Festival international de Quatuors à cordes du Luberon, le Quatuor Tetraktys en l'église de Goult. Photo : (c) Bruno Serrou
Voilà
37 ans naissait le Festival de Quatuors à cordes du Luberon. Depuis sa fondation, en
1976, cette manifestation a reçu les quatuors à cordes les plus fameux de leurs
générations. Des plus réputés aux plus prometteurs issus des derniers concours
internationaux en date, tous s’y sont produits ou y seront invités un jour. Car, malgré
la crise économique mondiale et une crise financière interne, le Festival,
présidé depuis deux ans par Hélène Salmona, se maintient parmi les rendez-vous
majeurs d’un genre réputé difficile, le quatuor à cordes. Le tout dans des
cadres patrimoniaux qui fleurissent sur les deux rives de la basse Durance, de
l’avignonnais au pays d’Aix-en-Provence. Conformément aux précédentes éditions,
le festival provençal accueille cette année huit quatuors à cordes qui donnent
chacun deux concerts dans le Luberon avec autant de programmes différents.
Intégré à l’opération Marseille Capitale européenne de la Culture, il a invité
des ensembles du bassin méditerranéen jouant des œuvres de compositeurs
originaires de cette même région du globe.
Ainsi,
en moins de quarante ans, ce festival à forte ambition artistique a-t-il formé un
public de connaisseurs résidentiels et estivants mêlés capable d’accepter toute
sorte de répertoire, du plus courant au plus alambiqué. Il suffit de le voir
concentré, écoutant les yeux fermés, notamment deux jeunes femmes et leur mère,
des pages de Georges Aperghis et de Dimitri Chostakovitch, ou des Contrepoints
et des fugues de Jean-Sébastien Bach et de Ludwig van Beethoven.
C’est
ce programme particulièrement exigeant que deux cents mélomanes de tous âges, réunis
en la charmante église du village de Goult, ont pu entendre vendredi interprété
par le Quatuor Tetraktys. Cette formation qui compte trois Grecs et un Turc fondée à Athènes en 2008 dont les
membres subissent de plein la crise économique particulièrement virulente de
leur pays, puisque le second violon, Kostas Panagiotidis, a été jusqu’à sa dissolution
sans préavis par le gouvernement grec membre de l’Orchestre symphonique
national de la Radio-Télévision grecque, tandis que son frère Giorgos Panagiotilis
(premier violon) et Ali Basegmezler (alto) sont à la Camerata d’Athènes et
Dimitris Travlos (violoncelle) à l’Orchestre d’Etat d’Athènes. « Aujourd’hui,
dit Kostas Panagiotidis, l’orchestre n’a pas été réintégré au plan de
redémarrage de la Radio-Télévision. Nous maintenons néanmoins le cap, en nous
réunissant pour donner nos concerts, que nous jouons gratuitement. Mais cela ne
peut durer qu’un temps, car la situation est intenable, même lorsqu’il s’agit
de porter la musique à un peuple qui souffre et a donc besoin d’art pour
traverser cette période de crise. »
C’est
avec une œuvre d’un compositeur grec vivant en France, Georges Aperghis (né en
1945), que le Quatuor Tetraktys a ouvert son concert. Créé en 2009 par le
Quatuor Arditti, le Mouvement de quatuor
« se présente comme un ″corps harmonique″
dans lequel les musiciens ne possèdent pas de véritable individualité. Ils sont
étroitement liés entre eux, comme les branches d’un même tronc, précise
Aperghis. On s’aperçoit vite à l’écoute que la pièce se compose uniquement d’une
suite d’harmonies, un accord succédant à l’autre. Ces accords sont autant d'″objets
trouvés″… » Tout en regrettant de n’avoir jamais eu l’occasion de
rencontrer le compositeur, ce qu’ils espèrent pouvoir rapidement réparer, les
Tetraktys ont donné de cette page de sept minutes une interprétation précise et
fluide, dynamique et sereine à la fois, démontrant ainsi combien ils ont su l’assimiler.
Noblesse et grandeur, telles sont les impressions
ressenties à l’écoute de la sélection des quatre pages qu’ils ont sélectionnées
dans l’Art de la fugue de Jean-Sébastien
Bach (1685-1750), les Contrepoint 1, Fugue double 2, Contrepoint 4 et Fugue double
1, qui ont résonné dans l’acoustique de la petite église avec une
transparence et une fluidité extrême. A l’instar de la Grande fugue en si bémol majeur op. 133 de Ludwig van Beethoven
(1770-1827), enlevée avec une énergie conquérante, où seules les sonorités
légèrement aigres et l’archet un peu lourd du premier violon a imperceptiblement
gêné l’écoute. Ce qui n’a pas été le cas dans le Quatuor à cordes n° 3 en fa majeur op. 73 de Dimitri Chostakovitch (1906-1975), que les Tetraktys ont
exécuté avec une précision, une force implacable et un onirisme puissant,
imposant de la sorte de palpables affinités avec la création du compositeur
russe. Pour conclure, les musiciens ont offert en bis un extrait de toute
beauté de l’un des quatre quatuors à cordes de leur compatriote Nikos Skalkottas
(1904-1949), l’un des disciples d’Arnold Schönberg, dont il fut l’élève à
Berlin.
Le public parisien devrait avoir l’occasion d’écouter le
Quatuor Tetraktys dans le cadre du prochain Festival ManiFeste de l’IRCAM, en
juin 2014, où il est invité à jouer entre autres un quatuor de Philippe
Manoury.
Bruno Serrou
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