Ircam, Espace de projection, lundi 9
décembre 2013
Tedi Papavrami, François-Frédéric Guy et Xavier Phillips. Photo : DR
L’on
connaît l’art de Marc Monnet (né en 1947) pour la programmation, qu’il considère
à juste titre comme une véritable composition. C’est ainsi que, lundi, à l’Ircam,
comme il aime à le faire au Printemps des Arts de Monaco dont il est le
directeur artistique, il a mis deux de ses propres œuvres, dont une création
mondiale, en regard de pages de deux de ses illustres aînés, deux compositeurs
hongrois qui sont autant de novateurs à la forte personnalité qui ont non
seulement marqué leur temps mais aussi la musique du nôtre, Franz
Liszt (1811-1886) et Béla Bartók (1881-1945).
Marc Monnet et Tedi Papavrami. Photo : DR
Autre particularité de la personnalité
de Marc Monnet, la fidélité artistique et amicale, deux moteurs souvent
étroitement imbriqués chez lui. C’est pour eux ou en pensant à leur jeu qu’il
compose le plus souvent, et c’est pour trois de ses plus proches interprètes,
François-Frédéric Guy, Tedi Papavrami et Xavier Phillips, musiciens qui se
connaissent parfaitement pour se produire régulièrement ensemble, notamment
dans les Trios de Beethoven, qu’il a conçu son troisième trio avec piano. Il en ont donné la création lundi à l’Ircam. Afin de ne pas perturber l’unité de la soirée,
compositeur et interprètes ont choisi de déployer le programme en continu,
supprimant de ce fait l’entracte initialement prévu.
François-Frédéric Guy et Marc Monnet. Photo : DR
Mais
c’est avec la suite pour piano et électronique Imaginary Travel que Marc Monnet a composé en 1996, avec Thierry
Coduys pour la partie électronique, que François-Frédéric Guy a ouvert le
concert. Une pièce d’une vingtaine de minutes en huit mouvements inspirés d’autant
de photos prises par Wim Wenders durant le tournage de son film le plus célèbre,
Paris, Texas. Sans illustrer ces
photos de désert, motel, route, etc., projetées pendant son exécution, l’œuvre en
recrée le climat, tout en restant dans l’abstraction. Tout en jouant, le
pianiste active la partie électronique en temps réel dont le son émerge de
haut-parleurs placés sous le coffre de l’instrument.
Franz Liszt (1811-1886). Photo : DR
Dans la foulée de cette
plage de rêve qu’il a superbement colorée avec l’appui d’une informatique
discrète rehaussant des aigus cristallins, François-Frédéric Guy a donné une
interprétation dense et profonde de Pensées
des morts, quatrième des Harmonies
poétiques et religieuses S. 173
de Franz Liszt que l’on a pu être surpris d’entendre résonner dans l’enceinte
de l’Ircam. Mais c’était oublier combien le compositeur austro-hongrois était à
l’avant-garde de son temps, ouvrant un univers sonore inconnu jusqu’à lui et
que la musique de notre temps continue de creuser sans en avoir toujours
conscience. Pensées des morts reprend
le matériau d’une première partition conçue en 1834, que Liszt reprend en introduction,
avec ses sonorités lugubres et affligées. Les multiples pauses et répétitions qui
soulignent la désolation de ces pages cèdent ensuite la place à une danse
macabre emprunte d’évocations fantomatiques, avant que se présente un choral
d’accords puissant et immobile d’un De
profundis venu d’un psaume pour piano
et orchestre esquissé par Liszt au début des années 1830. L’œuvre se termine sur
une douceur particulièrement touchante. François-Frédéric Guy a tiré de son
Steinway des sonorités pleines et superbement résonnantes, donnant en outre à cette
riche partition tout l’élan et l’ampleur spirituelle qu’elle contient.
Marc Monnet (né en 1947). Photo : DR
Commande
de l’Ircam, où la partie électronique a été réalisée par Carlo Laurenzi, volontairement
plus discrète encore que celle d’Imaginary
Travel, Trio n° 3 de Marc Monnet,
dédié « aux musiciens créateurs, mais aussi au vent, à l’ombre et au chaos
humain » se place par ses couleurs sombres voire parfois lugubres dans la
continuité du climat de la partition de Liszt. Donné lundi en création, cette œuvre
d’un peu plus d’une quinzaine de minutes enchaînant refrains et couplets, est
introduite par le violoncelle, dans le registre grave, bientôt rejoint par le
piano. Le violon est principalement utilisé comme un rai de lumière, étant le
seul instrument travaillé dans l’aigu. Toutes les possibilités techniques et
sonores du violoncelle sont exploitées, depuis les capacités expressives uniques
de l’instrument jusqu’aux sonorités sombres comme venus du lointain joués de l’archet
au bas du chevalet, et ses aptitudes percussives avec les cordes et le coffre,
mais toujours exploité avec économie et avec musicalité, l’auditeur oubliant
ainsi la virtuosité au profit de l’expression. Xavier Phillips, stupéfiant d’aisance
et d’allant, s’est avéré le moteur de ce trio, et l’on n’a pu que regretter que
ce magnifique artiste n’ait pas eu sa part d’œuvre soliste.
Béla Bartók (1881-1945) à New York. Photo : DR
En effet, à l’instar
de François-Frédéric Guy dans Liszt, en ouverture de programme, Tedi Papavrami
a conclu le concert avec une œuvre d’un autre grand Hongrois, l’extraordinaire Sonate pour violon seul Sz. 117 de Béla Bartók. Le violoniste d’origine
albanaise a donné de cette œuvre immense comparable aux seules Sonates de Jean-Sébastien Bach née en
1943-1944 à la suite d’une commande de Yehudi Menuhin, une lecture
impressionnante de virtuosité limpide et d’engagement, avec un Tempo di ciaccona d’une rigueur extrême mais toute en souplesse, magnifiant
la polyphonie par la malléabilité phénoménale de son archet et la précision des
pizzicati, une fugue d’une vigueur intrépide,
un mouvement lent d’une tendresse touchante de naturel, et un Presto gavé d’énergie et de panache.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire