Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 11 janvier 2023
Concert émotion mercredi dernier à
la Philharmonie de Paris, où l’Orchestre de Paris dirigé par Jukka-Pekka
Saraste a bouleversé la seconde partie de son programme pour honorer la mémoire
de Philippe Aïche, son Premier violon solo pendant trente-deux ans (1990-2022),
décédé le 20 octobre dernier des suites d’un cancer. Après un éloge funèbre
prononcé par Laurent Bayle, ex-directeur général de la Philharmonie qui a
fusionné les deux structures, quatre œuvres dont Philippe Aïche était particulièrement
épris, étaient dirigées avec à la fois élan et délicatesse par l’excellent chef
finlandais Jukka-Pekka Saraste Valse triste op. 44/1 de Jean Sibelius, quatre
danses de la Suite de West Side
Story de Leonard Bernstein, l’une des
valses de la grande Suite de valses
du Rosenkavalier de Richard Strauss, Mort d’Isolde
de Richard Wagner, et un extrait d’un enregistrement de Philippe Aïche en
soliste de la Romance centrale du Concerto pour violon et orchestre
en ré majeur op. 35 d’Erich Wolfgang Korngold
remplaçaient la Symphonie n° 4 en ut mineur op. 43 de
Chostakovitch qui sera donnée le lendemain, jeudi 12 janvier.
Son voisin de pupitre, le premier violon Eiichi Chijiiwa, se souvient d’un homme qui parlait peu, montrait beaucoup, décidait vite. « Son sens inné du leadership, poursuit le violoniste japonais, suscitait le respect. Il n’était pas d’un abord commode ou facile d’accès, même si une fois la confiance établie, il plaisantait facilement, d’une façon très débonnaire, presque enfantine. » Son instinct protecteur, comme le constate la violoniste Anne-Sophie Le Rol, qui fut son élève au CNSMDP, son exigence envers lui-même et envers ses collègues, allait jusqu’aux chefs d’orchestre, qui l’appréciaient pour le haut niveau musical qu’il obtenait de l’orchestre, particulièrement les directeurs musicaux qui se sont succédés, de Semyon Bychkov à Klaus Mäkelä, en passant par Christoph Eschenbach, Paavo Järvi et Daniel Harding. A l’instar de ce dernier, mais à une échelle moindre, Philippe Aïche était un excellent pilote d’avion. Mais il était aussi un soliste et un chambriste de grand talent, notamment au sein du Quatuor Kandinsky de 1988 à 2002 du Trio Elégiaque depuis 2014. Depuis quelques années il s’était tourné vers la direction d’orchestre et se plaisait à enseigner au CNSMDP - plusieurs de ses élèves se sont intégrés aux cordes de l’Orchestre de Paris pour le concert de mercredi. « Je n’aurais pas aimé une carrière unique de soliste, de chef ou de musicien de chambre, disait-il. Le répertoire est tellement immense ; ne s’intéresser qu’aux quatuors, aux sonates et aux concertos, c’est comme regarder au microscope le coin droit d’un grand tableau du Louvre. » Tous les directeurs musicaux de l’Orchestre de Paris avec lesquels il a travaillé sont unanimes à célébrer ses qualités d’artiste et de premier d’entre les musiciens de la formation. « Un charisme incroyable émanait de lui, le même que devaient dégager des grands maîtres du passé tels Ferras, Thibaud ou Menuhin, écrit l’actuel patron de l’orchestre, le chef finlandais Klaus Mäkelä. J’avais un immense respect pour lui - pour sa musicalité profonde et son expérience – et il m’a accueilli avec une générosité de cœur telle que j’avais l’impression de le connaître depuis longtemps. […] Le vide qu’il laisse est immense. »
La première partie du concert était entièrement occupée par l’œuvre initialement prévue, le rare Concerto n° 2 pour piano et orchestre en sol majeur op. 44 de Piotr Ilyich Tchaïkovski. Infiniment moins couru que le premier des trois concertos que le compositeur russe consacra au piano, le deuxième a été écrit près de cinq ans après son aîné, en 1879-1880, tandis que son auteur concevait sa Sérénade pour cordes ou son Ouverture 1812. Dédié à Nikolaï Rubinstein, c’est Madeleine Schiller qui le créa à New York le 12 novembre 1881, son dédicataire étant décédé au printemps précédent. Mécontent de la première mouture, où il reconnaissait des longueurs, son auteur remania son concerto à deux reprises, en 1887-1888 puis au début des années 1890, sous les conseils de son élève Alexandre Siloti, cette dernière version, qui déplut à Tchaïkovski, ne sera publiée qu’à titre posthume en 1897. Il convient de noter que le compositeur en réalisa une version pour deux pianos publiée en 1881.
Alexandre Kantorow a choisi de donner la dernière version de Tchaïkovski publiée en 1955 de préférence à celle de Siloti. Interprété avec élégance et un sens de la nuance saisissant, magnifié par un touché aérien et coloré des doigts de magicien du jeune pianiste français de 25 ans vainqueur du Concours Tchaïkovski 2019, l’émotion a été à son comble lorsque, au mitan de l’Andante non troppo central, s’est présenté le somptueux dialogue d’une infinie tendresse entre le violon d’Eiichi Chijiiwa, premier violon solo intérimaire de l’Orchestre de Paris qui fut aussi le voisin de pupitre de Philippe Aïche, le violoncelle d’Éric Picard, premier violoncelle solo, et le piano d’Alexandre Kantorow... L’orchestration conquérante de l’œuvre a été restituée avec une vitalité communicative par les musiciens de l’Orchestre de Paris sous la direction élégante et dramatique de Jukka-Pekka Saraste.
Bruno Serrou
Les citations sont extraites de la
brochure publiée et distribuée au public à l’entrée du concert
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire