Pascal Dusapin (né en 1955), Macbeth Underworld. Les Weird Sisters. Photo : (c) C Baus / Théâtre de La Monnaie
Pour Macbeth Underworld sur un excellent livret en anglais de Frédéric
Boyer, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles offre à Pascal Dusapin une
luxueuse création. A l’instar de son aîné Philippe Boesmans,
Pascal Dusapin est le compositeur vivant favori de La Monnaie de Bruxelles.
C’est avec Macbeth Underworld, son
septième ouvrage scénique produit in situ
et le troisième à y être créé, que le célèbre théâtre belge a ouvert sa
saison 2019-2020
Pascal Dusapin (né en 1955), Macbeth Underworld. Graham Clark (Porter / Hecot) et Magdalena Kozena (Lady Macbeth). Photo : (c) C Baus / Théâtre de La Monnaie
Le concept de cet opéra en « huit
chapitres » a émergé dans l’esprit de Pascal Dusapin pendant la genèse de Panthesilea (1) (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2015/04/avec-lopera-penthesilea-dapres-kleist.html)
en 2011-2013. En 2015, lors des répétitions de cette commande de La Monnaie, Peter
de Caluwe, son directeur, a demandé au compositeur s’il pensait déjà à un autre
projet. « Je lui ai répondu songer à un Macbeth. Il m’a répondu qu’il me
il fallait trouver un second mot au titre. Cette suggestion a vraiment été
extraordinaire parce qu’elle a eu une incidence très profonde moi : il ne
s’agissait pas seulement de raconter cette histoire mais aussi une autre
histoire puisque Macbeth fait partie de la mythologie européenne, et chez lui
se trouvent toujours des archétypes qu’il convient de faire revivre. C’est ainsi
que j’ai cherché à associer à son nom l’outre-monde,
me disant qu’il me fallait raconter un cauchemar. « Autre monde » est
un très beau mot français pas toujours compréhensible et j’ai préféré sa
traduction anglaise. »
Pascal Dusapin (né en 1955), Macbeth Underworld. Magdalena Kozena (Lady Macbeth). Photo : (c) C Baus / Théâtre de La Monnaie
C’est donc un Macbeth-cauchemar qu’offre Dusapin. Les
personnages y revivent leurs drames, Lady Macbeth n’est pas une horrible
manipulatrice. Dans l’opéra, le couple est amoureux, Macbeth et sa Lady s’aiment.
« J’ai voulu que le couple s’aime vraiment, qu’il soit non pas maître mais
victime de sa soumission à un pouvoir occulte qui le dépasse. Je souhaitais
faire comprendre à travers mon opéra que nous sommes tous de petites gens
capables du pire, et qu’il convient d’y veiller. » Une place prépondérante
est accordée aux sorcières, qui manipulent jusqu’au subconscient des
personnages. Voix d’un autre monde, elles s’expriment dans des registres surhumains.
La figure de l’enfant décédé hantant le théâtre shakespearien, sa présence ici
permet de pénétrer jusqu’aux abysses de la pensée du couple Macbeth. A l’époque
de Shakespeare, l’enfant est un facteur capital de maîtrise du pouvoir, car il
permet de le maintenir au sein d’une même famille. Pour les Macbeth, l’enfant
est mort et cela devient une obsession.
ascal Dusapin (né en 1955), Macbeth Underworld. Georg Nigl (Macbeth) et les Weird Sisters. Photo : (c) C Baus / Théâtre de La Monnaie
« Dans la pièce, Macbeth est
frappé du sceau de la malédiction, précise le metteur en scène Thomas Jolly qui
a rejoint le projet en 2017. La figure de l’enfant décédé a obsédé Shakespeare,
qui avait perdu l’un de ses jumeaux. L’enfant sacrifié donne une sensibilité singulière
à ses parents. C’est pourquoi un enfant qui chante ce rôle est préférable à un
adulte, sa fraîcheur, sa fragilité, sa naïveté apporte une sensibilité
incroyable au couple, que les fantômes, la responsabilité, la culpabilité hantent. »
ascal Dusapin (né en 1955), Macbeth Underworld. Magdalena Kozena (Lady Macbeth). Photo : (c) C Baus / Théâtre de La Monnaie
Comme toujours à La Monnaie de
Bruxelles, le travail accompli est exceptionnel. La direction d’acteur du jeune
directeur du théâtre angevin Le Quai, le comédien Thomas Jolly, est
parfaitement réglée. Depuis Eliogabalo
de Cavalli en 2016 à l’Opéra Garnier, les progrès du metteur en scène sont
patents, et l’on mesure combien le travail avec le compositeur à ses côtés
influe sur son travail. Le décor tournant cauchemardesque de Bruno de Lavenère
autour d’un tronc d’arbre immense et d’un château délabré, permet une grande
diversité de plans démarqués par les lumières blafardes d’Antoine Travert,
tandis que les costumes fantomatiques de Sylvette Dequest amplifient le côté
crépusculaire du propos.
ascal Dusapin (né en 1955), Macbeth Underworld. Photo : (c) C Baus / Théâtre de La Monnaie
La musique sombre, grondante,
menaçante de Dusapin magnifiée par le travail de son fidèle collaborateur qu’est
l’électroacousticien Thierry Coduys, fait de l’orchestre le personnage central de
aux mille visages de l’opéra. Mais les chanteurs s’expriment trop exclusivement
dans une déclamation d’autant plus implacable que la vocalité est tendue à
l’extrême. Dans le rôle le plus chanté, Magdalena Kozena campe une Lady Macbeth
bouleversante dans ses contradictions, bien que son anglais ne soit pas des plus clairs.
ascal Dusapin (né en 1955), Macbeth Underworld. Naomi Tapiola (l'Enfant), Graham Clark (Porter / Hecot). Photo : (c) C Baus / Théâtre de La Monnaie
A ses côtés Georg Nigl, déjà présent dans Penthesilea (Achilles), est un Macbeth halluciné, et l’on a plaisir
à retrouver le ténor de caractère Graham Clark en fou du roi, emploi qui lui va
à merveille. Les trois sœurs manquent d’homogénéité (Ekaterina Lekhina se
détachant du groupe) dont la présence est remarquablement prolongée par le Choeur de femmes de La Monnaie, et l’enfant (Naomi Tapiola, membre du Chœur d’enfants et
de jeunes de La Monnaie) est remarquable. Dans la fosse, Alain Altinoglu dirige
avec allant et un sens aigu de la couleur, maintenant une tension hallucinante d'un bout à l'autre de l"ouvrage à un orchestre de La Monnaie
vif-argent.
Bruno Serrou
La Monnaie de Bruxelles jusqu’au
5/10. Rés. : (+32 2) 229.12.00. www.lamonnaie.be/fr.
En co-production avec l’Opéra-Comique de Paris (25-31/03/2020) et l’Opéra de
Rouen (saison 2020-2021). 1) 2 CD Cypres
CYP4654
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