dimanche 25 mai 2014

Mikko Franck et l’Orchestre Philharmonique de Radio France, une alliance plus que prometteuse

Paris, Salle Pleyel, vendredi 23 mai 2014


Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Jean-François Leclercq

« Claude Debussy est un compositeur important pour moi, notamment dans la relation que j’ai établie avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France depuis plusieurs années, me déclarait Mikko Franck dix jours avant ce premier des deux concerts qu’il dirige à Pleyel en cette fin du mois de mai à la tête de la phalange de Radio France dont il prendra la direction musicale en septembre 2015 (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/05/entretien-avec-le-chef-dorchestre.html). Nous avons même publié un premier disque Debussy, et nous allons continuer à l’enregistrer. Je tenais aussi à construire un programme avec Einojuhani Rautavaara parce qu’il s’agit d’un compositeur finlandais, comme vous le savez, et il est mon compositeur favori, celui que je préfère entre tous. En plus il est un excellent ami, et même s’il a plus de soixante-et-un ans de plus que moi, nous partageons un même goût pour la musique. C’est pourquoi j’ai pensé que ce serait une bonne idée de faire connaître sa musique au public de l’orchestre parce qu’elle parle aussi de moi. Quand je commencerai dans un an à diriger dans mes fonctions de directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, je veux que les gens aient déjà commencé à me connaître, et je pense que la meilleure façon de savoir qui je suis est d’écouter la musique de Rautavaara qui mettra sur la piste de ma personnalité parce que je l’adore et qu’elle est mienne. »


Mikko Franck. Photo : (c) Jean-François Leclercq

Né à Helsinki en 1928, Einojuhani Rautavaara est à la suite de Jean Sibelius l’un des compositeurs finlandais les plus réputés dans le monde. Il est également un pédagogue influent, nombre de compositeurs finlandais des générations qui suivent la sienne ayant été ses élèves à l’Académie Sibelius d’Helsinki, où il a enseigné pendant trente-trois ans, de 1957 à 1990. Rautavaara est un compositeur prolifique, écrivant dans une grande variété de formes et de styles. Après avoir expérimenté les techniques sérielles, qu’il n’observa jamais strictement, sa personnalité complexe et contradictoire a très vite rendu sa musique inclassable. Sa nature romantique est à la façon de Bruckner emprunte de mysticisme. Depuis le début des années 1980, Rautavaara a adopté une sorte de langage musical post-moderne dans lequel les éléments les plus inventifs et les plus traditionnels sont étroitement combinés les uns dans les autres.


Einojuhani Rautavaara (né en 1928). Photo : DR

La première des deux pièces de Rautavaara programmées hier par Mikko Franck est pour orchestre et bande magnétique façonnée à partir de divers chants d’oiseaux enregistrés sur les bords de l’océan Arctique et dans les tourbières de Liminka dans le nord de la Finlande. Composé en 1972, Cantus Arcticus op. 61 sous-titré concerto pour oiseaux et orchestre se présente en fait telle une cantate où les chanteurs sont non pas des femmes et des hommes mais des oiseaux comme le pouillot fitis, la sterne arctique, le cygne chanteur, le harle bièvre, le canard chipeau, le chevalier bargette, la bergeronnette printanière, le fuligule morillon ou le phragmite des joncs. Bien que peu audacieuse, cette page est probablement la partition la plus célèbre de son auteur. Rien à voir ici avec la pensée ornithologique d’Olivier Messiaen, qui réinventait les chants d’oiseaux à travers le prisme de sa palette de coloriste, Rautavaara se limitant à la restitution du chant de volatiles qu’il fait dialoguer avec une partie orchestrale simple qui sert en fait d’écrin harmonique interagissant avec le chant des oiseaux captés en leur milieu naturel.  L’atmosphère globale est une sorte de nocturne en trois parties d’esprit sibélien.


Hilary Hahn. Photo : DR

Composé en 1976-1977, le Concerto pour violon et orchestre de Rautavaara est l’œuvre concertante la plus connue du compositeur finlandais, bien que quasi absente des programmations françaises. L’œuvre compte deux mouvements. Le premier est dans un tempo modéré noté Tranquillo, tempo qui anime également l’essentiel du second pourtant indiqué Energico, cet élan ne s’imposant qu’au début et à la fin du morceau. Au sein d’une orchestration limpide, le célesta tient une place importante. D’entrée, ce dernier dialogue seul avec le violon soliste. Le mouvement initial est paisible et introspectif d’où émane tendresse et lumière. Le début du second mouvement, festif jusqu’à l’ivresse, forme un réjouissant contraste, qui conduit néanmoins, au milieu du morceau, à la mélancolie e tà l’angoisse, la tension restant en suspens. La cadence du violon solo du milieu du mouvement est laissée à l’initiative du soliste. A l’orchestre apparaissent des passages pointillistes aux connotations wéberniennes ornées dans les traits des pupitres solistes dont les interventions se succèdent pour former une mélodie de timbres. Jouant avec partition mais de façon dégagée, Hilary Hahn a donné de l’œuvre une interprétation charnelle et ample, offrant à la partition un tour accompli et serein, les sonorités de son instrument se fondant avec naturel à la carnation de l’orchestre.

Plus familier aux oreilles du public français, quoique d’une « modernité » plus assumée que chez Rautavaara, les deux œuvres de Claude Debussy retenues par Mikko Franck se sont avérées éblouissantes. Le chef finlandais a en effet donné une vie extraordinaire, une consistance et une atmosphère onirique saisissantes, autant dans le Prélude à l’après-midi d’un faune, singulièrement charnel, que dans la Mer, la partition respirant à pleins poumons les embruns de la Manche qui ont surgi jusqu’au cœur de la Salle Pleyel, l’assise des graves, avec autant de violoncelles que d’altos (12-12) résonnant aux contrebasses, faisant vibrer l’auditeur jusqu’au tréfonds de son être.

La main gauche de Mikko Franck, qui dirige toujours assis, est d’une expressivité saisissante. Elle pétrit la pâte sonore de son poignet d’une élasticité inouïe. Les musiciens ne peuvent que se donner pleinement, rassurés par une telle main mais aussi par la battue précise et tranchée de la baguette tenue fermement de la main droite. Les musiciens du Philharmonique de Radio France rayonnaient comme rarement depuis quatorze ans. L’alliance entre le chef et l’orchestre est de toute évidence promise à un avenir radieux.


Bruno Serrou

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