Orange (Vaucluse). Chorégies d’Orange. Théâtre Antique d’Orange.
Vendredi 2 août 2019
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Photo : (c) Bruno Serrou
Pour leurs 150 ans, les Chorégies
d’Orange n’ont pas choisi la facilité, sortant des inoxydables
Donizetti-Verdi-Puccini
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Erwin Schrott (Don Giovanni). Photo : (c) Bernateau
Créées en 1869, les Chorégies
d’Orange sont le plus ancien des festivals européens. Il a néanmoins fallu plusieurs
années pour que les éditions se succèdent à un rythme régulier, puisqu’elles
ont eu à souffrir dès la deuxième année des aléas de la Guerre de 1870. La
manifestation provençale a été initiée dans le but de revaloriser un patrimoine
édifié au premier siècle de notre ère, à l’époque de l’empereur César Auguste,
qui veille en majesté sur le mur gigantesque du théâtre antique et que Louis
XIV considérait comme la plus belle muraille de son royaume (103m de long, 1,80m
de large, 37m de haut), ce qui en fait l’acoustique exceptionnelle. Le théâtre
antique a été restauré à partir de 1825 sous l’égide de Prospère Mérimée.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Stanislas de Barbeyrac (Don Ottavio). Photo : (c) Bernateau
C’est avec une représentation de
l’opéra de Méhul, Joseph, qu’a été
inauguré le festival d’Orange, d’abord intitulé Fêtes romaines, avant de
prendre le nom de chorégies en 1902 tirant son nom d’une taxe romaine prélevée
sur les plus fortunés pour financer les théâtres. Y seront présentés des
opéras, comme le Méphistophélès
d’Arrigo Boito, des pièces de Jean Racine, dont une Phèdre avec Sarah Berhnard. La Comédie française y prendra ses
quartiers d’été, jusqu’à la naissance du Festival d’Avignon. La vocation
lyrique du festival devient prépondérante en 1971 sous l’égide du ministre de
la Culture de l’époque, Jacques Duhamel, qui en confie la direction artistique
à Jacques Bourgeois et Jean Darnel. S’ensuit une décennie prodigieuse, avec des
productions qui ont façonné l’histoire de l’art lyrique du XXe
siècle, avec entre autres des Tristan et
Isolde, Salomé, La Walkyrie, Parsifal, Fidelio, Norma, Otello, Moïse en Egypte particulièrement mémorables avec
rien moins que Montserrat Caballé, Birgit Nilsson, Leonie Rysanek, Theo Adam,
Jon Vickers, James King, René Kollo, Karl Böhm, Rudolf Kempe, Charles
Mackerras, Colin Davis, Zubin Mehta, Lorin Maazel… Jusqu’au coup d’Etat fomenté
par Henri Duffaut, alors maire d’Avignon, qui fit placer son fils Raymond à la
tête des Chorégies sur lesquelles ce dernier règnera pendant trente-six ans,
jusqu’en 2017, où, obligé à l’autofinancement
à hauteur de quatre vingt dix pour cent, il enchaînera les titres les plus populaires
au risque de tourner en rond, tout en continuant à faire appel aux plus grands
chanteurs du temps.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Adrian Sâmpetrean (Leporello), Karine Deshayes (Donna Elvira). Photo : (c) Bernateau
Pour la troisième production en
France de l’ouvrage en deux mois, après Paris et Strasbourg, Don Giovanni de Mozart a été retenu pour les
150 ans des chorégies, à l’instar de Guillaume
Tell de Rossini, deux ouvrages qui ne sont pas des plus courus dans la
production de ces compositeurs pourtant populaires. Absent d’Orange depuis
1996, Don Giovanni est pourtant l’un
des joyaux du théâtre lyrique, malgré sa renommée. Les Chorégies présentent un
spectacle qui sort de l’ordinaire in situ,
exploitant le moindre recoin du mur pour y projeter des vidéos plus ou moins
claires et souvent bienvenues, voire carrément humoristiques, comme l’ascenseur
qui emporte Don Giovanni jusqu’à la hauteur de la statue du Commandeur/César
Auguste, les fleurs lancées à dix mètres de hauteur par Leporello à Elvira, le
nom Benedictus XIV sur le socle d’Auguste le pape des Lumières mort deux ans
après la naissance de Mozart, dont les dates de naissances et de mort sont
parmi les graffitis qui parsèment le mur antique, un Commandeur chef mafieux
qui se confronte à un Giovanni iconoclaste libertaire…
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Mariangela Sicilia (Donna Anna). Photo : (c) Bernateau
Cette mise-en-scène de
Davide Livermore, qui fait appel aux technologies des projections d’images en
trois dimensions qui métamorphosent le théâtre en château vivant, désarme
certains spectateurs, qui, habitués à des productions sans éclat, manifestent
bruyamment leur incompréhension lors des saluts. Les anachronismes ne manquent
pas en effet, comme ces voitures, un taxi Renault Mégane des années 1990 pour
Don Giovanni et Leporello, un SUV BMW dernier cri aux vitres opaques pour le Commandeur,
tandis que les costumes mélangent mode actuelle et habits d’époque… Ces
décalages reflètent la lutte des classes entre un Giovanni qui a besoin des
règles pour les détruire et un Commandeur qui cherche le chaos… Ce dernier
représente le caractère dominant de notre société, tandis que Giovanni est l’humaniste
du siècle des Lumières et de la Révolution.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni. Annalisa Stroppa (Zerlina), Igor Bakan (Masetto). Photo : (c) Bernateau
La distribution est dominée par
un Don Giovanni de feu campé par Erwin Schrott, qui aura tenu tous les rôles de
basse de cet opéra, l’époustouflant Don Ottavio de Stanislas de Barbeyrac,
l’extraordinaire Donna Elvira de Karine Deshayes, et le Commandeur vindicatif
d’Alexeï Tikhomirov. Mariangela Sicilia (Donna Anna), Adrian Sâmpetrean
(Leporello) et Igor Bakan (Masetto qui court beaucoup sur le vaste plateau d’Orange)
sont légèrement en retrait, tandis qu’Annalisa Stroppa déçoit en Zerline. A la
tête de l’Orchestre de l'Opéra de Lyon, Frédéric Chaslin dirige un Don Giovanni
haletant, fébrile, ce qui suscite des décalages, y compris entre les chanteurs,
et l’on regrette que les musiques de scène soient jouées depuis la fosse plutôt
que sur le plateau, ce qui suscite un tassement des effets sonores voulus par
Mozart.
Bruno Serrou
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