dimanche 21 décembre 2014

L’Orchestre Français des Jeunes fait ses adieux à Dennis Russell Davies, son directeur musical depuis quatre ans

Paris, Salle des concerts de la Cité de la Musique, samedi 20 décembre 2014

Dennis Russell Davies. Photo : (c) Benno Huzniker

L’Orchestre Français des Jeunes cru 2014 a donné son dernier concert de la saison à Paris, Cité de la Musique, sous la direction de son directeur musical depuis quatre ans, Dennis Russell Davies, qui avait succédé à Kwame Ryan. Son propre successeur est d’ores et déjà connu, puisqu’il s’agit rien moins que de son compatriote David Zinman, qui vient de quitter l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich après dix fructueuses saisons à sa tête.

Ce dernier concert dirigé par Davies a confirmé le niveau d’excellence atteint par les jeunes recrues de cette formation à but pédagogique qui s’impose toujours davantage comme un passage obligé pour les apprentis musiciens qui projettent de se lancer dans une carrière d’orchestre. D’autant que, comme de coutume depuis la fondation de l’OFJ en 1982, les œuvres proposées aux quatre vingt dix huit élèves des conservatoires nationaux, régionaux et étrangers âgés de seize à vingt-six ans par les responsables de l’orchestre pour les deux sessions de cette année ont permis de mettre en valeur tous les différents pupitres de l’orchestre, aussi bien les cordes que les bois, les cuivres et la percussion.

L’OFJ a confirmé à la Cité de la Musique n’avoir rien à envier à quantité de phalanges professionnelles de renom. Notamment la persévérance. En effet, l’œuvre contemporaine inscrite au programme de cette session d’automne était pour le moins adaptée à des instrumentistes automates. Certes, il convient de confronter les futurs musiciens d’orchestre à tous les répertoires, et, surtout, à la musique de leur temps, ce qui est bien évidemment à l’honneur des responsables de ce orchestre de jeunes, comme il est naturel que figure au programme une partition d’essence classique et une œuvre de la fin du XIXe/début du XXe siècle, il est normal qu’y figure un compositeur d’aujourd’hui. Mais le choix d’une page d’un minimaliste nord-américaine est apparu fort itératif. Composé en 1985 par John Adams (né en 1947) pour se faire la main avant de s’engager dans la genèse de son premier opéra, Nixon in China (1985-1987), cette pièce pour orchestre - bois et cuivres par deux (quatre cors, tuba), percussion, timbales, piano, harpe, cordes - se veut une suite de danses fondée sur un foxtrot lancé par Jiang Qing pour son vieil époux, le président chinois Mao Tse Toung devant ses invités de la délégations américaine sous la conduite du président Nixon et de sa femme Pat. Douze minutes de rang, les cordes, surtout les violoncelles, sont astreintes aux mêmes coups d’archet sur une rythmique pérenne, tandis que bois, cuivres et percussion lancent presque continuellement les mêmes traits plus ou moins jazzy, façon Leonard Bernstein dans West Side Story ou Mass, mais dans le style répétitif, comme si le compositeur cherchait à enfoncer un clou à l’aide d’un marteau.

Maki Namekawa et Dennis Russell Davies en duo piano. Photo : DR

La page d’obédience classique ne datait pas du XVIIIe siècle mais du XXe, puisque signée Igor Stravinski (1882-1971). Mais un Stravinski dans sa période néo-classique reste Stravinski et continue à faire du Stravinski. Ce qui est tout à son honneur, et ce dont devraient s’inspirer nombre de « néo » actuels. Cette parenthèse fermée, composé en 1923-1924 à la demande de Serge Koussevitzky, qui en dirigea la création à Paris le 22 mai 1924, le Concerto pour piano et instruments à vent (trois flûtes et hautbois, deux clarinettes et bassons, quatre trompettes et cors, trois trombones, un tuba et trois timbales auxquels le compositeur ajoute six contrebasses qui n’apparaissent pas dans l’intitulé de l’œuvre malgré leur présence indéniable tant elles sont indispensables ici) est mélodiquement plutôt dépouillé à la façon des classiques, et les traits de virtuosité se situent davantage dans l’orchestre, quoique parfois massif, que dans la partie soliste, malgré de constants changements de mesure dans la cadence du mouvement initial et quelques bordées de virtuosité dans le Largo, repris dans la coda finale qui conclut l’œuvre de brillante façon. Sous la battue un peu sèche de Dennis Russell Davies, l’Orchestre Français des Jeunes s’est montré plus ou moins raide, phénomène peut-être mis en avant par l’acoustique lointaine et assez réverbérante de la Salle des concerts de la Cité de la Musique. Etonnamment vêtue d’un luxueux kimono façon geisha, la pianiste japonaise Maki Namekawa a tenu avec simplicité et constance la partie piano, les doigts courant sur le clavier sans rien laisser paraître, tant les touches ont semblé ne jamais s’enfoncer, au point que les nuances sont apparues peu contrastées. Ce qui tout compte fait va dans le sens de l’œuvre de Stravinski, qui, malgré le côté funèbre de l’introduction de ce concerto, rejetait toute velléité d’expression. Il s’en trouve encore moins dans l’insipide Etude pour piano n° 12 de Philip Glass que Namekawa, proche du compositeur, a donnée en bis, à la grande joie des musiciens de l’OFJ restés en coulisse pendant l’exécution du concerto qui ont bruyamment manifesté leur enthousiasme au terme d’une pièce sans guère d’intérêt si ce n’est d’être proche côté rythmique de l’esprit des musiques binaires mercantiles.

Dennis Russell Davies et l'Orchestre Français des Jeunes Cité de la Musique. Photo : (c) Orchestre Français des Jeunes

La seconde partie du programme était heureusement beaucoup plus convaincante et roborative. Le geste large, précis et engageant, Davies a brossé un plus impétueux qu’émouvant Mémorial pour Lidice, court et déchirant poème symphonique au caractère funèbre que Bohuslav Martinů (1890-1959) composa en 1943, quelques mois après le massacre par les nazis des habitants du village tchèque de Lidice. Cet adagio pour grand orchestre - trois flûtes, trois hautbois, trois clarinettes, deux bassons, quatre trompettes, deux cors, trois trombones, tuba, timbales, percussion (grosse caisse, cymbales, tam-tam), harpe, piano, seize premiers et quatorze seconds violons, douze altos, dix violoncelles, huit contrebasses -, tient des trop rares cris lancés par des compositeurs en écho aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, dont le sommet est Un Survivant de Varsovie qu’Arnold Schönberg composa en 1947, période dont les crimes ont été curieusement négligés par les compositeurs français (Oradour-sur-Glane n’a suscité aucune œuvre-cri musicale !)… L’Orchestre Français des Jeunes s’est fait un peu trop massif dans cette partition, mais la fureur de l’interprétation, si elle n’a pas bouleversé, a clairement reflété les sentiments d’horreur et d’injustice qui gouvernent la partition de Martinů.

Cette œuvre hallucinée a été suivie d’une autre page au caractère de furiant, la suite de concert que Béla Bartók (1881-1945) a tirée en 1928 de son ballet pantomime le Mandarin merveilleux op. 19 (1918-1919, 1924 et 1935), son ultime œuvre scénique après le ballet le Prince de bois (1914-1916) et l’opéra le Château de Barbe-Bleue op. 11 (1911), trois partitions en un acte. Il est toujours frustrant d’écouter en « abrégé » une œuvre qui vous « berce » depuis plus d’un demi-siècle dans sa version intégrale, même si elle a été réalisée par son auteur qui a en fait cherché à populariser une pièce qui a choqué ses premiers auditeurs, dans la cas du Mandarin autant par sa musique, d’une violence inouïe à l’époque, que par son immoralité. C’est d’autant plus frustrant avec la pantomime que Bartók a essentiellement enchâssé les parties les plus sonores et fébriles, négligeant presque systématiquement les épisodes les plus oniriques et sensuels, ainsi que les tentatives de meurtre du mandarin pour s’achever directement dans un violent fortissimo. Le tourbillon sonore qui introduit l’œuvre et situe l’action au cœur d’une métropole s’est avéré un peu bousculé côté cordes, comme surprises par le départ donné par le chef, qui a pourtant levé les bras bien avant de donner le départ non sans l’avoir signifié auparavant des yeux à tous les pupitres les uns après les autres, tandis que les accents syncopés des cuivres ont été un peu précipités. Mais les musiciens de l’Orchestre Français des Jeunes sont rapidement parvenus à trouver leurs repères, notamment les cordes sous la houlette de leur premier violon, Alexandre Paul, et le public a pu savourer le niveau technique et la qualité d’écoute de ces jeunes qui n’ont en aucun cas démérité, mais que l’on eut aimé écouter dans une acoustique plus présente, par exemple Salle Pleyel, comme ce fut le cas en décembre 2010 avec ce même chef, en attendant l’année prochaine la Philharmonie de Paris. 

Pour son ultime prestation, Dennis Russell Davies n’a pas jugé opportun d’offrir un bis à son orchestre et au public, préférant mettre rapidement un terme aux applaudissements pourtant fournis. Il faut dire que, annoncé pour durer une heure trente, le concert s’est terminé avec une demie heure de retard...


Bruno Serrou

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