XXXIIIe Festival de La Roque d’Anthéron,
Abbaye de Silvacane et parc du Château de Florans, dimanche 11 août 2013
Iddo Bar-Shaï. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Gremiot
C’est
avec grand plaisir que je retrouvais hier dans le cloître de l’abbaye de
Silvacane l’enchanteur Iddo Bar-Shaï dans un programme monographique consacré à
François Couperin. Joué sur un Steinway puissant et coloré au médium charnu et
lumineux, le pianiste israélien a présenté une sélection de seize des quatre
livres de Pièces pour clavecin du
compositeur de Saint-Gervais qu’il considère à juste titre comme l’un des
musiciens majeurs de l’histoire de la musique. « Couperin est un vrai musicien-poète,
m’a-t-il confié. Son œuvre est d’une force évocatrice incroyable, et lorsque je
la lis, l’écoute et la joue je vois une infinité d’atmosphères, de paysages et de
couleurs qui sont le reflet de l’humanité entière. »
Comme
toujours avec Bar-Shaï, c’est en véritable conteur que le pianiste a construit son
programme, partant de la pièce la plus sombre, extraite du quatrième ordre, qu’il
a ouvert son récital, pour « inciter l’auditeur à l’introspection ». Et
il y réussit à la perfection, une écoute quasi-religieuse s’instaurant sur le
champ pas même distraite lorsque, poussé par la chaleur étouffante, il décida de se défaire de sa veste pour jouer en bras de chemise. Associant et alternant tonalités, climats, couleurs, tempi dans un
désordre logique les ordres et les pièces d’où il les a extraites, le musicien
israélien a fait de chacune des pages à la fois une œuvre à part entière et un
chapitre d’un livre de poésie merveilleusement évocateur, suscitant un cahier d’images
toutes plus expressives les unes que les autres, de Les Ombres errantes et La
Mistérieuse extraites du 25e
Ordre à La Couperin et Le Tic-Toc-Choc,
ou Les Maillotins tirées des 21e
et 18e Ordres, en passant
par Les Moissonneurs et Les Langueurs
Tendres (6e Ordre), Les Tambourins (20e Ordre), Les
Barricades Mistérieuses (6e Ordre), La Logivière (5e Ordre), le délicieux Le Dodo, ou l’Amour au Berceau (15e
Ordre), Les Rozeaux et L’Ame-en-peine (13e Ordre), Sœur Monique
(18e Ordre), Les Fauvétes Plaintives (14e Ordre) et Le Turbulent (18e Ordre). En bis, un merveilleux Le Rossignol en Amour (14e
Ordre) complétait ce délicieux voyage à travers les paysages de France du
tournant des XVIIe et XVIIIe siècles suivi, après un
semblant d’hésitation, par le finale d’une sonate de Joseph Haydn, autre
compositeur fétiche de Bar-Shaï.
Ceux
qui enchaînaient ce beau récital avec le concert avec orchestre qui le
suivaient ont dû se précipiter vers leurs voitures pour retrouver à temps leurs
sièges dans les gradins du parc du Château de Florans. Les attendaient en effet
deux jeunes pianistes lauréats de concours les plus réputés venus
respectivement de Hollande et d’Allemagne, Hannes Minnaar et Joseph Moog, tous
deux âgés d’à peine plus de 25 ans. Accompagnés par un Sinfonia Varsovia
plutôt pesant, comme l’a montré sans attendre la Symphonie « Classique » de Serge Prokofiev sans fluidité
ni grâce, fermement tenu par Fayçal Karoui, Minnaar a interprété un onirique Concerto n° 5 pour piano et orchestre en fa
majeur « Egyptien » op. 103 de Camille Saint-Saëns, tandis que Moog
a joué de ses doigts d’airain les deux concertos de Liszt, donnant du premier
une lecture virtuose mais distancée, et du second une interprétation d’une
parfaite homogénéité, le rattachant à la belle série des poèmes symphoniques
dont Liszt est l’inventeur, donnant unité, densité, variété et inventivité à
cette œuvre qui, sous ses doigts, s’est avérée précurseur du Concerto en ré majeur pour la main gauche de Maurice Ravel.
Joseph Moog. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Gremiot
A
noter que la sobriété et la contenance naturelle du jeu des deux pianistes,
dont la concentration extrême a permis à la musique de s’exprimer à plein. Si
Minnaar s’est abstenu de tout bis, fait rare à La Roque d’Anthéron pour être
noté, Moog a offert au public la deuxième des trois Images oubliées (Souvenir du Louvre) de Claude Debussy d’une
ensorcelante retenue. Dommage que le public ait été si peu nombreux à ce second concert, après s'être bousculé au premier...
Bruno Serrou
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