Deux grandes manifestations estivales ont fusionné en 2016 au Pays basque côté français, le Festival Musique en Côte basque et l’Académie internationale Maurice Ravel. Toutes deux se sont longtemps fait concurrence, alors-même qu’elles étaient complémentaires : le festival invitait des musiciens consacrés, l'académie s’était donné pour mission la découverte et la formation de jeunes talents forgés par les institutions de pédagogie musicale parmi les plus courues dans le monde.
L'affiche du Festival Ravel 2019. Photo : (c) Bruno Serrou
A Saint-Jean-de-Luz, face à la
maison natale de Maurice Ravel plantée de l’autre côté du port, à Ciboure, dans
la demeure qu’avait occupé le cardinal Mazarin lors du mariage de Louis XIV
avec l’Infante d’Espagne, tout rappelle Maurice Ravel, qui y habita dans
plusieurs maisons successives durant ses vacances jusqu’à sa mort en 1937. Je m’étais
rendu dans cette célèbre station balnéaire pour des reportages dans chacune des
manifestations, qui se déroulaient quasi au même moment. La dernière fois, c’était
pour Musique en Côte basque début septembre 2010. Ce festival fêtait cette
année-là son demi-siècle. Pierre Larramendy, alors premier adjoint et futur
maire de Saint-Jean-de-Luz, fondait ce festival à l’occasion du trois-centième
anniversaire du mariage de Louis XIV dans cette même ville avec Marie-Thérèse
d’Autriche. Pérennisé pour renforcer l’attractivité de la station balnéaire
au-delà des deux mois d’été, Musique en Côte Basque a été l’un des rendez-vous
majeurs de l’arrière-saison des festivals.
La plage de Saint-Jean-de-Luz le dernier lundi matin d'août 2019. Photo : (c) Bruno Serrou
L’Académie internationale Maurice
Ravel a été quant à elle initiée quelques années plus tard, en 1967. Sa mission
est d’accueillir des élèves de l’enseignement supérieur qui souhaitent se familiariser
avec les chefs-d’œuvre de la musique française et à la création contemporaine,
avec chaque année un compositeur en résidence. Cette année, Philippe Manoury.
Ciboure, la maison natale de Maurice Ravel qu'avait précédemment occupée le cardinal Mazarin pour le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche. Elle est vue ici depuis le quai du port de Saint-Jean-de-Luz. Photo : (c) Bruno Serrou
Si le festival commençait en août
et se terminait première semaine de septembre, l’académie occupait et
occupe toujours la première quinzaine de septembre. Elle est destinée à des
jeunes talents qui cherchent à s’aguerrir à la musique française, ses
chefs-d’œuvre comme son répertoire le moins couru, ainsi qu’à la création
contemporaine, avec chaque année un compositeur en résidence. Pianistes,
violonistes, altistes, violoncellistes, ensembles de musique de chambre sont
issus des classes de perfectionnement des grands conservatoires et écoles
supérieures qui réunissent une soixantaine de jeunes musiciens de dix-sept
nationalités venant d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Dispensés par des solistes
et pédagogues de renommée mondiale, ces cours d’interprétation sont publics, ce
qui la spécificité de l’académie. Ils offrent ainsi à un large public, qui a
libre accès à ces cours, une approche originale et conviviale de la musique
classique au contact direct avec de grands artistes et peuvent suivre ainsi
l’évolution du travail interprétatif qui aboutit durant la seconde quinzaine à
des concerts.
Jean-François Heisser, directeur du Festival Ravel. Photo : (c) Bruno Serrou
L’Académie, se flatte le directeur du Festival Ravel Jean-François Heisser, a vu pour professeurs des musiciens comme Aldo
Ciccolini, Maurice Gendron, Christian Ferras, Vlado Perlemutter, Manuel
Rosenthal, Pierre Barnac… Cette année, ce sont Michel Beroff, Philippe Graffin,
Marc Coppey, Miguel da Silva, Claire Désert qui dispensent leur expérience, tandis
que Philippe Manoury est le compositeur en résidence, succédant à Pascal
Dusapin, Philippe Hersant, Bruno Mantovani, Gilbert Amy, Bernard Cavanna, Félix
Ibarrando, Ramon Lazkano…
Saint-Jean-de-Luz, le port et quelques filets de pêche, vue sur Ciboure. Photo : (c) Bruno Serrou
Pour la troisième année, les deux
manifestations se confondent. La synergie les a conduites à fusionner et à se
dérouler conjointement, créant ainsi un nouvel événement, le Festival Ravel en
Nouvelle Aquitaine. « Ce festival entend représenter la musique et l’esprit
de Ravel, son humanité, se félicite Jean-François Heisser. Il s’inspire de sa
personnalité universelle dans sa programmation en s’ouvrant sur les cultures du
monde, particulièrement l’Espagne, le Pays Basque, l’Amérique avec le jazz, l’extrême
Orient, les musiques russe et viennoise, mais aussi l’attirance de Ravel pour
la musique baroque française, sa grande ouverture d’esprit, sa tolérance, sa
très grande exigence vis-à-vis de sa musique, ce qui lui permettait d’être très
exigeant avec ses interprètes. Pourtant, Ravel était un homme plutôt timide, en
retrait de la société, vivant à l’écart du monde, et restant d’une rare
fidélité à sa terre natale jusqu’à la fin de sa vie. »
Saint-Jean-de-Luz. La maison de l'Infante Marie-Thérèse d'Autriche les jours qui ont précédé son mariage avec Louis XIV. Photo : (c) Bruno Serrou
Le festival Ravel se veut
désormais le rendez-vous des formations de la région Nouvelle Aquitaine, l’Orchestre
National Bordeaux-Aquitaine (ONBA), l’Orchestre de Pau, l’Orchestre de Chambre
Nouvelle Aquitaine basé à Poitiers et dirigé par Heisser (seul orchestre
itinérant d’Aquitaine), l’Opéra de Limoges, l’Orchestre des Champs-Elysées, l’Ensemble
Pygmalion. A cette diversité régionale s’ajoute la venue chaque été d’orchestres
invités, comme Les Siècles et l’Orchestre Français des Jeunes cet été. « La
montée en puissance de l’orchestre dans le festival, dit Heisser, est un appui
pour pérenniser le public, qui venait jusqu’à présent soit pour Musique en Côte
Basque soit pour l’Académie Ravel, et pour entrer progressivement dans un
processus ambitieux en résonnance avec les festivals à caractère patrimonial, le
protectionnisme artistique étant moindre en France que dans les pays
anglo-saxons, afin de se fondre ainsi dans ce qui fait l’identité française
identifiable par la couleur de l’orchestre, comme le Festival Berlioz de La
Côte Saint André et le Festival Messiaen au Pays de La Meije. »
Saint-Jean-de-Luz, une partie de la baie au crépuscule. Photo : (c) Bruno Serrou
A ces concerts s’ajoutent ceux
des étudiants de l’Académie, dont l’opéra-comique La Périchole de Jacques Offenbach. « Ces concerts sous l’égide
du Festival Ravel, précise Heisser offrent aux jeunes musiciens de l’Académie l’assurance
de se produire sur l’ensemble du territoire régional, grâce au réseau de
diffusion que nous avons construits avec les organisateurs de concerts et autres
institutions de Nouvelle Aquitaine, avec trente concerts en 2019. » Le
tout avec un budget assez modeste de 650.000 €, dont 332.000 € (160.000 € de
billetterie) de recettes propres, et 269.000 € de subventions de la région Nouvelle
Aquitaine, de la Ville de Saint-Jean-de-Luz et de six communes de Côte Basque.
Saint-Jean-de-Luz, église Saint-Jean-Baptiste, buffet de l'orgue de Gérard Brunel, 1659. Photo : (c) Bruno Serrou
Le concert d’ouverture a réuni
cinq solistes de notoriété qui se plaisent à se produire régulièrement ensemble
sous la férule du violoniste Renaud Capuçon, leur premier violon, son confrère Guillaume
Chilemme en second violon, les altistes Gérard Caussé et Adrien La Marca, et le
violoncelliste Edgar Moreau. Cinq noms qui ont attiré les foules en l’église Saint-Jean-Baptiste
de Saint-Jean-de-Luz, là-même où le roi Louis XIV a épousé l’infante d’Espagne Marie-Thérèse
d’Autriche le 9 juin 1660. Une église somptueuse rendue célèbre par son monumental
retable de XVIIe siècle en bois doré sculpté qui occupe toute la
hauteur du mur du fond de l’abside et les deux ailes qui l’entourent, et par
son orgue construit en 1659 par Gérard Brunel.
Saint-Jean-de-Luz, église Saint-Jean-Baptiste. De gauche à droite : Renaud Capuçon et Guillaume Chilemme (violons), Adrien La Marca (alto), Edgar Moreau (violoncelle)
Installés au pied de l’autel, dos
au retable, ce quintette a donné les deux quintettes de Johannes Brahms,
précédés chacun d’un extrait des Sept dernières
Paroles du Christ en croix de Joseph Haydn. D’abord l’Introduction en guise de prologue au premier quintette à cordes de
Brahms, puis en début de seconde partie, la sixième Parole, Es ist vollbracht
(Tout est accompli). Gérard Caussé ne
participait pas au quatuor, la partie d’alto revenant dans les deux cas à Adrien
La Marca. L’idée d’une partition de Haydn en complément d’une œuvre de Brahms
est des plus classiques, les deux compositeurs ayant plus d’un rapport entre
eux, Brahms ayant tellement de respect pour Haydn qu’il est allé jusqu’à écrire
les Variations sur un thème de Haydn
pour orchestre ou pour deux pianos op. 56, dont le thème est tiré du choral de
Saint-Antoine de la Feldpartie en si bémol majeur Hob. II/46 de Haydn. Certes,
le curé de la paroisse a mis les organisateurs du festival au pied du mur en
les obligeant à programmer à chaque concert dans son église une page d’inspiration
religieuse, mais cette fois la contrainte a fait bon usage, puisque l’esprit de
Haydn et celui de Brahms ont fusionné.
Saint-Jean-de-Luz, église Saint-Jean-Baptiste. De gauche à droite : Renaud Capuçon et Guillaume Chilemme (violons), Gérard Caussé et Adrien La Marca (altos), Edgar Moreau (violoncelle)
Dans les deux Quintettes à cordes op. 88 et op. 111 de Brahms, les cinq solistes ont
su transcender leurs talents et leurs styles propres pour jouer avec autant d’engagement
dans le jeu en équipiers que s’ils étaient un authentique ensemble chambriste constitué.
Adrien La Marca et Gérard Caussé ont alterné la position de premier alto, la
partie la plus flatteuse et exposée étant réservée au second, celle du Quintette à cordes n° 2 en sol majeur op.
111 qui a conclu le concert. Concert donné devant une salle si enthousiaste
qu’elle n’a pu contenir ses applaudissements entre chaque mouvement. Renaud
Capuçon a impulsé une dynamique, une densité particulièrement convaincante,
avec un jeu d’une tenue irréprochable, tandis que le violoncelle d’Edgar Moreau
a installé avec son violoncelle de David Tecchler de 1711 une assise de basse
aussi intense que s’il s’était agi des fameuses timbales qui font les couleurs
caractéristiques de l’écriture brahmsienne, alors que Gérard Caussé a introduit
des sonorités de velours au sein de l’ensemble avec son magnifique alto Gasparo
da Salo de 1560.
Bruno Serrou
Le festival Ravel se poursuit
jusqu’au 15 septembre, et l’Académie du 2 au 15 septembre, https://festivalravel.fr
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