Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 24 mai 2016
Richard Wagner (1813-1883), Tristan und Isolde. Torsten Kerl (Tristan), Rachel Nicholls (Isolde). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Voilà cinq ans, l’Opéra de Lyon
créait l’événement avec un Tristan und
Isolde inoubliable, dirigé par Kirill Petrenko et mis en scène par Alex Ollé et Valentina Carrasco de la Fura dels
Baus. Cette fois, le chef-d’œuvre de Richard Wagner est présenté dans
une nouvelle production, à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées. Refaite à
l’occasion du centenaire de la salle, la fosse, où l’on avait jusqu’à présent
l’habitude de n’entendre que des opéras baroques ou classiques, permet
désormais de recevoir des effectifs fournis, et de programmer ainsi des
ouvrages de Wagner, Strauss et Puccini, avec un espace et un dégagement des
dessous du plateau amplifiant relief et résonance.
Richard Wagner (1813-1883), Tristan und Isolde. Michelle Breedt (Brangäne), Rachel Nicholls (Isolde), Torsten Kerl (Tristan). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Sous la
direction chatoyante et fiévreuse de Daniele Gatti, l’Orchestre National de
France sonne avec fluidité et transparence, le chef manageant des
contrastes époustouflants, du pianississimo
le plus immatériel au fortississimo
le plus ample, auxquels la première phalange de Radio France répond avec une
dextérité incroyable. Au sein de cette phalange miroitante et d’une sensualité
exacerbée, les pupitres solistes brillent de tous leurs feux, particulièrement
les instruments à vent, et plus précisément hautbois, cor anglais, clarinette
et cor solos à la matière onctueuse - son dernier acte est tout simplement
époustouflant. Le chef italien, qui quitte en juin le National pour prendre la
direction musicale du Royal Concertgebouw d’Amsterdam, soutient avec une vigilance
de chaque instant chacun des protagonistes dont il chante tous les rôles en
même temps que les titulaires.
Richard Wagner (1813-1883), Tristan und Isolde. Torsten Kerl (Tristan), Rachel Nicholls (Isolde). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
La mise en
scène de Pierre Audi est plutôt mobile en regard de ce qui se fait
généralement dans cet ouvrage. Les protagonistes sont bien inscrits dans leurs
rôles respectifs, et l’engagement est aussi avéré dans le jeu que dans le
chant. La scénographie de Christof Hetzer est faite côté décors de panneaux
mobiles noirs descendant et disparaissant dans les cintres et sur lesquels sont
projetés de fines raies de lumière à la symbolique diversifiée, tandis que les
costumes sans âge et se désagrégeant peu à peu vont dans le sens de l’évolution
du sujet. Seul un linceul posé sur un praticable de bois côté cour interroge
sur l’origine de sa présence, est-ce la mère de Tristan morte en couches ou
celui de son père mort peu après sa naissance ?...
Richard Wagner (1813-1883), Tristan und Isolde. Rachel Nicholls (Isolde), Torsten Kerl (Tristan). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Au premier acte, de grands panneaux coulissants
délimitent le navire qui enserre les héros entourés de containers qui se
présentent telle une prison, puis un énigmatique ossuaire de baleine abrite le
grotte nocturne des amants au deuxième acte, enfin, au troisième acte, l’agonie
et l’attente de Tristan se passe au milieu de galets épars égarés sur la plage
où se meurt Tristan, avant qu’Isolde disparaît débout sur le sable la
silhouette découpée par un bel éclairage blanc en contre-jour.
Richard Wagner (1813-1883), Tristan und Isolde. Torsten Kerl (Tristan), Brett Polegato (Kurwenal). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
La
distribution est singulièrement homogène, cela jusqu’aux seconds rôles. Rachel
Nicholls, qui remplaçait Emily Magee qui a dû renoncer après trois semaines de
répétitions, est une Isolde ardente et juvénile à la voix solide au timbre
radieux, Torsten Kerl un Tristan d’une solidité et d’une endurance à toute
épreuve, doté d’une voix d’airain et d’une musicalité stupéfiante qui lui
permet une humanité à la fois généreuse et douloureuse.
Richard Wagner (1813-1883), Tristan und Isolde. Scène finale. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées
Brett Polegato est un
Kurwenal trépidant et protecteur au timbre de bronze, Steven Humes un roi Marke est un modèle
de noblesse et de résignation, Michelle Breedt une Brangäne un peu trop mure
mais touchante jusque dans la mort. Andrew Rees, en sénile Melot, bossu boitillant
et abject, Marc Larcher (un berger, un jeune marin) et Francis Dudziak (un
timonier) complètent avec justesse cette affiche de premier plan.
Bruno Serrou
In Memoriam Robert Serrou, mon père, amoureux fou de la musique de Richard Wagner, décédé à Paris dans l'après-midi du 10 mai 2016
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