Paris,
Salle Pleyel, jeudi 22 mai 2014
Matthias Goerne. Photo : DR
Programme à la teneur hautement spirituelle cette
semaine à l’Orchestre de Paris, avec deux œuvres nées à soixante-dix ans d’intervalle,
l’une de teneur catholique l’autre d’obédience protestante. La première, de
courte durée, a servi de prologue à la seconde, quatre fois plus longue. Il s’est
agi d’une œuvre méconnue d’Olivier Messiaen, qui la composa en 1931 à la
mémoire de sa mère, la poétesse Cécile Sauvage, décédée en 1927, Le Tombeau resplendissant. Créée en
février 1933 sous la direction de Pierre Monteux, cette partition a été très
vite retirée par le compositeur, et n’a été reprise que soixante ans plus tard,
en 1994, deux ans après la mort de son auteur.
Alternant quatre mouvements vif-lent-vif-lent enchaînés,
les plages d’introspection dans les parties paires de ce Tombeau resplendissant sont du plus grand Messiaen, tandis que les
mouvements impairs sont emplis de couleurs d’une polychromie chatoyante mais
les voix de l’orchestre sont un peu trop touffues. Tant et si bien que l’on
comprend aisément ce qui a conduit Messiaen à demander le retrait de l’œuvre de
son catalogue. Ecrit pour grand orchestre (bois et cuivres par quatre), le Tombeau resplendissant alterne le pessimisme le plus sombre et béatitude,
alternance rare que Messiaen. L’Orchestre de Paris en a donné une lecture
dense, plus épanouie dans les mouvements lents que dans les rapides, où Paavo
Järvi a su néanmoins obtenir de ses musiciens de violents chocs harmoniques.
Sans pause autre que l’installation trop longue des
choristes, la seconde partie du programme était consacrée au sublime Ein deutsches Requiem op. 45 (Un Requiem allemand, 1865-1868) de Johannes
Brahms. Cette œuvre d’une grandeur simple toute en retenue et en espérance
intime est le contraire des requiem de la tradition catholique qui faisaient en
cette époque romantique les beaux soirs des salles de concerts. Le terme
« allemand » signifie que ce requiem repose non pas sur le rituel
funèbre latin mais sur des textes vernaculaires allemands qui mettent l’accent
non pas sur les défunts mais sur les vivants. Il commence en effet sur les mots
tirés de l’Evangile selon saint Matthieu « Heureux (sont) ceux qui souffrent,
car ils seront soulagés » (V, 4). Les textes réunis par Brahms associent
Evangiles, Epitres, Bible (Psaumes, Hébreux, Isaïe, Ecclésiastique, Sagesse),
l’Apocalypse de saint Jean, apocryphes inclus. Les sept mouvements que compte
l’œuvre sont disposés telle une arche, celle-ci étant ouverte et fermée par
deux invocations s’ouvrant sur Selig sind
(Heureux sont…). Pour mieux rattacher
sa partition à la tradition luthérienne, Brahms cite dans son deuxième
mouvement un chorale du XVIIe siècle, et, plus loin, des échos de
pages de deux compositeurs de la Renaissance allemande, Praetorius et de
Heinrich Schütz, particulièrement dans le morceau initial et dans le finale,
ainsi que des références à Jean-Sébastien Bach.
Avec des tempi
plutôt lents, Paavo Järvi a offert d’Un
Requiem allemand une interprétation retenue,
plus introspective que fervente, plus sombre que lumineuse, plus dramatique que
spirituelle, donnant à l’œuvre un tour tirant dans la tradition de la théâtralité
catholique davantage que vers l’humanisme luthérien. L’Orchestre de Paris a répondu
avec dextérité à la volonté de son directeur musical, s’appuyant sur la tenue
rigoureuse mais formidablement expressive du timbalier, Camille Baslé, qui a
rejoint l’orchestre en début de saison, mettant ainsi en exergue le fait que
Brahms semble toujours composer la tête dans les timbales. Mais l’ensemble des
musiciens s’est imposé, des altos aux contrebasses, les cordes graves étant
particulièrement sollicitées, ainsi que les bois et les cuivres, dont le socle
harmonique est assuré par l’orgue. Dans cette œuvre qui met en avant les
effectifs choraux, omniprésents, le Chœur de l’Orchestre de Paris s’est épanoui
sans réserve, donnant à la soirée tout son poids, malgré quelques décalages,
principalement dans le premier mouvement, et une intonation assez raide. Extraordinaire d’engagement et de
puissance, soulignant la portée de chaque mot mis en musique par Brahms soutenu
par une respiration à la mesure des longues phrases brahmsiennes, le baryton allemand
Matthias Goerne a enluminé ces grands moments d’humanité que sont les Andante « Herr, lehre doch mich »
(troisième mouvement) et « Denn wir
haben hie keine bleibende Statt » (sixième mouvement), aux élans d’un
Evangéliste des Passions de
Jean-Sébastien Bach, tandis que la soprano norvégienne Marita Solberg, voix
légère mais carnée, a réussi à restituer la grâce paradisiaque de « Ihr habt nun Traurigkeit ».
Bruno Serrou
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