Marseille (Bouches-du-Rhône), Opéra Municipal, mardi 21 avril 2015
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Ricarda Merbeth (Senta), Samuel Youn (le Hollandais). Photo : (c) Christian Dresse
A défaut
de vraie nouvelle production - le spectacle est une adaptation d’une unique
représentation des Chorégies d’Orange 2013 -, l’Opéra de Marseille crée
néanmoins l’événement avec un Vaisseau
fantôme de Richard Wagner au casting éblouissant.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Avi Klemberg (Steuermann, à gauche), Samuel Youn (le Hollandais, à droite). Photo : (c) Christian Dresse
Quatrième opéra de Richard Wagner, Der fliegende Holländer (le
Hollandais volant, 1843), connu en France sous le titre le Vaisseau fantôme, ouvrage que Wagner
destinait à l’Opéra de Paris qui le lui refusa tout en lui achetant les droits du
livret pour en confier la mise en musique au compositeur français Pierre-Louis
Dietsch, est le premier des dix opéras jugés dignes par les descendants du
compositeur d’accéder à la scène du Festspielhaus de Bayreuth. Sa durée
comparable au seul Or du Rhin dans la
production wagnérienne et lui aussi donné sans entracte, et sa structure traditionnelle,
où perce déjà la révolution formelle wagnérienne ainsi que
certains de ses grands thèmes, l’errance, le sacrifice, la rédemption par
l’amour, en font à la fois l’opéra le plus directement accessible du « sorcier
de Bayreuth » et le sas d’entrée dans son univers. D’où sa constante présence
à l’affiche.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Marie-Ange Todorovitch (Marie), Ricarda Merbeth (Senta), Choeur de femmes de l'Opéra de Marseille. Photo : (c) Christian Dresse
A
Marseille pourtant, Wagner est apparemment moins couru que Verdi ou Massenet, à
en juger du moins par la grande quantité de fauteuils restés vides le soir de
la première du Vaisseau fantôme,
l’opéra pourtant le plus « italianisant » de son auteur. Ce qui est
regrettable, car l’affiche réunie n’a rien à envier aux grands millésimes du
Festival de Bayreuth, à l’exception de l’orchestre...
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Avi Klemberg (Steuermann), Tomislav Muzek (Erik), Ricarda Merbeth (Senta), Choeur de l'Opéra de Marseille. Photo : (c) Christian Dresse
Comme
cela devient de plus en plus systématiquement le cas, le terme « nouvelle
production » n’est plus à prendre au sens premier. A l’instar de l’Opera
de Paris, qui en use et abuse, les théâtres lyriques français tendent à
attacher ce libellé aux productions inédites « in loco ». Et c’est le
cas de ce Vaisseau fantôme, nouveau
pour Marseille mais créé aux Chorégies d’Orange 2013 sur l’immense plateau du
Théâtre antique. L’espace plus étriqué de la scène de l’Opéra de Marseille
a nécessité de la part du metteur en scène Charles Roubaud une remise à plat de
sa direction d’acteur, les chanteurs étant plus proches du public, et d’Emmanuelle
Favre des décors plus resserrés. Malgré cette adaptation, l’action côté jardin,
à bord du navire de Daland, n’est pas visible de partout. Les projections de
mer, de tempête, d’immeubles et d’embarcadère se font trop discrètes et fort peu discernables
du parterre, cachées par la volumineuse étrave rouillée du vaisseau du Hollandais,
qui, au premier acte, est aussi rocher battu par la tempête. Seul raté de
cette conception épurée, la mort rédemptrice de Senta, qui s’effondre à terre
au côté de son père tandis que le vaisseau fantôme demeure immobile.
Richard Wagner (1813-1883), Der fliegende Holländer. Tomislav Muzek (Erik), Samuel Youn (le Hollandais), Ricarda Merbeth (Senta). Photo : (c) Christian Dresse
Mais ce
qui fait la particularité de la reprise marseillaise est la remarquable
distribution vocale réunie pour l’occasion. Samuel Youn est un Hollandais
d’exception. Voix d’airain au timbre de bronze, chant d’une plénitude absolue,
engagement d’une vérité saisissante, aisance, puissance de l’émission
impressionnante, solide comme un roc, le baryton-basse Coréen brûle les
planches. Face à lui, Ricarda Merbeth, voix pleine et marbrée, phrasé
éblouissant, est une Senta touchante et déterminée. Kurt Rydl, malgré sa voix
usée, est un Daland de belle allure. L’Erik de Tomislav Muzek est viril et entreprenant
mais sans brutalité. Sa voix ferme, large et lumineuse, est celle d’un
Lohengrin. Marie-Ange Todorovitch, voix veloutée et sûre en Marie, et Avi
Klemberg, Steuermann solide, parachèvent cette affiche d’excellence. Le chœur
est vocalement sans défaut, mais les décalages sont nombreux. Il en est de même
dans la fosse, avec en prime des problèmes de rythmes dus au chef Lawrence
Foster, qui en plus suscite des cafouillages au sein d’un orchestre qui se
donne pourtant dans cette partition avec un plaisir évident.
Bruno
Serrou
Article paru dans le quotidien La Croix le 23 avril 2015
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