XXXIIIe Festival international de
piano de La Roque d’Anthéron, Château de Florans, vendredi 9 août 2013
Une
fois n’est pas coutume, voué au piano, le festival de la Roque d’Anthéron a
offert hier une place de choix au plus humain des instruments à cordes, le
violoncelle. Sous l’intitulé « Nuit du piano : carte blanche à
l’école française », le concert en trois parties a réuni seize des anciens
élèves du pianiste Christian Ivaldi et du violoncelliste Philippe Muller au
Conservatoire de Paris qui constituent l’une des « Ecoles » les plus célébrées
dans le monde.
Quant
au programme, à de rares exceptions près, il comptait peu de représentants de
l’école française de composition, et surtout pas de contemporains. Comme de
coutume à La Roque, la « Nuit du piano » se découpait en trois
épisodes de plus d’une heure chacun séparés d’entractes suffisamment longs pour
que le public puisse se restaurer et se rafraîchir, et les musiciens se poser
et s’échauffer. Ce qui a conduit public et interprètes jusqu’à près d’une heure
du matin, terme d’une soirée commencée à dix-neuf heures…
Autre
hiatus lorsqu’il s’agit de réunir dix-huit instrumentistes jouant du solo au
quatuor, le « saucissonnage » des œuvres, ce qui n’est pas sans
conséquences à l’encontre de la musique. Lorsqu’il s’agit de pièces
secondaires, pas de problème, puisque cela permet souvent leur découverte à
travers les passages les plus significatifs. Mais lorsque les chefs-d’œuvre
sont touchés, réduits à un mouvement, voilà qui est fort contestable. Sans
doute eut-il en ce cas été préférable de tenter de partager une œuvre entre
plusieurs interprètes, qui un mouvement initial, qui un adagio, qui un finale
d’une même partition…
Cette
« Nuit » a donc davantage constitué un assemblage de morceaux de
bravoure destiné au grand public qu’une grande soirée de musique. Apparemment
décontenancé par la présence de neuf violoncellistes auxquels allait s’ajouter
en Guest star Anne Gastinel, le
public ne s’est pas bousculé à cette soirée pourtant bien agréable à la
fraîcheur d’un petit mistral. Histoire de se mettre en bouche, les deux
maîtres, Philippe Muller et Christian Ivaldi, ont ouvert les feux avec une
pièce pour quasi-débutants, la Romance
sans paroles pour violoncelle et
orchestre en ré majeur op. 9 simple et aimable mais qui a révélé un Ivaldi
étonnamment détaché, comme las. Ce qu’a confirmé un autre duo pour violoncelle
et piano, cette fois de Beethoven, les Variations
sur « Bei Männen, welche Liebe fühlen » de « la Flûte
enchantée » WoO 46, où les deux musiciens semblaient comme
indifférents. Plus convaincu et convainquant, le duo constitué de Jérôme Pernoo
et Jonas Vitaud dans l’admirable Sonate
n° 1 pour violoncelle et piano en ré majeur de Debussy heureusement donnée
dans son intégralité dans laquelle le beau chant de Pernoo a pu s’épancher
voluptueusement. Après une page anecdotique pompeusement intitulée Requiem du Tchèque David Popper
(1843-1913) associant Ophélie Gaillard, Yan Levionnois, Jérôme Pernoo et Jonas
Vitaud, Raphaël Pidoux, chaleureux, et Emmanuel Strosser, à l’écoute de son
partenaire, ont donné le seul Allegro con
spirito de la pourtant remarquable Sonate
pour violoncelle et piano de Zoltan Kodaly, suscitant ainsi une première
frustration de la soirée. Pour conclure cette première partie, Emmanuel
Strosser, excellent dans ses élans suscitant des sonorités pleines et liquides,
et Christian Ivaldi, plus distancié, ont exécuté le troisième mouvement de la Faust-Symphonie, Méphistophélès, de Franz Liszt dans une version pour deux pianos de
la main du compositeur.
La
deuxième partie de la « Nuit » s’est ouverte sur la Sonate n° 5 pour violoncelle e piano en ré
majeur op. 102/2 de Beethoven
interprétée par deux musiciens à l’entente parfaite, Xavier Philips à son
meilleur chantant de concert avec un excellent beethovenien, François-Frédéric
Guy, autant à l’écoute de son partenaire que conduisant le dialogue avec tact
et sensibilité. Déception en revanche avec de froides et roides Phatasiestücke pour violoncelle et piano op.
73 de Schumann jouées sans engagement par Ophélie Gaillard, dont la
gestique exagérée et les mimiques ampoulées vont à l’encontre de son
interprétation, qui vont à l’encontre de la musique, tandis que Claire-Marie Le
Guay n’a pu que rester à l’extérieur de ce que faisait sa comparse. Après la
« scie » qu’est Le Cygne du
Carnaval des animaux de Saint-Saëns joué par le jeune Edgar Moreau, au vibrato
excessif, François-Frédéric Guy se joignait à Christian Ivaldi, plus concerné
que dans les pièces précédentes, pour l’Introduction
et Rondo alla Burlesca pour deux pianos
op. 23/1 de Britten, avant de laisser la place à Raphaël Pidoux, Xavier
Philips, Henri Demarquette et Emmanuelle Bertrand dans un Quatuor pour quatre violoncelles n° 5 en ré majeur de Jean-Baptiste
Bréval (1753-1823) peu inspiré, si ce n’est par le modèle du quatuor à cordes transposé
au seul violoncelle.
Mais
la plus grande frustration s’est avérée dans la troisième partie. Cela dès le
début, avec le remarquable duo constitué par Emmanuelle Bertrand et
Marie-Josèphe Jude, qui ont donné de l’Allegro
initial de la Sonate n° 1 pour
violoncelle et piano en mi mineur op. 38 de Brahms une interprétation
poétique et sensible, avant de s’interrompre prestement pour laisser place à la
seconde « scie » de la soirée, la fameuse Elégie pour violoncelle et piano op. 24 de Fauré, confiée à Edgar
Moreau et Vincent Coq, le premier resserrant son large vibrato mais sans le
contenir vraiment, le second confortant son talent de chambriste. Edgar Moreau
était rejoint par Philippe Muller dont on a pu distinguer un léger sourire, ce
qui est fort rare chez ce musicien, lorsque son élève récupéra prestement la
partition du maître emportée par le vent dans le Duo pour deux violoncelles en mi majeur op. 54 d’Offenbach réduit
aux seuls deuxième et troisième mouvements. Frustrante encore, l’exécution
limitée au premier Allegro de la Sonate
pour arpeggione D. 821 de Schubert, qu’Henri Demarquette a jouée avec son
engagement coutumier, mais en restant au dehors de l’œuvre, tandis que Frank
Bradley lui donnait une réplique plus carnée que la sienne. Braley que l’on
retrouvait au meilleur au côté de l’excellent Yan Levionnois dans la belle Sonate pour violoncelle et piano en ut
majeur op. 65 que Britten composa en 1961 pour le duo qu’il constituait
avec son ami Mstislav Rostropovitch. Dommage que le festival provençal, qui célébrait
ainsi le centenaire de la naissance du compositeur britannique, n’ait porté son
dévolu que sur les premier, quatrième et cinquième mouvements. Pour conclure,
quatre piano ont été alignés en quinconce les uns à côté des autres pour
Marie-Josèphe Jude, Vincent Coq, Emmanuel Strosser et Jonas Vitaud qui ont
conclu de façon festive ce long concert avec le Concerto pour quatre claviers en la mineur BWV 1065 de Bach. Mais,
avant cette œuvre ultime, Anne Gastinel est apparue pour jouer une trop courte
page de Sonate pour violoncelle seul du
Cantor.
Bruno Serrou
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