Genève (Suisse). Grand-Théâtre. Mercredi 22 janvier 2020
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Entführung aus dem Serail. Photo : (c) Carole Parodi
En faisant appel à l’opposante turque Asli Erdogan,
le Grand Théâtre de Genève trahit Mozart et l’esprit des Lumières pour
transformer l’Enlèvement au sérail en un spectacle illégitimement
brechtien
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Entführung aus dem Serail. Photo : (c) Carole Parodi
Singspiel en trois actes sur un livret de Gottlieb Stephanie
le Jeune, Die Entführung aus dem Serail (l’Enlèvement au sérail) est
le deuxième des grands ouvrages scéniques de Mozart. Créé avec succès à Vienne
en 1782, cet ouvrage écrit sur un texte allemand à la suite d’une commande de
l’empereur Joseph II établit la réputation de Mozart dans la capitale
autrichienne. Le compositeur, qui voulait éblouir à la fois l’empereur et le
public viennois afin d’assurer son avenir de musicien indépendant, réussit ici
le premier chef-d’œuvre de l’opéra allemand.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Entführung aus dem Serail. Photo : (c) Carole Parodi
S’agissant
d’un singspiel, équivalent allemand
de l’opéra-comique français, l’action se déploie essentiellement pendant les
dialogues parlés, et la musique n’intègre pas de récitatifs accompagnés. Mozart
fonde sa musique sur l’exotisme de l’empire ottoman récemment défait par l’Autriche
aux portes de Vienne. L’on y trouve de la musique turque à l’imitation des
fanfares des janissaires utilisées pour stimuler la soldatesque turque. Comme
beaucoup de comédies de l’époque, quantité d’éléments sont empruntés à la commedia
dell’arte.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Entführung aus dem Serail. Photo : (c) Carole Parodi
Or
rien de ce caractère prétendument exotique dans la nouvelle production du
Grand-Théâtre de Genève. Point de commedia
dell’arte, point non plus d’exotisme, et s’il y a bien « turquerie »,
ce n’est pas au sens du XVIIIe siècle, mais d’une façon plus
tragique et contemporaine, puisque l’Opéra genevois a fait appel à l’opposante
au régime d’Erdogan, qui, malgré l’homonymie, l’a faite emprisonner à plusieurs
reprises en raison de son soutien à la cause kurde, Asli Erdogan, qui entend
critiquer dans son approche de l’Enlèvement
au sérail les absolutismes et abus de pouvoir là où Mozart pose un immense
sourire. Car, ici, il ne s’agit pas de harem mais de cité répondant au nom de
Sérail où chacun se perd au milieu de la foule qu’agite une vie absurde et qui
tournent indéfiniment en quête d’eux-mêmes. Ce texte politiquement correct aux
élans plus ou moins brechtiens qui détonnent avec la partition de Mozart rend
ce spectacle abscons. Les personnages de l’œuvre de Mozart et Stéphanie le
Jeune sont dédoublés par leur incarnation vieillie de trente ans par des
comédiens qui disent le texte d’Erdogan en français qui, lugubre, va à
l’encontre de la musique solaire de Mozart, tandis que les protagonistes que
leurs doubles devenus vieux contemplent chantent en allemand, et que le rôle de
Selim Pacha est carrément omis. Même la partition subit des camouflets, avec
six des vingt et un numéros coupés et l’ajout d’un finale tiré des ballets de
l’opéra de jeunesse de Mozart Ascanio in
Alba. La mise en scène de Luk Perceval est minimaliste et n’aide pas à la
compréhension de cette salade turque.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Entführung aus dem Serail. Photo : (c) Carole Parodi
Heureusement,
Mozart est musicalement bel et bien présent, grâce à Fabio Biondi, qui sert la
partition avec un élan qui suscite parfois des décalages entre la fosse et le
plateau mais qui permet de goûter les couleurs chamarrées de l’Orchestre de la
Suisse Romande. La distribution est homogène, avec une Blonde brillamment
chantée par Claire de Sévigné, la Konztanze juvénile d’Olga Pudova, l’excellent
Osmin de Nahuel Di Pierro, le solide Pedrillo de Denzil Delaere, et le brillant
Belmonte de Julien Behr qui a malencontreusement du mal à venir à bout des fioritures
vocales que lui réserve Mozart.
Bruno Serrou
Jusqu’au
2/02. Rés. : (+41-22) 322 50 50. www.gtg.ch
Effectivement... une profonde déception. Par contre, je suis beaucoup plus critique de la direction de Fabio Biondi.
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