Mikko Franck (né en 1979). Photo : (c) Jean-François Leclercq
A la tête d’une carrière enviable
alors qu’il n’a que 35 ans, le chef d’orchestre finlandais Mikko Franck a été désigné
voilà un an directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Il
succédera ainsi à Myung Whun Chung en septembre 2015. Ce remarquable musicien au
charisme étincelant s’est rapidement imposé en France, notamment aux Chorégies
d’Orange en 2010 dans Tosca et 2013
dans le Vaisseau fantôme avec l’Orchestre
Philharmonique de Radio France, et en 2012, remplaçant au pied levé Pierre
Boulez à la tête de l’Orchestre de Paris (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/12/remplacant-pierre-boulez-au-pied-leve.html).
Né à Helsinki le 1er
avril 1979, violoniste de formation, élève de Jorma Panula pour la direction, Mikko
Franck est l’un des chefs les plus doués de sa génération. Qu’il ait dirigé avant
23 ans les plus grands orchestres du monde n’est pas le fait du hasard. Très
attendues, ses prestations constituent d’authentiques événements. Enfant de
santé fragile, Mikko Franck n’en a pas moins dirigé son premier concert à 17
ans, à Helsinki. Très vite, ce sont tous les orchestres finlandais et ceux de
Scandinavie qui l'invitent, puis les Philharmonia et Symphonique de Londres, les Philharmoniques
d’Israël, Berlin, Munich, New York, Los Angeles, Symphonique de Chicago… En
2002, il est directeur artistique du Festival Kangasniemi en Finlande et de
l’Orchestre National de Belgique, poste qu’il occupe jusqu’en 2007. En 2008, il
prend les fonctions de directeur musical de l’Opéra national de Finlande à Helsinki.
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Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France, Salle Pleyel. Photo : (c) Jean-François Leclercq
Bruno Serrou : Quand avez-vous dirigé votre premier
concert ?
Mikko Franck : Professionnellement à 17 ans. J’ai dès lors
commencé à travailler à plein temps, et beaucoup de concerts se sont enchaînés
par la suite. J’ai donné le premier concert de ma carrière en Finlande avec le
Philharmonique d’Helsinki. Moins d’un an plus tard, après m’être produit avec
tous les orchestres finlandais, j’ai fait mes débuts internationaux avec l’Orchestre
Symphonique de Jérusalem. Puis j’ai été invité en Europe, aux Etats-Unis, en
Australie, en Asie. Tout est donc allé très vite.
B. S. : Vous avez toujours voulu être chef d’orchestre ?
M. F. : Pas toujours. Cela m’est venu à 5 ans. Avant, je ne
savais pas quoi faire…
B. S. : Avez-vous appris à diriger ou estimez-vous avoir forgé seul
votre apprentissage ?
M. F. : A 16 ans, j’ai eu la chance considérable de rencontrer
Jorma Panula, avec qui j’ai étudié deux ans à Helsinki. Auparavant, je
travaillais beaucoup par moi-même, je lisais énormément de partitions,
symphonies, opéras. J’apprenais, ou plutôt je me préparais à devenir un chef
d’orchestre.
B. S. : Que représente pour vous le fait de diriger un orchestre ?
M. F. : Je pense que le plus important est la communication, le
fait de pouvoir communiquer avec les musiciens, qui les conduit à donner le
meilleur d’eux-mêmes dans les meilleures conditions possibles. Pour moi, la
musique résulte de la façon de communiquer. Je suis chef d’orchestre parce que
je ne sais rien faire d’autre. Je voulais faire quelque chose de mon existence,
la musique a toujours été une partie très importante de ma vie et je ne pouvais
pas m’imaginer vivre sans musique. Si vous ne respirez pas, vous mourrez. Eh
bien, si je ne fais pas de musique, je perds une part essentielle de ma vie.
B. S. : Vous dirigez partout dans le monde. Y-a-t-il des différences de
culture entre les orchestres ?
M. F. : Oui. Mais je dois dire que les différences sont de
moins en moins sensibles. Particulièrement ces dernières décennies. Parce que
les musiciens voyagent beaucoup et que les recrutements sont de plus en plus ouverts
à toutes les nationalités. Tant et si bien que les orchestres ont désormais des
dispositions très internationales. Voilà quelques décennies encore, effectivement,
on pouvait constater cultures et caractéristiques nationales dans les
orchestres, mais maintenant ce n’est plus aussi simple de les identifier. Par
exemple, vous pouviez écouter un enregistrement d’un orchestre et reconnaître
immédiatement d’où il venait. Maintenant ce n’est plus le cas. Evidemment
la diversité culturelle est toujours présente, mais, musiciens et chefs sommes aussi
toujours plus internationaux et nous voyageons de plus en plus. Bien sûr, nous
vivons tous dans une société qui nous est propre tout en étant plus ouverts sur
le monde. Ainsi, tout ce que nous voyons et entendons autour de nous nous
touche, nous change, et la façon dont nous allons interpréter l’art en général
et la musique en particulier aussi. Dès lors, bien évidemment, tout cela se
répercute dans notre façon d’aborder la musique et de la jouer. Mais la culture
dont nous sommes l’émanation est beaucoup moins importante qu’elle l’était.
B. S. : Il se trouve aussi dans cette internationalisation du son l’instrumentarium
qui tend à être partout le même, le fagott au lieu du basson la trompette à
palettes au lieu des pistons, etc. Les chefs semblent chercher à retrouver les
mêmes propriétés dans tous les orchestres qu’ils dirigent…
M. F. : C’est vrai, mais je dirai aussi que l’on utilise les
instruments non pas selon le lieu d’où vient l’orchestre, mais selon le
répertoire.
Mikko Franck. Photo : DR
B. S. : L’Orchestre Philharmonique de Radio France a été créé pour
toucher à tout le répertoire, du classique au contemporain, mais aussi l’opéra.
Quel va être votre politique artistique à la tête de cette formation ?
Allez-vous en profiter pour élargir votre propre répertoire, ou au contraire
travailler ce qui vous attire le plus ?
M. F. : Je pense que ce qui est très important avec cet
orchestre, comme vous le dites vous-même, est qu’il est totalement universel.
Son répertoire est extrêmement varié, tellement large. Dès lors, je pense qu’il
est très intéressant de travailler sur cette amplitude. C’est d’ailleurs ce que
je fais depuis le début de ma carrière. Il est vrai que je dirige des
orchestres très divers dans un répertoire extrêmement vaste. Voilà pourquoi
travailler avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France m’intéresse au plus
haut point. Je crois qu’il faut poursuivre sur cette lancée et continuer à
jouer un répertoire extrêmement souple qui permette d’offrir à notre public des
styles très diversifiés d’époques différentes. Le fait de nous attacher à l’opéra
est aussi très important. Le genre est fantastique pour les musiciens, parce
que jouer un opéra est un autre métier à part entière, il faut être plus souple
encore que dans la symphonie et le concerto. Je crois que tous les orchestres
devraient jouer l’opéra, parce qu’il apprend la souplesse, à conduit à acquérir
un jeu différent, à écouter le son autrement. Il est indubitable que l’Orchestre
Philharmonique de Radio France a une riche histoire qui lui a permis de
maîtriser un immense répertoire, ce qui est extrêmement positif, et nous allons
continuer sur cette lancée.
B. S. : Qu’est-ce qui vous a conduit à accepter la proposition de Radio
France, alors que vous dirigez d’autres orchestres français ?
M. F. : Je crois que l’Orchestre Philharmonique de Radio France
a un potentiel énorme, en comparaison avec d’autres orchestres que j’ai pu
connaître en France et que j’ai pu diriger. Les musiciens sont extrêmement
compétents, motivés, prêts à apprendre davantage, à travailler mieux ensemble, et
je trouve qu’il y a un potentiel qui peut être développé pour passer à un
niveau supérieur encore. Comme je vous l’ai dit, ce qui a aussi déterminé mon
choix, est que l’orchestre se sent chez lui dans des répertoires très disparates.
Ce qui assez exceptionnel. En plus, il y a la structure Radio France qui offre
de larges possibilités qui nous permettent de présenter notre musique à un
public très large non seulement en France mais aussi en Europe à travers la
radio mais aussi les nouveaux médias. Il y a aussi la nouvelle salle,
l’Auditorium qui est inauguré le 14 novembre 2014, ce qui est particulièrement
galvanisant. En outre, j’ai toujours aimé travailler avec cet orchestre, avec
ses musiciens, même si j’aime évidemment travailler avec d’autres orchestres. Mais
je trouve quelque chose de spécial dans l’ambiance du Philharmonique qui me
rend très heureux. J’ai très envie de me lancer dans cette nouvelle aventure,
de travailler avec les musiciens, l’orchestre et toute l’équipe qui est derrière.
L’atmosphère est excellente, il y a une vraie volonté de travailler dur et de
se lancer dans des expériences qui peuvent être encore plus belles pour notre
public.
B. S. : Combien de semaines allez-vous diriger l’Orchestre
Philharmonique de Radio France, et combien de programmes ?
M. F. : Je devrais diriger quinze programmes par an à Paris et
ailleurs en France, et il faut ajouter les tournées internationales. Je travaillerai
avec le Philharmonique environ dix-huit semaines par an.
B. S. : Garderez-vous d’autres activités permanentes, en plus de l’Orchestre Philharmonique de Radio France ?
M. F. : Oui, évidemment le Philharmonique travaille déjà avec
des festivals, ce qui me semble très
important. Nous voulons bien sûr continuer avec les partenaires avec lesquels
nous collaborons déjà, et en trouver de nouveaux, que ce soit en France ou à l’international.
Bien sûr, je vais pour ma part continuer à avoir un agenda chargé. Car travailler
dix-huit semaines avec l’Orchestre Philharmonique, me laisse trente-cinq
semaines libres pour mes vacances et pour d’autres contrats.
B. S. : Aimez-vous travailler avec les compositeurs ? Le fait de
diriger l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui a l’habitude de
travailler avec eux va-t-il vous inciter à développer ces collaborations,
notamment pour la découverte de compositeurs français vivants ?
M. F. : Tout à fait. A nouveau, c’est une part très importante
du répertoire de l’orchestre, comme vous l’avez dit. Passer des commandes
d’œuvres nouvelles et interpréter des compositeurs non pas une seule fois mais
plusieurs fois, est très intéressant pour moi. Je dois dire que je ne connais
pas très bien à l’heure actuelle les compositeurs français, mais il est vrai
que je me tourne constamment vers de nouvelles partitions. De ce fait, je tiendrai
à m’assurer que nous avons dans nos programmes un large répertoire français
contemporain. A cette fin, nous avons l’intention de passer huit nouvelles
commandes par an, ce qui est tout de même beaucoup, mais cela me semble que capital,
car c’est la promotion et la découverte des compositeurs français vivants est
une responsabilité qui repose sur les épaules de l’orchestre. Mais pas seulement
les compositeurs français, ceux d’autres pays aussi. Nous voulons néanmoins nous
concentrer sur un certain nombre de compositeurs avec qui nous allons
approfondir notre travail en les mettant en résidence un an. Ainsi, chaque
saison un nouveau compositeur sera accueilli. La musique contemporaine étant
une part très importante de notre activité, nous aurons de nombreuses
opportunités pour faire connaître à notre public de nouveaux compositeurs.
B. S. : Le fait de quitter la Salle Pleyel pour vous installer dans le
nouvel Auditorium de Radio France et donner un certain nombre de concerts à la
Philharmonie de Paris, au contact d’orchestre comme l’Orchestre de Paris et de
l’Ensemble Intercontemporain, cela va-t-il vous inciter à développer des
collaborations avec les autres orchestres parisiens ? Irez-vous au-devant
de nouveaux publics ?
M. F. : Pour le moment, la situation fait que les directeurs
musicaux se concentrent sur leurs propres orchestres lorsqu’ils sont à Paris.
Et je pense que ce sera la même chose pour moi. Le peu de temps que je passerai
à Paris, je me concentrerai bien évidemment sur mon travail avec le Philharmonique.
Mais il est habituel de procéder ainsi dans le monde. Chaque directeur musical
a un temps précis à consacrer à l’orchestre et à la ville où il travaille. Nous
aurons de nombreux chefs invités qui seront très intéressants les prochaines
saisons. Il est important que quand je ne suis pas là il y ait de très grands
chefs, non seulement confirmés mais aussi des jeunes. Il convient également de repérer
de nouveaux artistes, qu’ils soient chefs ou solistes, pour que nous les
fassions connaître au public. Je pense qu’à Paris la situation est fantastique
puisqu’il y a de très bons orchestres qui travaillent très bien, et au
sein-même de la radio il y a deux orchestres. Je pense que Paris et Radio
France offrent des conditions magnifiques. Il n’y a pas de concurrence entre
les orchestres, mais la volonté de proposer un large éventail de musique
classique au public parisien et au-delà, et je crois que tous les orchestres parisiens
ont des profils différents, ce qui est aussi très bon, ce qui explique d’ailleurs
le fait qu’il y a autant d’orchestres. En tout cas, cela le justifie, ce qui est
extraordinairement positif parce que nous pouvons ainsi offrir un très large
éventail de musique classique au public dans des approches à la fois diversifiées
et complémentaires.
B. S. : Vous dirigez à la fin de ce mois de mai, les vendredis 23 et
30, Salle Pleyel, deux concerts mettant en regard Claude Debussy et Einojuhani
Rautavaara ? Quelles sont les relations entre ces deux compositeurs ?
M. F. : Debussy est un compositeur important pour moi,
notamment dans la relation que j’ai établie avec l’Orchestre Philharmonique de
Radio France depuis plusieurs années. Nous avons même publié un premier CD
Debussy, et nous allons continuer à l’enregistrer. Je tenais aussi à construire
un programme avec Rautavaara parce qu’il s’agit d’un compositeur finlandais, comme
vous le savez, et il est mon compositeur favori, celui que je préfère. En plus
il est un excellent ami, et même s’il a plus de soixante-et-un ans de plus que
moi, nous partageons un même goût pour la musique. C’est pourquoi j’ai pensé
que ce serait une bonne idée de faire connaître sa musique au public de l’orchestre
parce qu’elle parle aussi de moi. Quand je commencerai dans un an à diriger dans
mes fonctions de directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio
France, je veux que les gens aient déjà commencé à me connaître, et je pense
que la meilleure façon de savoir qui je suis est d’écouter la musique de
Rautavaara qui mettra sur la piste de ma personnalité parce que je l’adore et
qu’elle est mienne.
Recueilli par Bruno
Serrou
Paris-Helsinki,
mercredi 7 mai 2014
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