Paris. Opéra national de Paris. Palais Garnier. Jeudi 26 janvier 2023
Troisième production présentée à l’Opéra de Paris depuis l’entrée de l’œuvre à son répertoire en 1981 (1) venue du Covent Garden de Londres, et dix-neuf ans après celle de Graham Vick à l’Opéra-Bastille, Peter Grimes de Benjamin Britten a beaucoup de chance en France, où il n’a connu que des réussites scéniques et musicales. Venant de Madrid et après être passée par Covent Garden, celle-ci conforte ce sentiment de plénitude qui émane de ce bouleversant chef-d’œuvre du théâtre lyrique du XXe siècle qui met l’individu hors normes face au peuple juge.
Premier des grands ouvrages scéniques de Benjamin Britten (1913-1976), Peter Grimes est non seulement l’opéra le plus célèbre du compositeur britannique mais aussi l’un des plus populaires de la seconde moitié du siècle dernier. Composée sur un livret du poète romancier britannique Montagu Slater (1902-1956) d’après le poème The Borough du poète ethnologue anglais George Crabbe (1754-1832), l’œuvre est dédiée à l’épouse décédée du chef d’orchestre d’origine russe Serge Koussevitzky, qui par le biais de sa fondation moyennant une bourse de mille dollars, a incité Britten en 1941 à l’écrire alors qu’il était exilé en Californie. Rentré en Angleterre en 1942, il commençait la partition en juillet 1944 et l’achevait en février 1945 en vue de la création le 7 juin suivant au Sadler’s Welles Theatre de Londres. « En écrivant Peter Grimes, déclarerait Britten en 1947, j’ai voulu exprimer les rigueurs de la lutte perpétuelle menée par les hommes et par les femmes qui dépendent de la mer, bien qu’il soit difficile de traiter sous la forme théâtrale un sujet aussi universel. » La partition, qui doit beaucoup dans sa structure au Wozzeck d’Alban Berg (trois actes de deux scènes - au lieu de cinq chez Berg - chacune précédées d’interludes, une scène de pub, une porte qui s’ouvre et se referme à chaque entrée de personnages, la noyade des deux héros victimes de la société) tout en se fondant dans le moule de l’opéra seria du XVIIIe siècle avec airs, récitatifs, ensembles avec ou sans chœur, fait de l’orchestre le principal protagoniste, à l’instar de la mer, omniprésente, tandis que le chœur personnifiant le bourg tient une place prépondérante d’où émergent nombre de seconds rôles à la personnalité bien trempée.
A l’exception des projections rideau fermé des indications chiffrées des quatre interludes dont Britten a tiré avant-même la création de son opéra la suite des Four Sea Interludes op. 33a et la Passacaille op. 33b, et des trois actes, aussi naïves qu’inutiles, la mise en scène de Deborah Warner est une incontestable réussite. La narration, d’une force pénétrante exprimée sans surcharges ni fioritures inutiles, ni concessions aux modes, est linéaire et très lisible, respectueuse des intentions des auteurs, bien qu’il y manque la cabane de pêche et de vie de l’anti-héros, symbolisée néanmois par une pente raide façon béton de bunker au creux duquel se love l’apprenti que Grimes malmène peu ou prou. Sur les côtés, deux murs de projecteurs rappellent que nous sommes bel et bien sur une scène de théâtre, bien que le plateau plonge dans la réalité du bourg, mettant en valeur la diversité de ses habitants et de leurs activités, la principale étant la pêche et les différents métiers qui en dépendent, bistrot, prostituées et clients, pasteur et grenouilles de bénitier, bigotes, bateleurs, vieillards libidineux, enfants querelleurs… Tout un monde coloré et extrêmement vivant, se meut tout au long de l’ouvrage, la metteur en scène britannique donnant la place centrale aux habitants du bourg qui deviennent ici le personnage principal protéiforme, d’autant plus que le Chœur de l’Opéra de Paris excelle autant sur le plan musical que dramatique.
En tête de l’excellente distribution à majorité anglophone réunie pour cette production de Peter Grimes s’impose la tragique et dense incarnation de Grimes par l’éblouissant ténor écossais Allan Clayton, révélation de la création du grand-œuvre de George Benjamin Written in Skin à Aix-en-Provence en 2012 qui, pour ses débuts à l’Opéra de Paris, s’avère plus proche de Peter Pears, pour qui le rôle a été écrit, que de Jon Vickers, qui a fait ce rôle sien, mais aussi formidable tragédien que son illustre aîné canadien. Egalement remarquables, l’élégant Balstrode à la voix somptueuse de Simon Keenlyside, figure qui apparaît ici plus veule, sinon plus lâche du moins indifférent au drame vécu par son « protégé » qu’est censé être Peter Grimes, que compatissant, l’Ellen au port noble de Maria Bengtsson, à la fois tendre et décidée puis égarée, la Tantine colorée de Catherine Wyn-Rogers, l’inénarrable bigote Mrs Sedley de Rosie Aldridge, mais aussi des figures pittoresques excellemment tenues par la soprano canadienne Anna-Sophie Neher et la soprano new-yorkaise Ilanah Lobel-Torres (les Nièces), la seconde étant membre de l’Académie de l’Opéra de Paris, John Graham-Hall (Bob Boles), Clive Bayley (Swallow), James Gilchrist (Révérend Adams), Jacques Imbrallo (Ned Keene), Stephen Richardson (Hobson).
Dans la fosse, sous la direction précise aux élans particulièrement lyriques, déliés et contrastés d’Alexander Soddy, qui fait ici de remarquables débuts à l’Opéra de Paris, l’Orchestre de l’Opéra de Paris excelle à mettre en valeur la richesse de nuances, l’écriture virtuose, l’orchestration somptueuse de la partition de Britten, avec ses innombrables solos qui suscitent des alliages de timbres inouïs, de grands moments chambristes et des tutti cristallins et fruités.
Bruno Serrou
1) La soirée de la première de cette nouvelle production
présentée jeudi 26 janvier 2023 n’était que la vingt-troisième représentation à
l’Opéra de Paris de ce chef-d’œuvre né voilà soixante dix huit ans…
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