Festival international de Quatuors à Cordes du Luberon,
Abbaye de Silvacane (La Roque d’Anthéron), samedi 17 août 2013
Festival de Quatuors à cordes du Luberon. Quatuor Ebène, abbaye de Silvacane (La Roque d'Anthéron). Photo : (c) Bruno Serrou
Pour le troisième
de ses quinze concerts, le Festival de Quatuors à cordes du Luberon a investi
samedi le cloître de l’abbaye de Silvacane, lieu somptueux que la manifestation partage avec
le Festival de piano de La Roque d’Anthéron (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/08/olivier-cave-et-les-surs-katia-et.html
et http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/08/iddo-bar-shai-hannes-minnaar-et-joseph.html).
Ce lieu intimiste à la chaude et homogène acoustique à la mesure des récitals consacré
au répertoire baroque avec clavecin ou piano, est parfaitement adapté au
concert de quatuor à cordes, la polyphonie résonnant clairement tandis que les
contrastes sonores acquièrent un relief particulier, tant le lieu amplifie la
présence des instruments, qu’ils soient à cordes pincées, frappées ou frottées.
Connu pour la
polyvalence de son répertoire, qui court du classicisme à la création contemporaine
et ne craint pas la polyvalence en abordant la musique populaire que son
violoncelliste se plait à arranger (jazz, pop’, rock) selon les circonstances,
constitué de Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure (violons), Mathieu Herzog
(alto) et Raphaël Merlin (violoncelle), en résidence à la Fondation Singer
Polignac, le Quatuor Ebène est d’un bois aussi solide que précieux, tant il
transcende sa polyvalence en s’engageant sans compter dans des œuvres exigeantes
et complexes qu’ils interprètent de façon éblouissante de jeunesse et de
vigueur.
Pour son second
concert de l’édition 2013 du Festival du Luberon, après un premier programme présenté
en ouverture en l’église de Cabrières d’Avignon le 15 août avec un programme
Haydn, Mendelssohn, Bartók, le Quatuor Ebène a conquis plus de deux cents personnes
en choisissant trois maîtres du classicisme qui leur ont permis de mettre en
perspective deux partitions de jeunesse et une œuvre de grande maturité qui
demeure insurpassée. Précédé du plus achevé des trois Divertimenti pour quatuor à cordes de Mozart, celui en fa majeur KV. 138 composé par un jeune-homme
de 16 ans, interprété avec flamme, le Quatuor
en la mineur op. 13 de Félix Mendelssohn-Bartholdy, partition d’une fraîcheur
et d’une spontanéité admirablement servie par les Ebène, a été interprété avec
empressement sous la conduite d’un premier violon étincelant et voluptueux,
tenu une fois n’est pas coutume par Gabriel Le Magadure, habituellement au
poste de second, qui a exalté la fièvre et l’ivresse juvénile d’un Mendelssohn
déjà maître du temps empli de son admiration pour le classicisme viennois,
tandis que ses trois partenaires lui ont emboîté le pas avec une fougue
singulièrement communicative.
Le morceau de
roi a empli la seconde partie entière, les Ebène se refusant à tout bis après l’exécution du chef-d’œuvre qu’ils
avaient retenu pour l’occasion. Le Quatuor
à cordes n° 15 en la mineur op. 132
de Ludwig van Beethoven, puisque c’est de lui qu’il s’agit, reste malgré ses
cent quatre vingt neuf ans, l’une des partitions les plus aventureuses et
novatrices de l’histoire de la musique. Il est au quatuor à cordes ce que la Sonate en si bémol majeur op. 106 « Hammerklavier »
du même Beethoven est au piano : un véritable Himalaya de la musique. Leur
mouvement lent respectif, tous deux placés en troisième position - sur cinq
mouvements pour le quatuor et quatre pour la sonate -, sont comparables en de
nombreux points, et pas seulement par la durée, mais aussi le climat, la portée…
Et l’on peut appliquer à l’opus 132 ce que Ferruccio Busoni disait de l’opus 106,
affirmant que « la vie d’un homme est malheureusement beaucoup trop courte
pour l’apprendre ». Créé au Prater de Vienne par le Quatuor Schuppanzigh
le 9 septembre 1825, ce quinzième quatuor est dédié au prince Galitzine, tout comme
les quatuors opus 127 et 130. La genèse parallèle des treizième
et quinzième quatuors fait que l’on retrouve dans les deux œuvres un matériau
et une atmosphère communs, tandis que le mouvement initial du quinzième se
place dans le prolongement de la Grande
Fugue qui concluait le treizième dans sa forme originelle avant d’en être
détachée en 1827 comme opus 133, que
le Quatuor Tetraktys a donné vendredi (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/08/au-coeur-du-luberon-au-sein-dun.html).
Dans la continuité également de l’opus
130 divisé en six mouvements, l’opus 133
en compte cinq, le premier étant relativement court (deux cent soixante mesures
d’Allegro précédées d’une
introduction lente), tandis que le scherzo qui le suit est plus développé.
Celui-ci introduit le troisième mouvement, immense Molto adagio d’une vingtaine de minutes qui se présente comme un « chant de grâce d’un convalescent à la
divinité » dans lequel le compositeur célèbre son rétablissement après
une grave inflammation intestinale, si bien que Beethoven utilise le mode
lydien de la liturgie romaine sur un rythme dansant qui trahit la joie du
convalescent. Deux derniers mouvements vifs s’enchaînent ensuite, l’Allegro appassionato final étant précédé d’un bref Alla marcia. Le souffle conquérant de l’approche des Ebène, la
noblesse altière, la puissance conquérante et fébrile, le classicisme de leur
conception qui évite toute romantisation de leur interprétation, la sensibilité
enivrante de leur jeu dans l’Adagio,
la magie de l’alliage instrumental ont supérieurement servi ce
somptueux chef-d’œuvre de trois quarts d’heure, le premier violon surmontant
sans anicroches les montées chromatiques piégeuses que lui réserve Beethoven,
tandis que ses sonorités se sont avérées plus charnues et rondes que lumineuses
et sensuelles.
Bruno Serrou
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