La Côte-Saint-André (Isère), la maison natale d'Hector Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est
sur un événement peu ordinaire que s’est ouverte jeudi 22 août la vingtième
édition du Festival Berlioz à La Côte-Saint-André, village de l’Isère planté à
mi-distance de Lyon et de Grenoble. Ce bourg de cinq mille âmes serait resté
dans l’anonymat s’il n’y était né le 11 décembre 1803 au sein de l’une de ses
vieilles familles de notables l’un des compositeurs les plus célébrés dans le
monde, Hector Berlioz. C’est en effet à 10km de là, au pied du château de
Bressieu, que le soir du lancement du Festival Berlioz, ont été fondues devant
7000 personnes venues de toute part deux cloches de bronze de 300 kg et 600 kg,
accordées sur les deux notes du glas du Songe
d’une nuit de sabbat de la Symphonie
fantastique, sol4 et do2. Ce moment impressionnant et particulièrement
émouvant, organisé pour le 20e anniversaire du retour du festival en
Isère après un interlude lyonnais, s’est déroulé dans l’ambiance des fêtes
populaires du XIXe siècle, où artisans et paysans en costumes et
pourvus d’outils traditionnels ont évoqué le pays au temps de la jeunesse de
l’auteur de la Symphonie fantastique.
Festival Berlioz, La Côte-Saint-André / Bressieu. Démoulage des cloches sol4 (à gauche) et do2 (à droite) pour la Symphonie fantastique. Photo : (c) Véronique Lentieul
Démoulées
avec succès trois jours après leur fonte, les cloches seront ensuite poncées et
accordées au diapason 440Hz, puis accrochées à un portique qui leur est
expressément destiné réalisé par les 86 habitants du hameau de Bressieu. Baptisées
à leur sortie de terre, conformément à la tradition, devant plus d’un millier
de spectateurs du nom de leurs parrains, Gisèle Boyer, veuve du fondateur du
festival, et André Vallini, président du Conseil général sénateur de l’Isère,
elles devaient être inaugurées le 1er septembre par l’orchestre Le
Balcon lors d’un concert gratuit hors norme diffusé à travers le village de La
Côte-Saint-André entier depuis la halle historique durant un concert réunissant
le Marteau sans maître de Pierre
Boulez et la Symphonie fantastique
d’Hector Berlioz.
La Côte-Saint-André, le salon de la maison natale d'Hector Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou
Le
lendemain de la fonte des cloches, étaient lancés deux marathons prévus sur dix jours,
l’un consistant en une série de 45 concerts, investissant jusqu’à Grenoble,
plusieurs se déroulant en divers endroits à la même heure, le second en une
intégrale des sonates pour piano de Beethoven par François-Frédéric Guy jouées
en un point, l’église de La Côte-Saint-André, et à un horaire fixes, avec un
seul jour de repos.
La Côte-Saint-André, le salon de musique de la maison natale d'Hector Berlioz. Photo : (c) Bruno Serrou
Pour
sa septième intégrale du monument pianistique que représentent les trente-deux
sonates de Beethoven - la première ayant eu Monaco pour cadre pendant le
Printemps des Arts 2008, en dix concerts sur cinq jours contre neuf récitals en
dix jours cette fois (1) -, François-Frédéric Guy a choisi de suivre au plus
près l’ordre chronologique de la genèse et de la numérotation des partitions,
ce qui permet de juger de l’évolution du style beethovenien et des audaces du
compositeurs qui, dès les premières pièces du genre, se détache de son maître
Joseph Haydn par un caractère particulièrement audacieux. « Je ne me serai
pas lancé dans cette intégrale si je n’avais pas maîtrisé complètement le
monument qu’est la Hammerklavier,
véritable juge de paix, convient François-Frédéric Guy. J’ai joué soixante-sept
fois l’opus 106 avant mon premier cycle entier des trente-deux sonates. Je pense
en effet qu’il faut avoir l’esprit libéré de ce sommet pianistique pour éviter
de penser à cet obstacle infranchissable si l’on n’en maîtrise pas les
arcanes. »
Festival Berlioz, église de La Côte-Saint-André, François-Frédéric Guy. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est
donc avec les trois sonates opus 2 que
François-Frédéric Guy a lancé son cycle de La Côte-Saint-André, sur un Steinway
fort bien réglé aux sonorités égales et polychromes, et dont la souplesse du
clavier et la régularité des touches a permis au pianiste de donner avec
infiniment de naturel toute la délicatesse et la luminosité de ces partitions
de jeunesse déjà toutes empruntes du génie beethovenien. Le premier rendez-vous
berliozien s’est déroulé sous le chapiteau dressé dans la cour du Château Louis
XI dominant La Côte-Saint-André, épicentre du festival. Ce concert était fort attendu,
puisqu’il s’agissait de la dernière grande partition achevée de Berlioz, l’opéra-comique
en deux actes « imité de Shakespeare » Béatrice et Bénédict. Composé en 1860-1862 sur un livret du
compositeur adapté de William Shakespeare, cet ouvrage est rarement porté à la
scène depuis sa création le 9 août 1862 à la Hofoper de Bade sous la direction
de Berlioz, qui en signe également la mise en scène. Une œuvre rare à la scène,
ne serait-ce que pour d’évidentes difficultés de représentation, Berlioz ayant réalisé dans son ultime
partition la synthèse de son art et de ses exigences de musicien épris de
Shakespeare. Au risque de l’impossible réalisation scénique, malgré une
intrigue plutôt limpide, la pièce de Shakespeare adaptée par Berlioz - Beaucoup
de bruit pour rien, qui a Syracuse pour cadre - contant deux histoires d’amour
parallèles, dont les protagonistes, après des péripéties sans importance,
finissent par convoler en deux justes noces.
Festival Berlioz, cours du Château Louis XI, la scène sous chapiteau. Photo : (c) Bruno Serrou
Contrairement
à la production présentée salle Favart en février 2010, la synthèse des
dialogues du livret original est apparue mieux adaptée au format du concert
semi-scénique réglé par Lilo Baur, bien qu’il ait été dit de façon contrainte
et négligeant les liaisons de la langue française, quoique lu par un
sociétaire de la Comédie française, Serge Bagdassarian. Dominée par
l’excellente Béatrice d’Isabelle Druet, voix au chaud mezzo et timbre de bronze, la
distribution s’est avérée homogène, bien que la voix peu carnée de
Jean-François Borras ait fait de Bénédict un personnage en retrait, tandis que
Marion Tassou a personnifié une Héro un peu effacée. Préparé par Nicole Corti,
qui y avait adjoint son remarquable Chœur Britten, le Jeune chœur symphonique a
particulièrement brillé en regard du Jeune Orchestre Européen, qui, jouant sur
instruments d’époque l’une des œuvres ultimes d’un visionnaire sous une
température et une hygrométrie pourtant quasi idéale, s’est avéré aléatoire
côté justesse et intonation, mais répondant avidement à la direction un peu
hachée et manquant de lyrisme mais vive et enlevée de François-Xavier Roth. Je
n’ai pu pour ma part empêcher de percer le souvenir du concert au Théâtre des
Champs-Elysées en 2009 de l’Orchestre National de France dirigé par Sir Colin
Davis dans cette même oeuvre…
Festival Berlioz, Leonard Slatkin et l'Orchestre National de Lyon. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est
d’ailleurs sur les traces du grand chef britannique qui imposa Berlioz au monde
au tournant des années 1960-1970, que s’est engagé Leonard Slatkin à la tête de
son Orchestre National de Lyon en donnant une Symphonie fantastique au cordeau,
vive, contrastée, d’un onirisme ardent que les musiciens lyonnais ont agrémenté
de leurs timbres chauds, leur jeu et leurs sonorités précis sans commune mesure
avec ce qu’ont donné à entendre les instruments anciens des deux orchestres qui
encadraient leur prestation. Pourtant, il faillit bien ne pas y avoir de
Fantastique, ce soir-là. En effet, au moment de la reprise, un très violent
orage s’est abattu sur La Côte-Saint-André, suscitant une valse-hésitation des
musiciens de l’orchestre, certains protégeant leurs instruments, d’autres
fuyant vers la sortie, d’autres enfin restant stoïquement sur leur chaise, les
uns et les autres se croisant confusément en fonction des déplacements de
chacun…
Puis, au grand bonheur du nombreux public, le concert reprit, tandis que le tonnerre grondait fortement et la pluie couvrait en rebondissant sur la bâche jusqu’aux fortissimi de Rêveries - Passions. Il fut donc bien difficile de juger de l’interprétation, que l’on sentait néanmoins tendue entre deux violentes averses, qui perturbèrent également Un Bal. Mais le temps devint plus clément pour la Scène aux champs, et la direction de Slatkin se fit dès lors plus fluide et le jeu des musiciens plus détendu. La Marche au supplice et le Songe d’une nuit de sabbat ont ainsi pu toucher à la perfection tant dramatique qu’instrumentale. Avant cet orage, l’Orchestre National de Lyon a donné une intense L’Île des morts de Serge Rachmaninov, qui a préludé à une éblouissante Totentanz de Franz Liszt que Bertrand Chamayou donnait pour la première fois en public, avec un brio et une intensité dramatique époustouflantes.
Festival Berlioz, orage perturbateur à l'horizon. Photo : (c) Bruno Serrou
Puis, au grand bonheur du nombreux public, le concert reprit, tandis que le tonnerre grondait fortement et la pluie couvrait en rebondissant sur la bâche jusqu’aux fortissimi de Rêveries - Passions. Il fut donc bien difficile de juger de l’interprétation, que l’on sentait néanmoins tendue entre deux violentes averses, qui perturbèrent également Un Bal. Mais le temps devint plus clément pour la Scène aux champs, et la direction de Slatkin se fit dès lors plus fluide et le jeu des musiciens plus détendu. La Marche au supplice et le Songe d’une nuit de sabbat ont ainsi pu toucher à la perfection tant dramatique qu’instrumentale. Avant cet orage, l’Orchestre National de Lyon a donné une intense L’Île des morts de Serge Rachmaninov, qui a préludé à une éblouissante Totentanz de Franz Liszt que Bertrand Chamayou donnait pour la première fois en public, avec un brio et une intensité dramatique époustouflantes.
Le Grand-Lemps, le Quatuor Cambini et l'un des cadreurs saboteurs du concert. Photo : (c) Bruno Serrou
L’après-midi,
le Quatuor Cambini a donné en l’église du Grand-Lemps un programme peu couru,
réunissant le premier Quatuor à cordes op. 12 de Félix Mendelssohn-Bartholdy, œuvre
de jeunesse d’un classicisme prometteur, suivi d’un interminable Quatuor en la mineur op. 56/2 de Louis-Théodore
Gouvy (1819-1898) consternant de banalité, et d’un charmant Quatuor n° 4 en mi
mineur de Félicien David (1810-1876) réduit à un mouvement unique, son auteur l’ayant
laissé inachevé. A noter que durant ce concert, capté par un site Internet
local, deux des trois cadreurs n’ont scandaleusement cessé de danser avec leurs
caméras devant le public et les musiciens, perturbant autant le jeu que l’écoute,
se moquant comme d’une guigne des interprètes et des spectateurs payants se
prenant sans doute pour de plus grands artistes que les membres du quatuor. Quatre
musiciens jouant sur des instruments à cordes en boyaux, sujets à une forte
pression hygrométrique, au point que la chanterelle du premier violon finit par
exploser…
La Côte-Saint-André, la halle médiévale. Photo : (c) Bruno Serrou
Des
instruments anciens qui allaient jouer de bien mauvais tours le lendemain aux
musiciens de La Chambre Philharmonique,
aux sonorités ternes et dont les pupitres sont apparus encore moins en place
que lors du dernier concert sous abri auquel j’avais eu l’occasion d’assister,
sans doute en raison de la direction un peu raide d'Emmanuel Krivine. Car le chef fondateur de cet orchestre est
apparu plus tendu et à cran que la normale. Le temps n’y était sans doute pas
pour rien, la température étant tombée à 13° C. Les musiciens installés et
accordés longuement, précédé du soliste, Krivine apparut en veston de laine et
un chandail noué autour du cou tombant dans son dos. A peine installé sur son estrade, il lança sans attendre Harold en Italie de Berlioz, oeuvre qui aurait
dû être à l'origine du programme précédé de l’ouverture les Ruines d’Athènes de Beethoven. Un Harold qu’il a enlevé si prestement que l’altiste
du Quatuor de Jérusalem, Amihai Grosz, n’a pu que jouer serré, ce qui a empêché
ses sonorités de s’exprimer à plein, étouffant toute velléité lyrique, ce qui s’est
avéré particulièrement dommageable dans la Sérénade
d’un amoureux dans les Abruzzes. Même course frénétique dans la Symphonie n° 3 en mi bémol majeur « Eroica »
de Beethoven, inopinément interrompue par Emmanuel Krivine à la fin du mouvement
initial, par un « j’ai froid, je vais chercher un manteau ». Et de
fait, il revint sur le plateau recouvert d’un épais manteau de peau sans couleur
passé au-dessus de son veston de laine, et les épaules recouvertes du même
pull-over que précédemment, puis il jeta en direction du public un rapide « excusez-moi »
concomitamment au lancement de la Marche funèbre qui a pris le tour d’un raide et
froid morceau indéfini, tandis que les deux derniers mouvements, rapidement
expédiés, sont apparus comme invertébrés. Pourtant, bon prince, le public fit une
véritable ovation aux interprètes. Ce dont le chef n’a eu cure, puisqu’en guise
de remerciements pour leur stoïcisme, les spectateurs ont vu Krivine tirer la
premier violon par la manche, intimant ainsi à l’orchestre entier l'ordre de quitter le
plateau dextrement… Comportement consternant !
Heureusement,
le concert de l’après-midi - choix délicat à prendre, car le Festival Berlioz
proposait à la même heure un récital passionnant de Bertrand Chamayou, mais à
Grenoble -, s’est avéré un véritable bain de jouvence, tant la simplicité de l’approche
et la générosité de l’interprétation de François-Frédéric Guy ont suscité un
bonheur de l’écoute extraordinairement communicatif dans les Sonates opp. 7, 14/1 et 2 et 13 « Pathétique » de
Beethoven. Dans les mouvements lents des deux opus 14 en particulier, le musicien a exalté une ferveur, une
tendresse exceptionnelle. Un grand moment de piano auquel l’on aurait aimé goûter
jusqu’au 1er septembre...
Bruno Serrou
1) L’intégrale
des Sonates pour piano de Beethoven par François-Frédéric Guy est disponible en
CD sous le label Zig-Zag Territoires/Outhere en 3 coffrets, réunis en un seul à paraître le 8 octobre 2013. Par ailleurs, le pianiste donnera son premier récital au Théâtre des Champs-Elysées le 28 janvier 2014.
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