Paris, Philharmonie de Paris, mercredi 18 février 2015
Kate Royal (soprano), Simon Rattle, Magdalena Kožená (mezzo-soprano), le Berliner Philharmoniker et le Choeur de la Radio Néerlandaise à la Phikharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou
Orchestre étalon, le Berliner Philharmoniker
était impatiemment attendu à la Philharmonie qui, plus que toute autre salle
parisienne, s’avère au terme d’une soirée proprement extraordinaire être véritablement
à la mesure de ce fabuleux orchestre forgé par les plus grands chefs de l’histoire
et jouant dans la plus belle acoustique au monde, la Philharmonie de Berlin
conçue par l’architecte Hans Scharoun, modèle absolu des salles de concert
modernes. Et les deux mille quatre cents privilégiés qui ont eu le bonheur d’assister
au premier concert de la phalange allemande à la Philharmonie de Paris sont
sortis sonnés et muets de cette soirée qui restera à jamais gravée dans leurs
oreilles et leur mémoire.
Au programme, deux œuvres
permettant il est vrai de juger en toute quiétude des capacités acoustiques de
la Philharmonie : Tableau pour
orchestre d’Helmut Lachenmann (né en 1935), aux textures fines et pointillistes, avec de
rares tutti en fortississimo mais toute en délicatesse, en rebonds, traits et en saillies
entre les pupitres, avec usage de sons blancs côté instruments à vent, emploi
de plectres côté harpe et de toutes sortes de coups d’archets, des chevilles au
chevalet des cordes, aux limites du silence, et la seconde, une grande page aux
contrastes hallucinants, la Symphonie « Résurrection »
de Gustav Mahler (1860-1911).
Helmut Lachenmann (né en 1935). Photo : DR
Répartis selon le dispositif
choisi par le chef britannique pour éclairer la polyphonie de la symphonie de Mahler
qui suivait sans autre interruption que les applaudissements du public, avec
premiers et seconds violons se faisant face séparés par l’estrade du chef, avec
altos à gauche des premiers violons, et violoncelles à droite des seconds, les
contrebasses à côté des trombones, les effectifs instrumentaux de cette œuvre composée
en 1988 sont pour le moins étoffés (quatre flûtes/piccolos, quatre hautbois,
trois clarinettes/clarinette basse, trois bassons/contrebasson, huit cors,
quatre trompettes, quatre trombones, quatre percussionnistes, timbales, harpe,
piano, douze premiers et douze seconds violons, dix altos, huit violoncelles,
huit contrebasses). Magnifié par l’orchestre le plus fabuleux, avec, à sa tête,
son directeur musical, Sir Simon Rattle, qui aime de toute évidence cette
musique dont il maîtrise les tenants et aboutissants, Tableau de Lachenmann a sonné avec une limpidité confondante, y
compris les grandes plages d’unissons qui dans leur opacité ont laissé percer
une profondeur de champs exceptionnelle grâce à un orchestre qui en a souligné les
reliefs de ses timbres foisonnants, donnant à l’auditeur le sentiment d’être au
contact-même de l’orchestre et de ses solistes au milieu d’une polyphonie directement
palpable.
Gustav Mahler (1860-1911) dans son bureau de directeur de l'Opéra de la Cour de Vienne. Photo : DR
Plus contrastée et impressionnante
encore, la symphonie qui constituait le morceau de roi de la soirée, lui
donnant la tonalité d’une exception dans une vie de mélomane, suscitant le sentiment
du véritable concert inaugural de la Philharmonie de Paris, tant l’œuvre et ses
interprètes ont donné l’exacte mesure de la salle conçue par Jean Nouvel et
surtout de l’acoustique d’Harold Marshall et de Yasuhisa Toyota. Une œuvre dont
le titre résonnait à l’esprit du public comme une lueur d’espérance, au cœur de
cette année 2015 dominée par la sinistrose et l’angoisse. La Symphonie n° 2 en ut mineur (1893-1894)
de Gustav Mahler commence en effet sur une monumentale marche funèbre tendue
comme un arc titubant en cinq sections intitulée Totenfeier (Cérémonie funèbre)
que Mahler composa parallèlement à sa Symphonie
n° 1 « Titan », en
1888, et se conclut en apothéose sur un lumineux finale composé sur un poème de
Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803), Auferstehung
(Résurrection) que Mahler avait
entendu en février 1894 durant les funérailles de son confrère et aîné Hans von
Bülow, le fondateur du Berliner Philharmoniker mort au cours d’un voyage en
Egypte, les deux volets extrêmes étant réunis par trois mouvements s’ouvrant
peu à peu sur la lumière. Le centre de la partition est le bref mais sublime Urlicht (Lumière originelle) pour
mezzo-soprano et orchestre tiré de Des
Knaben Wunderhorn (le Cor merveilleux
de l’enfant), « Ô rose rouge : / l’homme est dans la misère la
plus grande, / l’homme est dans la plus grande souffrance / ah, combien je préférerais être au ciel !… »
Simon Rattle, les Berliner Philharmoniker et le Choeur de la Radio Néerlandaise. Photo : (c) Philharmonie de Paris
A la tête d’un Orchestre des
Berliner Philharmoniker aux sonorités de braise, dont l’homogénéité s’est immédiatement
imposée, malgré une première mesure un peu désordonnée, avec un Allegro maestoso initial d’une unité
confondante mais laissant néanmoins percer les marbrures, Simon Rattle a donné
de la Résurrection une lecture au
cordeau, serrant les tempi tout
en maintenant une souplesse qui lui a permis d’éviter pathos et emphase,
pour instiller à l’œuvre l’élan de la jeunesse, mais aussi la virulence, l’ampleur,
l’onirisme et l’éclat conquérant qui en forment l’essence et qui ne sont qu’exceptionnellement
atteints à ce point. Dans l’Urlicht, la mezzo-soprano tchèque Magdalena Kožená, Madame Rattle à la
ville, a imposé son chant de braise de sa voix de velours au nuancier particulièrement
expressif. La soprano britannique Kate Royal, abstraction faite d’un vibrato un
peu trop prononcé, lui a donné une réplique chaleureuse dans le finale, où le
Chœur de la Radio Néerlandaise s’est naturellement montré à la hauteur de la
vision du chef et de la plastique de l’orchestre, cohérent, engagé et à l’ample
nuancier, mais l’on eut apprécié que ses effectifs, limités à quatre-vingt, soient
plus étoffés.
Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker. Photo : (c) Berliner Philharmoniker
Les
effectifs considérables mis en jeu par le compositeur (quatre flûtes/quatre piccolos,
quatre hautbois/deux cors anglais, cinq clarinettes/une clarinette basse,
quatre bassons/un contrebasson, dix cors, huit trompettes, quatre trombones,
tuba, deux timbaliers, six percussionnistes, glockenspiel, orgue, deux harpes,
seize premiers violons, quatorze seconds, douze altos, douze violoncelles, neuf
contrebasses - six trompettes, quatre cors et une paire de timbales étant en
outre dans les coulisses avant de se joindre à l’orchestre sur le plateau dans
les dernières mesures du finale), ainsi que la palette exceptionnellement large
des nuances et intensités de son écriture sont parfaitement indiquées pour
juger des performances acoustiques de la Philharmonie. Une acoustique qui
s’avère extraordinairement précise au point de ne rien pardonner quant aux
écarts d’attaques et de justesse, même les plus infimes, diffusant avec une
définition singulièrement claire la source du son, de la plus délicate à la
plus sonore, avec une résonance plus courte que dans une cathédrale mais
palpable, ce qui est unique à Paris.
Bruno Serrou
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