l’opéra « Pelléas et
Mélisande » de Claude Debussy arrangée en quatre parties par le chef
allemand Erich Leinsdorf en 1946. Ce dernier l’a enregistrée avec l’Orchestre
de Cleveland, ainsi que Claudio Abbado, avec le Philharmonique de Berlin en
2001. Cette suite d’une demi-heure agrège les interludes ajoutés à la dernière
heure par Debussy, les thèmes fondateurs de la partition, celui de Golaud et de
Mélisande, les évocations les plus significatives du drame (la mer, la forêt,
la jalousie, la falaise), tout en renonçant à la scène d’amour entre les deux
héros, et le meurtre de Pelléas par son demi-frère, Golaud. Leinsdorf a ainsi respecté
l’œuvre originale à la fois en brossant plutôt une évocation que d’en faire une
synthèse, qu’en respectant l’écriture propre à Debussy, d’une fluidité liquide et
d’une sensualité marine inouïe tout en se situant dans la continuité du Parsifal de Wagner. Tout en mettant en évidence
la transparence et l’éclat de l’orchestration, sollicitant le brillant des
textures de l’Orchestre de Paris, la direction de Fabien Gabel a mis davantage
l’accent sur les beautés sonores de la partition que sur son origine opératique,
gommant le drame au profit de la volupté du son. Autres amoureux tragiques, Tristan et Isolde, héros de l’opéra le
plus porteur d’avenir de Richard Wagner, avec le Prélude et Mort d’Isolde
très souvent réunis en concert, l’Isoldes
Liebestod finale de l’opéra, Mild und leise, indifféremment donnée avec
ou sans la voix de soprano, étant enchaînée au premier dont elle magnifie la
force évocatrice tout en résolvant les tensions après les avoir exaltées. En
cela, Fabien Gabel a réussi pleinement ce parcours dramatique tendu comme un
arc tandis que l’Orchestre de Paris s’est avéré à la fois homogène et contrasté.
Bruno Serrou
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