mardi 24 février 2015

London Symphony Orchestra et Valery Gergiev ont donné en un seul concert à Paris les deux facettes de Serge Rachmaninov, l’une populaire l’autre dédaignée

Paris, Philharmonie de Paris, dimanche 22 février 2015

Valery Gergiev et le London Symphony Orchestra à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Chef principal depuis 2007 du London Symphony Orchestra avec lequel il a été en résidence Salle Pleyel, Valery Gergiev et la première phalange britannique ont découvert la Philharmonie de Paris. Une première qui semble les avoir enthousiasmés, aucun des musiciens n’ayant paru vouloir se presser pour quitter le plateau, allant jusqu’à offrir un bis sans se faire prier... Le programme n’avait pourtant rien de transcendant, entièrement consacré à Serge Rachmaninov, surtout la seconde partie, occupée par l’une des symphonies les plus laborieuses du répertoire…

Serge Rachmaninov (1873-1943). Photo : DR

La première moitié du concert était entièrement occupée par le véloce Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur op. 18, l’œuvre la plus emblématique de Rachmaninov. Créée à Moscou le 27 octobre 1901 avec le compositeur au piano, cette œuvre est née après trois ans de silence dû à l’échec de la première symphonie, que Gergiev a judicieusement mise en regard en la programmant dans ce même concert. Les deux derniers mouvements ont été conçus avant le premier, et ont été donnés en création dès le 2 décembre 1900. L’échec de la symphonie avait été si cuisant, que Rachmaninov avait jugé bon de se confier à un psychologue, qui lui conseilla d’écrire un concerto. C’est donc une sorte de psychanalyse libératoire qui est le moteur de l’œuvre la plus célèbre de Rachmaninov et l’une des plus fameuses du répertoire concertant pour piano. Elle a permis une fois de plus d’apprécier les qualités acoustiques de la Philharmonie qui s'avèrent infiniment prometteuses, le soliste, Denis Matsuev, s’avérant dans ce cadre plus nuancé que d’habitude. 

Denis Matsuev. Photo : DR

En effet, une fois n’est pas coutume, d’entrée, Denis Matsuev s’est exprimé dans la demi-teinte, les premiers accords en batteries de cloches n’étant pas plaqués en force mais au contraire paraissant venir du lointain, quasi liquides, presque immatériels. Les doigts d’airain et les bras tout en muscles d’acier de Matsuev qui lui donnent une puissance de marathonien qu’il a tant de mal à retenir, se sont fait soudain plus mesurés et équilibrés. Car, cette fois, aucun risque à la Philharmonie, contrairement à ce qui peut subvenir dans nombre de salles ou le pianiste russe se produit, pour des oreilles sensibles de subir des signes de fatigue pouvant se traduire parfois par des acouphènes, tout en restant fort loin du raffinement et de l’onirisme d’un Chamayou. Il faut reconnaître néanmoins à Matsuev sa latitude au panache et à jouir sans affectation de ses aptitudes techniques et sonores vertigineuses dans une partition qui laisse le champ libre à une telle performance.

Denis Matsuev, Valery Gergiev et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Avec un orchestre au nuancier infini et aux couleurs à la fois brûlantes et feutrées, sachant répondre à la moindre inflexion du soliste, Matsuev ne pouvait que se montrer à l’écoute des musiciens de cette phalange qui n’ont rien à lui envier en virtuosité et en musicalité, et qui ont au contraire la capacité à modérer ses instincts de fauve du piano en l’obligeant à la modération et à l’écoute de ses pupitres, solistes et tuttistes. Hélas, dans le finale, le naturel de Matsuev est revenu au galop, jouant tout en force et sans retenue. Ce dont Valery Gergiev a d’ailleurs tiré profit en faisant sonner l’orchestre londonien avec une force conquérante, attisant lui aussi tout son potentiel sonore dans une course frénétique avec son soliste, les pupitres du LSO rivalisant de panache et d’éclat avec le pianiste russe. Rapidement, Matsuev a enchaîné deux bis, concluant sur un Prélude de Scriabine halluciné et par trop sonore.

London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Avec ses trois-quarts d’heure, soit une dizaine de minutes de plus que le concerto, la Symphonie n° 1 en ré mineur op. 13 de Rachmaninov a constitué le plat de résistance du concert. En fait, cette œuvre est carrément interminable tant elle est proprement indigeste… Et la beauté des timbres du London Symphony Orchestra n’a rien pu y changer. Composée en 1895, créée le 15 mars 1897 à Saint-Pétersbourg sous la direction désordonnée d’un compositeur laborieux, Alexandre Glazounov, ce soir-là sous l’empire de l’alcool, l’œuvre connut un échec si retentissant que son auteur resta stérile trois ans durant. Rachmaninov était même allé jusqu’à détruire sa partition autographe, qui a été reconstituée plus tard à partir des parties séparées. 

Valery Gergiev invite le cor solo du London Symphony Orchestra a saluer. Photo : Bruno Serrou

Il se trouve néanmoins quelques passages intéressants dans cette œuvre cyclique aux contours sombres et parfois pompeux, dont le mouvement initial découle dans le Dies Irae, thème funèbre médiéval que l’on retrouve dans le scherzo puis dans le finale, et qui occupera l’esprit de Rachmaninov jusqu’à sa mort. Le Larghetto réserve une chaude mélodie confiée à la clarinette. Valery Gergiev a donné le meilleur de cette partition, instaurant une certaine unité dans un univers assez décousu, tirant profit des somptueuses colorations instillées par le London Symphony Orchestra, plus lumineux et sensuel, en un mot plus « latin » que les Berliner Philharmoniker et Royal Concertgebouw Orchestra entendus cette même semaine dans cette même salle, s’avérant ainsi leur égal dans la cour des plus grands. Dommage que Gergiev n’ait pas choisi des œuvres autrement plus significatives de Rachmaninov, comme les Cloches, l’Île des Morts ou les Danses symphoniques… Avant de quitter la Philharmonie, comme pour jouir encore des qualités de cette nouvelle salle que Londres nous envie déjà, rejetant le Barbican Center comme obsolètes, Gergiev a lancé le London Symphony Orchestra dans une fébrile Polonaise de la scène du bal à Saint-Pétersbourg de l’opéra Eugène Onéguine de Tchaïkovski.

Valery Gergiev et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Valery Gergiev revient à la Philharmonie de Paris dès le 9 mars avec le Münchner Philharmoniker et la violoncelliste franco-argentine Sol Gabetta pour un hommage à Lorin Maazel (Antonin Dvořák/Richard Strauss).


Bruno Serrou

1 commentaire:

  1. J'ai eu constamment l'impression que l'acoustique de la salle favorisait l'orchestre au détriment du soliste ( Denis Matsuev )

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