Paris. Opéra national
de Paris-Bastille. Vendredi 25 janvier 2019
Hector Berlioz (1803-1869), La Prise de Troie. Photo : (c) Vincent Pontet
Ce devait être le spectacle clef
de l’ouverture de la grande année anniversaire de l’Opéra de Paris, le trois
cent cinquantième de la création de l’Académie royale de Musique et de Danse et
le trentième de l’inauguration de l’Opéra-Bastille. En effet, c’est en 1990,
plus d’un an après le concert pour happy
few du 13 juillet 1989, que le
monumental Les Troyens d’Hector
Berlioz inaugura les moyens techniques de la scène de la nouvelle scène de
Bastille. Mais l’on déchante très vite…
Hector Berlioz (1803-1869), La Prise de Troie. Photo : (c) Vincent Pontet
Quoiqu’en programmant l’ouvrage dans
le cadre du cent-cinquantenaire anniversaire de la mort de Berlioz, l’Opéra de
Paris n’a pas craint de défigurer la partition en taillant à la serpe des
scènes entières (ballet de l’acte III, scène de Panthée et duo des sentinelles,
chanson d’Hylas amputée de moitié et quasi inaudible car chanté en fond de
scène par un Bror Magnus Todenes assis de trois-quarts dos sur un rocking-chair
et jouant avec des allumettes), direction sans âme de Philippe Jordan - comment
un directeur musical peut-il accepter de telles amputations -, distribution
inégale, scénographie d’opérette dans la seconde partie, des mouvements
d’ensemble atones…
Hector Berlioz (1803-1869), La Prise de Troie. Photo : (c) Vincent Pontet
Le metteur en scène décorateur
russe Dmitri Tcherniakov situe son action de La Prise de Troie dans une ville aux buildings de La Défense délabrés
façon Beyrouth tandis que côté cour, un salon aux riches ornements baroques
dorés surmonté d’un écran présentant façon BFM-TV la cour royale troyenne et
décrivant les événements, tandis qu’à jardin le peuple se trémousse bêtement secouant
des fanions de kermesse. Entre les deux actes de cette première partie, un
changement de décor impressionnant conduit dans les ruines de la cité, acte
durant lequel on apprend que Cassandre a été violée par son père, le roi Priam,
avant de s’immoler par le feu, à l’instar du fantôme d’Hector quelques minutes
plus tôt.
Hector Berlioz (1803-1869), Les Troyens à Carthage. Ekaterina Semenchuk (Didon). Photo : (c) Vincent Pontet
Les trois actes des Troyens à Carthage se déroulent dans un
décor unique sorti de chez Ikea représentant un hall d’hôpital, un
« centre de soins en psycho-traumatologie pour victimes de guerre ».
Du coup, l’action devient un non-sens continu que quantité de panneaux brandis
par les « patients » tentent vainement d’expliciter. Ridiculement
accoutrée de jaune canari, l’infirmière Didon et le réfugié Enée n’ont de relation
que lointaine, Tcherniakov annihilant de la sorte toute passion entre les deux
héros. Ce chaos vaudra au metteur en scène un virulent vacarme durant les
saluts.
Hector Berlioz (1803-1869), Les Troyens à Carthage. Photo : (c) Vincent Pontet
Dans la fosse, la conception de Philippe Jordan, qui passe à côté de la partition, est apathique et rythmiquement plane
au point de susciter l’ennui, et les rapports orchestre-plateau manquent
singulièrement d’homogénéité. Pour sa première Cassandre, Stéphanie d’Oustrac
s’avère touchante et noble, mais son manque de volume au-delà du septième rang ne
peut faire oublier la performance d’Anna Caterina Antonacci dans Les Troyens
(complets) du Châtelet en 2003 dirigé par John Eliott Gardiner et mis en scène
par Yannis Kokkos.
Hector Berlioz (1803-1869), Les Troyens à Carthage. Photo : (c) Vincent Pontet
Que dire alors de la Didon d’Ekaterina Semenchuk, dont la
présence a néanmoins sauvé la production, remplaçant au pied levé l’attendue
Elina Garanča, malade. Vibrato prononcé au début, voix luxuriante et mure
digne d’une comtesse de la Dame de Pique, elle convainc par son art de la
nuance et par un engagement bouleversant dans sa détresse finale. L’Enée
de Brandon Jovanovich est d’une aisance saisissante. La voix est puissante,
solide, dotée d’un large nuancier, mais son français est aléatoire. Dans
les petits rôles, rien moins que l’excellent Stéphane Degout en Chorèbe,
Michèle Losier en Ascagne, Véronique Gens Hécube de luxe, Aude Extrémo Anna à
la voix de velours, le cristallin Iopas de Cyrille Dubois. Hélas, Paata
Burchaladze n’est plus que l’ombre de lui-même en Priam, et Christian Van Horn
est un Narbal fatigué.
Bruno Serrou
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